En plus de sa passion pour la photographie, héritée de son père et de ses voyages entre ses deux pays, le Pérou et la France, Claudia Rivera est étudiante. À la fin 2020, elle débute, pour son master d’études sur le genre, un mémoire sur “la représentation des femmes latino-américaines en France”.
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Voyant qu’il “s’agit d’une question très peu abordée depuis le contexte français”, elle finit par transformer sa recherche écrite en projet photographique “afin de la rendre plus accessible à un plus grand nombre de personnes” :
“J’ai d’abord commencé par réunir et photographier en groupe les femmes latinas de mon entourage. Mais suite aux premiers retours et au nombre de participantes grandissant, mon simple projet de recherche universitaire s’est transformé en un projet photographique indépendant valorisant la pluralité et la diversité des femmes latinas. Il s’agit pour moi d’un projet nécessaire car nous souffrons toutes du manque de représentation qui amène à une invisibilisation violente de nos existences, et qui rend le rapport à nos identités et origines particulièrement complexe.”
© Claudia Rivera
Lorsque Claudia Rivera utilise le terme de “latina”, ce n’est pas sans contextualisation :
“À l’origine diminutif de ‘latino-américaine’, [le mot] ‘latina’ est aujourd’hui associé à tout un imaginaire colonial où [la latina] ne représente qu’un simple objet de désir et d’exotisme, quand elle est perçue d’un regard extérieur à celui de notre communauté. Bien loin de son sens originel, il s’agit d’un terme qui devient sexuellement et racialement chargé. [Cela maintient] une vision déshumanisante et fantasmée de nos corps qui nous fait violence quotidiennement.
Nous montrer au sein de ces photographies a donc été une nécessité afin de rappeler que ‘la latina’ n’existe pas mais qu’il en existe une multitude, où chacune d’entre elles est légitime. Et surtout, que nous sommes bien présentes en France, malgré les milliers de kilomètres qui nous séparent de chez nous.”
© Claudia Rivera
Pour mettre en lumière cette “multitude” de profils, Claudia Rivera a fait appel à des femmes originaires d’Amérique latine ayant “chacune une histoire différente”. “Certaines sont nées là-bas, ont grandi là-bas, d’autres sont nées ici de parents latinos, d’autres sont métisses, une des participantes a été adoptée… Toutes ont un rapport différent à leurs origines et à l’Amérique latine, ce qui rend le projet Ñañaykuna d’autant plus riche.”
Un projet “sororal”
Claudia Rivera confie avoir choisi comme titre de son projet le mot Ñañaykuna, un terme Quechua Wanka, “le dialecte de [sa] famille paternelle”, qui décrit, pour elle, “un espace sororal, un espace entre sœurs : notre espace construit pour nous et par nous”.
© Claudia Rivera
Pour mettre en avant cet esprit de sororité tout en insistant sur la multiplicité des profils invités, la photographe nous explique avoir divisé son projet en deux parties. D’un côté, des photos de groupe ; de l’autre, des portraits individuels :
“À travers les photos de groupes, j’ai voulu mettre en valeur la diversité présente au sein de notre communauté. Montrer qu’il n’existe pas un unique physique de latina mais qu’il en existe une infinité.
En effet, on a tendance à uniformiser ce que serait une latina à travers un regard exotisant et fantasmé. À penser qu’il s’agit uniquement d’une femme ni trop blanche, ni trop noire, avec des formes pulpeuses, de longs cheveux noirs et lisses… Cela participe inévitablement à l’invisibilisation d’une grande partie des femmes latinas et notamment des femmes indigènes et noires, pourtant bien présentes dans toute l’Amérique latine.”
© Claudia Rivera
En parallèle, les portraits – “beaucoup plus intimes” – se concentrent sur les histoires propres à chaque modèle. L’artiste leur a demandé comment chacune d’entre elles conservait son “lien avec l’Amérique latine depuis la France”. Leurs réponses ont conditionné la réalisation des images :
“Par exemple, pour Kiara, Péruvienne, c’est quand elle cuisine et fait les courses avec sa mère au Latino Market. On est donc parties faire des photos de Kiara là-bas, avec différents produits péruviens. Un autre exemple est celui de Citlali, Mexicaine, qui garde un lien avec le Mexique au travers d’événements culturels mexicains qu’elle célèbre avec sa mère. Pour sa photo, on a construit un petit autel del Dia de los Muertos, en plein Paris.”
© Claudia Rivera
De l’importance des représentations
Avec son projet, Claudia Rivera souhaite “offrir de nouvelles représentations de femmes latinas” en se plaçant “en opposition au modèle stéréotypé qui ne permet pas de saisir toute la diversité existante au sein de notre communauté et qui participe à maintenir une vision exotisante et déshumanisante de nos corps”.
Insistant sur le “rôle primordial” que jouent les images dans la construction des identités, l’artiste lie son projet à une reprise de pouvoir et de contrôle – pour elle et pour les autres. “Nous avons besoin d’avoir des modèles auxquels s’identifier afin de mieux comprendre qui nous sommes. En tant que latinas, nous n’en avons malheureusement aucun en France. Les seules modèles qui arrivent jusqu’ici viennent des États-Unis, ce sont Shakira ou Jennifer Lopez.”
© Claudia Rivera
Afin d’ouvrir ces représentations au plus grand nombre, Claudia Rivera organise ce week-end un événement dédié. Pendant trois jours, elle invite des femmes originaires d’Amérique latine à partager leur art, qu’il s’agisse de photos, de tatouages, de cuisine, de film, de danse ou de musique.
Ñañaykuna ne s’évanouira pas à l’issue de cette semaine. Claudia Rivera se réjouit de l’évolution de son projet, qui ne cesse de grandir : “Il me reste encore beaucoup de photos à faire ! J’ai hâte de voir à quoi il ressemblera d’ici dix ans”, conclut-elle avec enthousiasme.
© Claudia Rivera
© Claudia Rivera
© Claudia Rivera
L’événement Ñañaykuna aura lieu ce week-end au Studio (Paris), du 25 au 27 mars 2022. Vous y retrouverez les œuvres de Claudia Rivera mais aussi d’Alehandraw, Bettina Pittaluga, FangsOut, Helene Tchen, Juliette Malveau Amado, La Tessita, Maira Villena, Milena Carranza ; les flash tattoos de Shilita Tattoo ; la nourriture de Sazon Latin Soul Food ; les concerts de Bangala, Bel’Oka, Bianca Costa, La Coya, Banga, DJ ElDany, Pony Sirena Tropical ; la projection du film Rose des Vents d’Ina Lopez ainsi qu’un cours de salsa.
Vous pouvez retrouver Claudia Rivera sur Instagram.