Jusqu’au 31 décembre prochain, la ville de Lyon accueille la 16e édition de sa Biennale d’art contemporain. Peintures, dessins, photographies, installations et sculptures essaiment ainsi la ville et offrent au public une pluralité de regards, de ressentis, de talents.
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Du Liban à la Chine en passant par Marseille et les Émirats arabes unis, voici cinq artistes et collectifs à découvrir pour se remplir la tête de questions, de beauté et, peut-être, de quelques réponses.
Rémie Akl met en scène l’espoir et la rage des jeunes générations libanaises
Dans les usines Fagor, anciens ateliers électroménagers réaménagés en lieux culturels, la porte d’un préfabriqué invite le public à pénétrer à l’intérieur d’un couloir au plafond bas. L’ambiance y est agréable, colorée et musicale. De chaque côté des murs, des écrans s’activent les uns à la suite des autres, créant un chemin à suivre pour le public.
L’artiste libanaise Rémie Akl apparaît sur lesdits écrans vêtue de vêtements colorés. En dansant, elle convainc son public de “la suivre” et d’avancer le long du couloir, dressant ainsi un parallèle entre la vie en trois dimensions et les réseaux sociaux.
Rémie Akl, I Made You Dance, 2022, commande à l’occasion de la 16e édition de la Biennale de Lyon, usines Fagor, avec le soutien de la Fondation MKS. (© Photo : Blaise Adilon)
Au bout d’une minute, la silhouette de l’artiste pluridisciplinaire quitte les écrans pour être projetée contre une nouvelle porte. Elle mène à une autre salle, où l’atmosphère se fait plus pesante. Y est projeté un court-métrage mettant de nouveau en scène l’artiste. Endeuillé, son personnage cherche à tout prix à débloquer un téléphone ne lui appartenant pas.
Le temps d’une performance passant de saveurs pop et colorées à un récit douloureux, Rémie Akl raconte les douleurs de son pays et de sa génération, notamment les “dysfonctionnements du pouvoir et l’ère contemporaine de l’aliénation technologique”, note la Biennale.
Rémie Akl, I Made You Dance, 2022, commande à l’occasion de la 16e édition de la Biennale de Lyon, usines Fagor, avec le soutien de la Fondation MKS. (© Photo : Blaise Adilon)
L’œuvre de dix-huit minutes a été réalisée spécialement pour cette 16e édition du festival artistique. Elle s’inscrit dans l’ADN du travail de Rémie Akl, axé sur la jeunesse et “l’émancipation des femmes”. En 2020, elle réalisait d’ailleurs un court-métrage très réussi sur le harcèlement de rue intitulé Baklava got legs.
Mohammed Kazem met en lumière les personnes invisibilisées
Mohammed Kazem, Even The Shade Doesn’t Belong To Them, 2019, 16e Biennale d’art contemporain de Lyon, Usines Fagor. (© Gallerie Isabelle van den Eynde avec le soutien du Ministère de la culture et de la jeunesse des Émirats arabes unis et du département de la culture et du tourisme d’Abu Dhabi/Photo : Blaise Adilon)
Toujours aux usines Fagor, l’espace dédié à Mohammed Kazem est peuplé de larges toiles qui demandent à l’œil du public un peu de travail. Au premier abord, la série n’est qu’obscurité. Ce n’est qu’après quelques secondes d’effort que l’on distingue des silhouettes, des actions et des lieux dans ces créations faites d’acrylique et d’encre – un mélange qui place un “verre sombre” sur les personnes peintes par l’artiste.
Les tableaux ont été réalisés d’après des photographies prises par Mohammed Kazem lui-même, sur des chantiers notamment. On discerne un éboueur tirant derrière lui une poubelle, un ouvrier du bâtiment, ou une personne triant des cartons. Avec sa série Even the Shade Does not Belong to Them, l’artiste indique vouloir mettre en lumière les personnes invisibilisées.
Mohammed Kazem, Even The Shade Doesn’t Belong To Them, 2019, 16e Biennale d’art contemporain de Lyon, Usines Fagor. (© Gallerie Isabelle van den Eynde avec le soutien du Ministère de la culture et de la jeunesse des Émirats arabes unis et du département de la culture et du tourisme d’Abu Dhabi/Photo : Blaise Adilon)
C’est en notant que “les gens regardent à travers elles”, souligne-t-il, qu’il a décidé de créer ces œuvres imposantes. Elles somment le public de se remettre en question et de réévaluer son regard sur le monde qui l’entoure.
La compagnie Organon remet les pendules de l’histoire à l’heure
Organon Art Cie présente dans un grand espace des usines Fagor deux projets importants qui se déclinent sous des formes audio, photo et graphiques : une réécriture des Suppliantes d’Eschyle et une grande réflexion autour de la Commune, mouvement révolutionnaire français des années 1870.
Comme tous les projets de la compagnie marseillaise de la Belle de Mai, ces travaux reposent sur une volonté d’“art en commun”, tel que nous le précise son cofondateur, Fabien-Aïssa Busetta. “On fait partie d’un mouvement de décolonisation des arts. On part d’un constat simple : la France, aujourd’hui, c’est 30 % de descendant·e·s de colonisé·e·s. On cherche à articuler notre visibilité dans les narrations, dans les images et à repenser le collectif.”
La compagnie réinterroge des œuvres et parties de l’histoire à la lumière de notre XXIe siècle afin de rappeler des vérités parfois oubliées par le discours dominant. Au hasard : que nombre d’étranger·ère·s participèrent à la Commune – qui rassemblait alors les volontés d’émancipation sans discrimination –, et que Les Suppliantes traite de démocratie, d’émancipation des femmes et de demandes d’asile. “C’est le premier des récits de l’histoire de l’humanité où on se rend compte que l’humain est un animal migrant”, déclare Fabien-Aïssa Busetta.
À la Biennale, la compagnie présente un florilège de ses actions et performances réalisées avec des enfants et habitant·e·s de la Belle de Mai. Photographies, affiches, enregistrements et installations viennent confirmer la puissance du collectif et la nécessité de la pluralité des voix.
Zhang Yunyao met les sens en alerte
Zhang Yunyao, Study for Figures, 2022, commande à l’occasion de la 16e édition de la Biennale de Lyon, Musée Guimet. (© Don Gallery, Shanghai/Photo : Blaise Adilon)
Le travail de Zhang Yunyao laisse le public coi. Combinées, la précision de ses traits, les nuances de ses gris et la douceur du feutre qu’il utilise comme support forcent le respect et invitent au silence. En observant mieux, on découvre que les sujets de ses dessins aux apparences si douces sont un peu plus osés que prévu.
Inspiré par les “iconographies fétichistes et cinématographiques”, l’artiste fait dialoguer, en très gros plan, des parties du corps et des pratiques BDSM. Le côté feutré de ses supports s’apparente ainsi davantage à l’intérieur d’un boudoir qu’à une matière enfantine.
Zhang Yunyao, 2022, commande à l’occasion de la 16e édition de la Biennale de Lyon, Musée Guimet. (© Don Gallery, Shanghai/Photo : Blaise Adilon)
Extrêmement minutieux, Zhang Yunyao manie pastels et mines graphites pour créer des œuvres au réalisme troublant, qui semblent prendre plaisir à se faire passer pour des tirages photo au grain accentué. Avec ses œuvres, l’artiste parvient à concrétiser l’expression “toucher avec les yeux”. Il interroge les potentialités et limites de la peinture en même temps qu’il propose un jeu d’illusions où s’entremêlent et s’entrechoquent nos perceptions, nos sensations et la réalité.
Nadine Labaki et Khaled Mouzanar donnent vie aux douleurs de l’exil et de la guerre
Nadine Labaki et Khaled Mouzanar, Le Monde va à la guerre et moi j’en reviens, 2022, commande à l’occasion de la 16e édition de la Biennale de Lyon, Musée Guimet. (© Jorj A. Mhaya et Mooz Film, avec le soutien de Alabama/Photo : Blaise Adilon)
Réalisé par Nadine Labaki, Le Monde va à la guerre et moi j’en reviens est basé sur une chanson de Khaled Mouzanar. Il y décrit “toutes les victimes de la guerre qu’il a rencontrées dans son enfance”, note la Biennale.
Comme des fantômes qui continuent de le hanter, les personnages dessinés par l’illustrateur Jorj A. Mhaya à l’encre de Chine et à l’aquarelle avancent “vers une mort inéluctable” : “Mais [Khaled Mouzanar] veut avertir tout le monde de l’horreur des guerres et de ses tragédies avant d’enterrer ce souvenir insoutenable. Il marche dans le sens inverse, et se retrouve seul avec les fantômes de son enfance toujours à sa poursuite…”
Le court-métrage d’animation d’une durée de plus de cinq minutes est projeté dans une salle sombre du musée lyonnais Guimet sur un grand écran concave. Si l’espace a des allures de “bunker”, c’est pour que le public se retrouve d’autant plus plongé dans la “brutalité de la guerre” et le chaos de l’exil.
Nadine Labaki et Khaled Mouzanar, Le Monde va à la guerre et moi j’en reviens, 2022, commande à l’occasion de la 16e édition de la Biennale de Lyon, Musée Guimet. (© Jorj A. Mhaya et Mooz Films, avec le soutien de Alabama/Photo : Blaise Adilon)
La Biennale d’art contemporain de Lyon “Manifesto of Fragility” se tient jusqu’au 31 décembre 2022.