Depuis le début des années 2010, les comédies romantiques sont devenues moins lisses, plus inclusives et proposent des intrigues plus intéressantes où les femmes ne sont pas que des faire-valoir et dont la quête n’est pas obligatoirement de finir en couple.
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Avec À tous les garçons que j’ai aimés, Une femme de tête ou encore Quelqu’un de bien, Netflix a fait partie d’un des fers-de-lance de ce renouveau, avant d’en faire une formule magique à succès garanti, sans qu’il n’y ait plus vraiment de surprises.
Produite par A24, La Loi de la plus forte donne un nouveau souffle dans l’univers de la romcom. Adaptée de la collection d’essais de la comédienne Michelle Buteau (best-seller sorti en 2020), on y suit le parcours de Mavis Beaumont (interprétée par elle-même, qui a créé, écrit et coproduit la série), assistante styliste en couple avec un photographe (Jacque) déjà bien installé dans le milieu de la mode. Ensemble, ils mènent un lifestyle luxueux et trépidant jusqu’au jour où elle découvre qu’il est avec une autre femme. Elle qui pensait finir sa vie avec lui… Elle se retrouve subitement sans emploi, sans appartement et sans le sou. Ce sera ainsi le début des emmerdes, à moins que…
Si les premiers épisodes respectent les tropes habituels de la romcom où l’héroïne est en détresse après une rupture ou une déception amoureuse, la série s’en éloigne très rapidement pour proposer de nouvelles dynamiques. Son parcours ne sera pas sans embûches, mais pas fataliste pour autant.
Déjà parce que l’héroïne est une femme métisse, grosse, aux cheveux bouclés, loin des canons habituels qui sont au cœur de ce genre plébiscité. On est également loin du stéréotype à la Bridget Jones, qui ne cesse de se dévaluer, se pensant “trop” moche, ou “pas assez” mince pour être aimée à sa juste valeur.
Tous les corps se valent
Le corps de Mavis n’est ni le sujet principal de la série, ni un frein pour une vie sentimentale et sexuelle actives. Dès la rupture, on la voit tenter de s’en sortir, en commençant par trouver un appartement en colocation (seule option puisqu’elle est au chômage) et se faire un nom toute seule dans le stylisme, sans oublier les coups d’un soir.
Son corps n’est pas au cœur de l’intrigue, mais il s’insère dans une visibilisation globale de tous les types de morphologies. Celles-ci ont le droit d’exister et de cohabiter : on y voit non pas un corps gros non blanc, mais plusieurs, pas une personne noire, mais plusieurs, et des corps trans, des corps âgés… Bref, “des” corps.
© Netflix / Vanessa Clifton
Malgré un titre en français quelque peu alambiqué, La Loi de la plus forte (Survival of the Thickest, en VO) n’est pas qu’une série “body positive” qui surfe sur ce néologisme afin d’en faire un étendard. Il est plutôt question de la normalisation de ces corps qui avaient pour habitude d’être moqués ou invisibilisés, notamment dans les comédies romantiques. Ici, l’héroïne s’en sert davantage pour faire passer un message dans son métier, un milieu extrêmement policé où faire plus d’un 34 équivaut à un blasphème.
En tant que styliste, elle souhaite que les vêtements puissent valoriser et s’adapter à toutes les morphologies et non l’inverse. L’intrigue autour de la mannequin Garcelle Beauvais, top model et actrice plébiscitée dans les années 1990, qui joue un rôle plein d’autodérision, est un message subtil sur l’acceptation de soi et le temps qui passe. Sans en faire des tonnes, Mavis est un exemple de bienveillance sur le corps des autres, et le sien.
Une histoire d’amitié avant tout
Elle, son problème, c’est la dépendance affective nourrie par son ex, la surproductivité dans son travail et des mauvais choix de vie. Heureusement, ses ami·e·s Marley et Khalil sont présent·e·s pour l’orienter et la conseiller. Car oui, il s’agit avant tout d’une histoire d’amitié, où chacun·e fait face à des situations et problématiques professionnelles, économiques et sentimentales différentes, mais se retrouve à des endroits d’écoute et de bienveillance.
Pour une fois, ce qui est rare dans une comédie romantique, les personnages secondaires ont aussi leur importance et leur trajectoire personnelle n’a pas moins de valeur que l’héroïne. Il est même intéressant de voir comment Khalil déjoue des stéréotypes masculins en apprenant de ses erreurs et dévoilant une facette plus vulnérable au fur et à mesure. Marley, elle, cache sous une carapace des failles non verbalisées dans son entourage. À force de soutien mutuel, les trois arriveront à se frayer un chemin qui les satisfera.
© Netflix / Jocelyn Prescod
L’intrigue de Mavis ne tourne pas uniquement autour de ses relations amoureuses, mais également de son travail, ce qui modifie le parcours unique qui a longtemps été réservé aux femmes célibataires, comme si l’amour était leur seul objectif. Ici, l’amour lui tombe presque dessus, puisqu’elle n’est pas dans une recherche active, mais cela lui permettra de comprendre qu’elle peut prétendre à mieux, et que le travail n’est pas sa seule échappatoire.
Mais puisqu’on est sur Netflix, on n’échappera pas au cliché de la rencontre avec un beau mâle italien, option accent et cheveux gominés — même s’il est plaisant de retrouver Marouane Zotti, découvert dans la série à succès I May Destroy You. D’ailleurs, les scènes de sexe dans la série sont réalistes sans jamais perdre leur dimension humoristique. Mention spéciale à la BO, à la photographie et à la réalisation qui rappellent sobrement 40 ans, toujours dans le flow en termes de proposition artistique et de ton.
Après le succès d’audience et critique de Beef, la collaboration entre A24 et Netflix semble porter ses fruits. Ensemble, la boîte de production prisée par les puristes pour la qualité de ses projets et le géant du streaming qui se targue d’être la plateforme de SVOD la plus populaire, sont en train de construire une certaine idée des séries mainstream, qui n’ont pas à perdre leur originalité pour plaire au plus grand nombre.