À l’occasion de la fête de la musique, retour sur l’histoire des Dead Man’s Bones, le groupe fondé par Ryan Gosling il y a dix ans.
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En 2007, Ryan Gosling n’est pas grand-chose. Pas qu’il n’est pas déjà un acteur talentueux. Seulement que la lumière n’a pas encore été portée clairement en direction de son visage de gamin qui a été formé par Disney pendant des années – aux côtés de stars telles que Justin Timberlake ou Britney Spears. Sa propension à faire du cinéma lui a permis, à l’âge de 26 ans, de se faire remarquer dans des petites productions, soit de qualité, soit des bluettes connues des lycéennes.
À ma gauche, on peut compter sur son talent de comédien pour incarner un juif néo-nazi (Danny Balint, 2001) ou un professeur qui a des sérieux problèmes dans Half Nelson (2006). À ma droite, un film qui va longuement lui coller aux basques, N’oublie jamais (2004). Son physique est alors l’argument principal de toute discussion portant autour de son travail – ce qui doit être, si on se met cinq secondes à sa place, particulièrement frustrant quand on a un tant soit peu d’intégrité artistique.
Pourtant, quatre ans avant de connaître une irrésistible ascension grâce à une série de films dans lesquels il va jouer en 2011, dont Drive, Crazy, Stupid, Love et Les Marches du pouvoir, le Canadien se met derrière un piano. Ce n’était pas pour préparer un rôle comme celui qu’il interprète dans La La Land, où il incarne un pianiste de jazz voulant absolument s’en tenir à sa passion mais soumis au diktat de partitions maintes et maintes fois entendues pour des restaurants bas de gamme.
Non, si Ryan se met au piano, c’est pour fonder un groupe, un vrai. Avec un mec, un pote, qui s’appelle Zach Shields. À ce dernier incombera de prendre les commandes de la rythmique et parfois du chant. À Ryan Gosling de s’occuper des notes et d’apposer sa voix. Et étrangement, ça fonctionne à merveille.
Très loin de Disney, plus proche de Tim Burton
Le duo a eu l’idée lumineuse de prendre le côté sombre d’un géant du divertissement. Car c’est tout con, mais l’un des premiers trucs qui formalisent l’amitié entre Ryan Gosling et son acolyte, c’est leur amour pour… le manoir hanté présent dans le parc d’attractions Disney. Donc, logiquement, pour les histoires de fantômes, de zombies et de monstres cachés derrière des portes grinçantes. Un bon début qui va s’affirmer à travers une ambition musicale, sous le nom de “Dead Man’s Bones”.
Lors du processus de production du premier et unique album de leur courte carrière, Ryan Gosling et Zach Shields s’imposent des règles qui auraient fait s’étouffer un producteur comme Rick Rubin, mais ravi un cinéaste comme Thomas Vinterberg, cocréateur du Dogme 95 :
- pas de métronome pendant l’enregistrement
- les deux membres doivent jouer de tous les instruments (pas de musiciens de studio, en conséquence)
- pas de guitare électrique
- pas plus de trois prises son
Et tant pis si la rythmique n’est pas la priorité, tant pis si de petits bruits viennent s’immiscer pendant l’enregistrement, les imperfections seront au cœur de cet album, sublimées et acceptées.
Dans une interview à Pitchfork, la toute première qu’ils ont donné de leur carrière, Zach défend le processus :
“On avait tous les deux déjà fait de la musique avant, et tous les deux on n’avait pas aimé ce qu’on avait fait. On avait travaillé avec des professionnels, des musiciens accomplis. Et j’ai toujours senti – comme Ryan – que je tentais de me mettre au niveau des personnes avec qui je travaillais, techniquement. Quand on enregistrait, on essayait d’être aussi bon qu’eux, il essayaient de nous rendre meilleurs, mais en fait, non, on était juste des amateurs. Du coup, ils mettaient un métronome, faisaient plein de prises, et utilisaient Auto-Tune pour que cela donne l’impression que je chantais bien;”
D’ailleurs, il suffit d’observer un enregistrement (voir la vidéo ci-dessous) pour s’en rendre compte : les deux acolytes ne sont pas toujours sur la même longueur rythmique, donnant une dynamique étrange à un morceau qui l’est déjà, transfiguré par l’apport rafraîchissant d’une chorale (la Silverlake Conservatory Children’s Choir) cofondée par… Flea, le fameux bassiste des Red Hot Chili Peppers, avec des enfants âgés de 5 à 17 ans.
En résulte donc cette session, filmée lors du dernier jour de collaboration entre le duo et la chorale, pour un titre (il s’agit d'”In the Room Where You Sleep”) qui commence de manière discrète avec un Ryan Gosling au piano, s’arrêtant, hésitant, puis souhaitant bonne chance aux membres de la chorale. La chanson démarre bizarrement, comme si la batterie avait du mal à se mettre au tempo du piano, avec un timbre de crooner dégoté au fin fond des années 1950 et cette voix mélancolique à la Roy Orbison.
Une association musicale ratée mais qui donne une certaine magie à cette session, alors que l’acteur répond aux enfants : “You better run, you better run. You better hide, you better hide.”
Le groupe n’hésite pas non plus, d’une manière paradoxale, unique, ironique, libre, à réaliser une session acoustique, accompagné toujours de la chorale, dans une maison de retraite. Dans “Pa Pa Power”, l’un des plus beaux titres de leur premier album, les Dead Man’s Bones chantent :
“Burn the street, burn the cars, pa pa power, pa pa power. ” (“Brûle les rue, brûle les voitures, pa pa power pa pa power.)“
Le résultat est un album, homonyme du groupe, sur lequel Ryan et Zach travaillent pendant deux ans. L’acteur affirme même, toujours au magazine Pitchfork :
“On a travaillé de manière régulière pendant deux ans. J’ai fait quelques films, parce que je devais les faire, mais c’est tout ce que j’ai fait sinon : travailler la musique.”
Comme pour mieux sortir d’un milieu qui semblait l’enfermer, Ryan Gosling, avec les Dead Man’s Bones, a produit un essai à part, gothique, s’amusant à proposer une identité visuelle macabre, se prenant en photo dans un cimetière, jouant quelques dates ici et là, sans sérieux mais avec aplomb et, surtout, une volonté d’être authentique.
Car oui, dix ans avant que les spectateurs ne le découvrent mélancolique dans La La Land, Ryan Gosling était déjà ce type au coin de la rue qui décide de former un groupe parce qu’il s’est trouvé un pote au hasard d’une histoire de couples, prêt à façonner 44 minutes d’un album qu’on vous recommande plus que tout :