C’est l’histoire du chewing-gum de Nina Simone, subtilisé après un concert de la star par Warren Ellis, complice musicien de Nick Cave, resté vingt ans dans une serviette puis exposé au Danemark et aujourd’hui dans un coffre-fort à Montréal.
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“Pour moi, ce n’était pas un acte fétichiste, je ne sais même pas pourquoi je l’ai pris, mais très vite, c’est devenu très important pour moi, comme un totem, touché par elle. Je l’ai gardé pendant vingt ans, juste pour moi”, raconte à l’AFP Warren Ellis.
C’était en 1999, lors d’un festival à Londres organisé par le musicien et artiste australien Nick Cave, avec Nina Simone en tête d’affiche. Ellis écrit dans son livre Le chewing-gum de Nina Simone (éditions La Table Ronde) être monté sur scène dès que la diva en partait pour récupérer ce “truc le plus cool qui soit” : ce chewing-gum collé dans la serviette avec laquelle Nina Simone s’était épongé le front, laissée sur son piano.
“Je ne me suis jamais senti propriétaire du chewing-gum, l’idée qu’il était dans la serviette était plus importante que de le voir, comme quelque chose de spirituel”, poursuit le multi-instrumentiste, fidèle de Nick Cave, que ce soit sur scène, sur disques, ou pour des BO de films comme celle de Blonde d’Andrew Dominik, inspiré par la vie de Marilyn Monroe.
En 2019, Cave demande à son vieux complice s’il n’aurait pas un objet en rapport avec la musique pour une exposition à Copenhague. “Tu m’inquiètes”, répond-il par texto quand Ellis lui apprend qu’il a toujours le fameux chewing-gum roulé dans la serviette de la chanteuse. Cave se souvient alors de “l’air possédé” d’Ellis, comme il l’écrit en préface, fonçant vers le piano de Nina Simone. L’idée que cette relique soit exposée dans une vitrine, sous surveillance, emballe les deux hommes.
Un pendentif du moulage
C’est le début d’un autre voyage. Le chewing-gum sera décollé de sa serviette par Hannah Upritchard, créatrice de bijoux néo-zélandaise installée à Londres. Elle en fera des moulages pour en laisser une trace s’il arrivait malheur à l’original. Pendant que le chewing-gum de Nina Simone est exposé au Danemark, une autre créatrice, la Belge Ann Demeulemeester, connaissance d’Ellis, réalisera un pendentif d’après les moulages. Ellis est toujours fier de montrer autour de son cou son pendentif, réplique en argent de la sucrerie originelle.
En écrivant l’odyssée de ce chewing-gum pas comme les autres, Ellis s’est finalement raconté. À quoi tient un destin ? À une décharge, dans la banlieue de Ballarat, en Australie, où Ellis traînait enfant. Un jour, parmi les détritus, Ellis y découvre un accordéon. Ce sera son premier instrument, avant le violon. Un de ses frères y trouvera un moteur de tondeuse à gazon et deviendra mécanicien.
Au fil de l’écriture de son livre, Ellis comprend pourquoi il a gardé autant de temps chez lui ce chewing-gum. Ce concert de Nina Simone et cet objet coïncident avec un changement de vie salutaire.
Comme “la Joconde au Louvre”
“Dans les années 1990, j’avais des problèmes d’alcool, de drogue, j’étais timide, je n’aimais pas être sur scène, alors quand j’étais défoncé, c’était plus facile”, se souvient-il dans un français parfait (il vit en région parisienne quand il n’est pas dans un avion pour Londres, Los Angeles ou Sydney). “Mais vers la fin des années 1990, j’ai vu que ça marchait contre moi : ça devenait impossible de travailler avec moi. La musique m’a dirigé et protégé, il fallait que j’arrête (les addictions), c’était simple comme noir et blanc.”
Aujourd’hui, il rêve de trouver “un endroit où le public peut voir” le chewing-gum “en permanence”, comme “la Joconde au Louvre”.
Il faudra un jour recenser ces objets récupérés par des artistes auprès de leurs idoles. Au détour d’un entretien, le chanteur Stephan Eicher confie à l’AFP avoir gardé un bout de joint que l’acteur et réalisateur Dennis Hopper lui avait tendu lors d’un dîner.