La Récupératrice, chapitre 13 : la météorite de Hestia

La Récupératrice, chapitre 13 : la météorite de Hestia

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Par François Faribeault

Publié le

Découvrez notre saga de science-fiction qui parle cette semaine de la finale de Roland-Garros, ou presque.

En 2024, Konbini se lance dans la fiction. Chaque semaine, retrouvez sur le site un nouveau chapitre des aventures de La Récupératrice, une mercenaire de l’espace qui accomplit toutes ses missions avec bienveillance et tendresse. C’est imaginé et écrit par François Faribeault, journaliste bourré de talent, incroyablement sympathique et agréable à l’œil nu (ce n’est pas lui qui a écrit ce paragraphe).

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Aussi avancées soient les civilisations qui peuplent la Galaxie et les conflits qui les accompagnent, il n’existe pas de batailles spatiales. Pourtant, les premiers peuples à investir un système solaire et à faire la rencontre d’autres civilisations ont tenté de se battre dans l’espace, à l’aide d’armes et vaisseaux sophistiqués. Mais très vite, il s’est avéré que c’était trop coûteux pour très peu de résultats. Les affrontements dans le vide spatial n’avaient pas d’avenir.

Comme souvent, l’objectif était de récupérer la planète de l’autre ; le meilleur moyen était de placer un satellite sur son orbite, soit pour faire pression, soit pour attaquer du ciel. Évidemment, les armes ne devaient viser que les cibles importantes, sans détruire ni les ressources ni l’environnement.

Au contraire, si l’idée était d’anéantir l’autre sans se soucier de son habitat, il suffisait alors de tout réduire à néant. Ainsi, comme à l’époque médiévale des sièges de forteresses, l’offensive consistait à balancer un énorme caillou. Lancé depuis le sol, on appelait ça un boulet. Depuis l’espace, c’était une météorite. La science avait donc orienté ses recherches vers la manipulation et la déviation d’astéroïdes.

Cette mission se déroulait sur la lune de Hestia. La Récupératrice fut appelée en urgence afin de résoudre un problème local d’invasion. Therissa était aussi de la partie. Depuis quelque temps, elle sentait que R s’éloignait d’elle. Elle qui n’hésitait pas à raconter sa vie à chacune de leurs retrouvailles se montrait depuis quelque temps plus distante. Therissa accompagnait son amie afin de se rendre compte de son état. Mais sur place, R et Therissa apprirent qu’on leur avait menti.

— Je déteste le mensonge, avoua R. Imaginez si vous aviez des problèmes de mémoire et qu’on vous mentait constamment ? Vous ne trouveriez pas ça bienveillant, n’est-ce pas ?
— Vous avez des soucis de mémoire ? demanda le dirigeant de Hestia.
— On en a tous. Bon, pourquoi avez-vous fait appel à moi ? Si c’est un piège, je vous en supplie, faites vite, j’ai eu pas mal de désagréments ces derniers temps, ma patience est quelque peu compromise.
Therissa avait décidé de rester en retrait et de laisser son amie agir. Très vite, elle comprit que R n’était pas la même que d’habitude.
— Une météorite nous fonce dessus.
— Déviez-la. Vous semblez assez évolués pour le faire.
— Impossible.
— Comment ça ?
— La météorite est envoyée par l’Empire. Leur technologie est supérieure.

Therissa connaissait la situation. Hestia était une civilisation anciennement fidèle aux Grands Dieux. Durant la Chute, elle avait soutenu ces derniers, pensant qu’ils en sortiraient vainqueurs. Pendant le règne de l’Impératrice, les relations avec l’Empire étaient restées neutres et pacifiques. Avec l’avènement de Petit Empereur, la roue avait tourné.
— Comment avez-vous déclenché leur courroux ?
— Nous avons refusé la prolongation des accords de non-agression afin de retrouver notre libre arbitre. Mais dans le contrat, tout refus entraîne un changement de statut. Nous devenons officiellement des ennemis de l’Empire. En réponse à la soi-disant menace que nous représentons, l’Empire a dévié un astéroïde. Il vise notre lune, où sont positionnées toutes nos infrastructures militaires mais aussi notre armée. 900 000 vies sont en jeu. Nous avons commencé une évacuation mais ce ne sera pas suffisant. Vous devez nous sauver.
— OK, ça me va. Stoppez l’évacuation. Je me charge du caillou.

Sans attendre, R quitta la pièce pour se rendre sur le lieu du futur impact. Therissa profita du trajet pour la prendre à part :
— Tu comptes vraiment détruire cette météorite ?
— Je vais plutôt la dévier. Ça me paraît plus simple.
— Non, R, ce n’est pas ce que je veux dire. Je te demande si tu comptes vraiment les sauver. Ce que ne te dit pas ce dirigeant, c’est que Hestia vient d’entrer directement en guerre contre l’Empire. Hestia est notre ennemie.
— Je n’ai pas d’ennemi, Therissa. Je ne vais pas laisser des centaines de milliers de vies s’éteindre à cause de décisions de quelques-uns.

Therissa saisit le bras de R. Ici, au milieu d’un champ de tir de la base, elles n’étaient que toutes les deux. Les commanditaires de la Récupératrice étaient partis se cacher.
— R, tu fais fausse route. La lune de Hestia n’est que le quartier général de l’armée. La météorite ne détruira que les infrastructures et les armes. Pas les vies, qui d’ici peu seront évacuées.
— Non, Therissa, c’est toi qui fais fausse route. Peux-tu m’assurer que la météorite n’anéantira pas la lune entière ? que la lune ne quittera pas son orbite ? Peux-tu être certaine que des débris ne s’écraseront pas sur la planète ? Je ne prendrai aucun risque. Des vies sont en jeu. Rappelle-toi la promesse qu’on s’est faite, toi et moi, quand on a commencé tout ça. Rappelle-toi le sens de Clairri. Ces gens-là aussi ont le droit à une deuxième chance.
— Justement, je pense à Clairri et aux autres vies qu’on sauve grâce à l’Empire. Tu ne peux… nous ne pouvons être aussi absolues dans notre démarche. Avec le nouvel Empereur, nous devons agir avec prudence.

Therissa vit son amie soupirer. Elle semblait confuse. Perdue. Un haut-parleur informa la base que la météorite impacterait la lune dans trente minutes.
— Therissa, tu sais que si tu m’en donnes l’ordre formel, j’obéirai et annulerai ma mission. Mais j’ai besoin de ça. J’ai besoin de sauver l’autre. S’il te plaît, j’ai besoin de mon amie sur ce coup. Ne t’oppose pas à moi, toi non plus.
— Moi non plus ?
R ne répondit pas. Therissa savait que R lui cachait quelque chose. Un événement. Une rencontre. Ou un acte regrettable. Quoi qu’il en soit, R avait changé. Et Therissa ne pouvait rien y faire.
— Très bien. Soit. Ça ne plaira pas à Petit Empereur, mais vas-y. Montre que tes pouvoirs sont aussi grands que ta compassion.

Guérison, renvoi, protection, apaisement, Unicube, intangibilité, Therissa connaissait le panel de pouvoirs de la Récupératrice. Elle savait son amie capable de dévier un énorme rocher se déplaçant à 100 000 kilomètres par heure. Mais ce dont elle fut témoin dépassa les limites de l’imaginable.

R s’accroupit, ferma les yeux et joignit ses mains. Elle demeura dans cette position, complètement impassible à ce qui se rapprochait d’elle. Plus haut, l’épaisse atmosphère entourant la lune avait enflammé l’astéroïde, le transformant en météorite. Elle faisait la taille d’une petite montagne. Après moins d’une minute, R était prête. Elle se releva, prit appui sur le sol et bondit.

R n’était pas capable de voler. Mais à l’aide de sa combinaison, elle pouvait, l’espace d’un moment, modifier la gravité afin de décoller. Ne restait qu’à ajouter sa propre force pour accélérer. Là, dans le ciel, dépassant la vitesse du son, R allait entrer en contact avec la météorite.

Elle aurait pu choisir de passer à travers, de l’exploser, de la faire fondre ou tout simplement de la dévier. Mais R préféra une autre solution. Au moment du contact, elle posa ses mains sur le rocher. Celui-ci commença alors à réduire de taille pour s’engouffrer dans ses paumes. Toute la matière dont était formé l’objet stellaire, ainsi que la puissance et les flammes qui l’accompagnaient, se voyait compresser dans un espace aussi large que deux poings.

En face, R souffrait le martyre. Les os de ses bras s’étaient brisés après le premier choc et elle sentait sa peau brûler sous sa combinaison. Malgré la douleur, elle faisait tout pour garder l’esprit éveillé et ne pas laisser son intangibilité salvatrice prendre le dessus. En bas, les 900 000 âmes peuplant la lune, les quatre milliards de vies habitant Hestia et Therissa hallucinaient.

La météorite finit par disparaître. Le ciel reprit ses couleurs habituelles. Exténuée, R retrouva le sol lentement. En bas, sur ce même champ de tir, Therissa accueillit son amie :
— R, tu vas bien ? Comment tu te sens ? Fais voir tes mains.
— Attends, ce n’est pas terminé, lâcha R malgré la douleur. Je l’ai juste absorbée. Contrairement à l’Unicube, je ne peux la conserver qu’un court instant.
À genoux sur le sol, R allongea ses bras, paumes vers le ciel. Elle donnait l’impression de prier. Maintenant, il était temps de rendre la matière et l’énergie qu’elle avait subtilisées à la météorite. Mais sous une autre forme.

Un pétale de fleur de cerisier s’échappa de sa main gauche. Puis un autre de sa main droite. Puis quelques dizaines. Puis, comme une valve qu’on ouvre en grand, des milliers de pétales roses explosèrent des paumes des mains de la Récupératrice. Le flot ne s’arrêtait pas, les pétales s’envolaient avec le vent et envahissaient maintenant le ciel, se déposant sur la base militaire, les bâtiments, les véhicules et autres armes en tout genre.
— Regarde comme c’est beau, Therissa. Regarde ce qu’on peut créer à partir d’un élément de destruction et de mort. Ne t’inquiète pas pour mes mains. Ces fleurs me guérissent.

Pendant des années, les habitants de Hestia et les soldats de la lune parleraient de ce miracle accompli par la Récupératrice, scellant au plus profond de leur être toute intention belliqueuse. Mais à cet instant, sur le champ de tir de la base militaire, après avoir assisté à cette démonstration d’ordre divin, Therissa, les cheveux recouverts de pétales de fleurs de cerisier, fut marquée par un tout autre sentiment que l’émerveillement ou la foi. Elle fut traversée par un frisson d’effroi.

La suite dans le chapitre 14.

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