En 2024, Konbini se lance dans la fiction. Chaque semaine, retrouvez sur le site un nouveau chapitre des aventures de La Récupératrice, une mercenaire de l’espace qui accomplit toutes ses missions avec bienveillance et tendresse. C’est imaginé et écrit par François Faribeault, journaliste bourré de talent, incroyablement sympathique et agréable à l’œil nu (ce n’est pas lui qui a écrit ce paragraphe).
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— Gladys, sache que l’Unicube est composé de vingt-sept pièces, une par cube qui forme le vaisseau. Si on enlève le cockpit, les quatre salles de bains, les trois toilettes, la salle de lecture, le parc d’attractions, le terrain de gravity ball, la salle des non-armes et la salle de l’étoile, il te reste quatorze pièces libres pour en faire d’une ta chambre.
Au carrefour de deux routes, le Prince posa genou à terre. Il n’en pouvait plus. C’était terminé pour lui. Aucun de ces chemins n’était le bon. Aucun de ces chemins ne lui offrait l’espoir d’en voir le bout. Aucun de ces chemins n’était vraiment réel de toute façon.
En larmes, assis contre un des murs faits de buissons géants, le Prince attendit son heure. Jusqu’à ce qu’une main se pose sur son épaule.
— Enfin je vous retrouve, prince Kiribati. Vous êtes difficile à localiser, vous courez dans tous les sens en transpirant telle une baie vitrée.
Le Prince n’en revint pas. Il y avait quelqu’un d’autre dans ce labyrinthe. Et cette personne le connaissait. Ou alors était-ce un piège ? Peut-être était-ce l’un des artifices créés par le dédale pour jouer avec son esprit ?
— Qui êtes-vous ? Vous êtes un de ces monstres chargés de me tuer ?
— Évidemment que non ! Je suis la Récupératrice. Je suis ici pour vous récupérer.
— Eh bien bon courage pour nous sortir de là. Cet endroit ne laisse s’évader personne. C’est la mort assurée.
— Pas si on demande de l’aide.
R fourra alors sa tête dans les buissons qui composaient le dédale avant de la ressortir quelques minutes plus tard le visage parsemé de feuilles et de branches.
— Vous avez vomi dans les buissons ?
— Non, j’ai discuté avec les plantes. Elles vont nous indiquer le bon chemin.
À peine une heure après, le duo trouva la sortie. C’était la première fois que des êtres vivants s’évadaient de ce labyrinthe.
— Récupératrice, vous m’avez sauvé la vie. Vous êtes la femme que je recherche depuis des années. Épousez-moi.
— Hélas non. Déjà, je ne crois qu’aux mariages d’amour, et je suis loin d’en éprouver pour vous. De plus, je me suis foulé la cheville la semaine dernière.
— Therissa. Ma tête. Elle me brûle.
Un lien télépathique unissait R et son vaisseau, rendant le pilotage de ce dernier des plus aisés. Pour elle, conduire tout autre véhicule que l’Unicube était un calvaire. Hélas, l’Empire demandait que tout agent, qu’importe son grade, ait en sa possession un permis spatial. Les caractéristiques de l’Unicube ne correspondant pas aux critères administratifs d’un vaisseau de l’Empire, R devait passer son permis sur des engins classiques.
— Récupératrice, après avoir quitté l’atmosphère, vous filerez vers l’orbite de Dokovan.
— Entendu, Inspectrice madame.
— Juste “madame”, ça suffira.
R haïssait les examens. Surtout celui-ci. C’était la cinquième fois qu’elle passait son permis. La cinquième fois que Therissa lui ordonnait de le réussir au nom d’un apaisement des relations entre l’Empire et elle. La cinquième fois qu’elle entendait dans son cockpit la voix exécrable de cette inspectrice.
— Prenez l’orbite de Dokovan.
Mais à quoi bon récupérer ce papier ? De toute façon, R ne conduisait que son Unicube. À aucun moment dans sa carrière de super-héroïne et agent de la paix elle n’avait été amenée à manier un autre vaisseau.
— Récupératrice, c’est à gauche. Dokovan est sur votre gauche.
De plus, les vaisseaux impériaux demeuraient de pauvre qualité. Ils étaient si fragiles et demandaient des révisions tous les cent sauts de trous de ver. La technologie de l’Unicube était à des années-lumière de ces épaves.
— Récupératrice, devant vous, c’est un soleil. Je vous prie de freiner immédiatement.
En parlant d’année-lumière, le voyage supraluminique paraissait si lent avec ces tacots. R ne pouvait s’empêcher de penser au temps qu’elle avait gagné dans sa vie grâce à la masse si légère de son Unicube. Elle avait tellement eu raison de le fabriquer de ses propres mains.
— Récupératrice ! Freinez ! Récupératrice !
Après cinq échecs, la règle signalait de repasser son code de l’espace.
— Non, R, je ne te prêterai pas mon épée. J’ai peur que tu la casses.
— Mais n’est-elle pas faite de l’acier le plus solide de la Galaxie ?
— On ne sait jamais. Avec tes mains, là. Non, mon épée reste dans son fourreau, ou dans ma main. Je ne m’en sépare jamais.
Lion se sait grand et puissant. Il règne sans partage, et dans son sillage, la crainte demeure tel un chant.
De son piédestal de confiance, que d’autres titrent d’arrogance, Lion ne voit plus ses rivaux. Car en ces lieux, savane, plaine, forêt, Lion estime que sa beauté éblouit jusqu’au moindre de ses vassaux.
Mais à l’aube d’une nouvelle saison, le vent prend forme de bois.
Cerf, qu’il se nomme. D’une démarche assurée, il avance. D’une aura chaleureuse, il rassemble. Dangereux ? Au contraire, Tortue, Lièvre et Cigale voient en lui une autorité des plus amicales.
D’abord marginal, Cerf devient, par sa stature et ses paroles, symbole royal. Jaloux, Lion lui octroie des intentions malicieuses. À ces mots, la voix de Cerf demeure silencieuse.
L’ignorance, en réponse, devient bourreau à l’oreille de trop grands ego.
Il ne tient qu’à Lion de rappeler la raison de sa supériorité. Il réagit, surgit, rugit, mais Cerf ne s’assagit. La violence n’est plus maîtresse, et les crocs s’inclinent contre le bois.
Esseulé, Lion en appelle à sa seule salvatrice, l’Humaine aux mains bénites connue comme Récupératrice.
Dans la clairière, où Cerf tient audience, Lion se cache. Récupératrice s’assoit. Elle entend le message. La paix et la solidarité sont votées en masse. Dans ce nouveau dessein, Lion n’a plus sa place.
Cerf et R se lient.
Lion s’affaiblit.
R tend une main.
Que Lion saisit.
Quand on y réfléchit à deux fois, il n’y a qu’une seule personne assez proche de l’Impératrice pour pouvoir lui porter un coup fatal. Il n’existe qu’une seule personne l’ayant côtoyée tellement d’années qu’elle en connaît le quotidien sur le bout des doigts. Une personne restée dans l’ombre de l’aura de l’Impératrice. Une personne qui aurait eu tout intérêt à ce qu’elle perde la vie. Une place vacante. Le pouvoir de régner sur toute vie. La Galaxie au creux de ses mains.
— Vous voyez, Récupératrice, rien ne fonctionne.
— La Récupératrice, c’est elle. Moi, c’est Therissa.
— Ah. Désolée. Comme vous parliez beaucoup, j’ai cru que c’était vous.
— Continuez, vieil homme, enchaîna R.
— Regardez, j’ai beau rentrer mon mot de passe, rien ne marche. Et c’est le seul que j’utilise depuis des années, donc je ne peux pas me tromper.
— Vous avez tenté d’utiliser la fonction “mot de passe oublié” ?
— Oui ! Malgré la modification, je n’ai toujours pas accès à ma session.
— Hmm. C’est problématique, ça. Mais je ne vois pas en quoi je peux vous aider.
— On m’a dit aux ressources humaines que vous pouviez récupérer mon mot de passe.
R jeta un regard à Therissa. Un regard qui voulait clairement insinuer “on m’a vraiment fait sortir de chez moi, parcourir la moitié de la ville, monter dix-neuf étages et traverser quatre salles remplies de salariés amorphes pour un simple problème informatique ?”.
R saisit le clavier, tapota quelques touches comme dans les films d’espionnage qu’elle avait vus par le passé, posa la souris sans fil sur le crâne du vieil homme, passa la main à travers l’unité centrale et la session de l’ordinateur s’ouvrit. Mission accomplie.
— Therissa, tu crois que pour cet acte j’entrerai dans l’histoire de la Galaxie ?
— J’en suis certaine. Tu sais, aujourd’hui, les mots de passe oubliés sont devenus un vrai fléau.
— J’espère que ce vieil homme ne m’oubliera pas.
— Oh, il t’oubliera. Mais moi, non. Tu es inoubliable, R.
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