Si Médine est un “Rappeur 2 force”, ce n’est pas de brutalité dont il est question mais de réflexion. L’artiste, qui utilise son rap pour questionner le monde, en profite aussi pour se raconter. À l’occasion de la sortie de son dernier album, Prose Élite, on en a profité pour retracer son histoire à travers ses phases les plus personnelles.
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Le 24 février, Médine sortait son cinquième album studio, Prose Élite. Un projet riche en verbe, en story telling et en prises de position, dans lequel le rappeur fait la part belle à l’edutainment, un concept d’éducation via le divertissement qui imprègne son œuvre. Cet album, dont le titre fait référence au Prose combat de Mc Solaar, vient consacrer une carrière prolifique débutée il y a 13 ans avec la sortie de son premier album : 11 septembre, récit du 11e jour.
Une carrière faite d’engagements à la musique et à ses valeurs, qu’il défend de sa plume aiguisée et qu’on a décidé de revisiter. À l’occasion de la sortie de son dernier album, on a fouillé dans le répertoire de Médine afin de revenir sur différentes étapes de sa vie, de son enfance à la reconnaissance académique en passant par ses débuts dans le rap.
“J’suis Haut-Normand depuis la sortie du tre-ven” – “Biopic”
Médine | Je suis né au Havre en Normandie, donc je me sens vraiment normand. Je n’ai peut-être pas les attributs d’un Normand comme on se le représente, mais je me sens profondément normand dans la tradition de ma ville. Je m’intéresse à ma localité et je m’investis en tant que président d’association sportive. Mon père est né en Algérie mais a grandi là-bas, ma mère est quant à elle née au Havre. Ça fait deux générations qu’on est ici, donc je me sens ancré en tant que Normand.
“Avant d’être sociale, ma couverture est maternelle. Adolescent gâté mais désobéissant. Qui collectionne les mensonges, comportement avilissant. Je regrette tellement, j’espère te rembourser un jour. Quitte à sacrifier ma vie, faire mes excuses au grand jour” – “Combat de femme”
Il y a toujours une anecdote qui me vient à l’esprit en parlant de mensonge à ma mère, et qui illustre bien mon état d’esprit d’adolescent. J’étais à la boxe avec mon père, qui est entraîneur. Il rentrait en voiture chez moi et je le tannais pour rentrer à pied avec un copain, car on parlait de rap à fond. On parlait des derniers sorties : à l’époque c’était Double Pact.
Je suis rentré tard. Pour éviter de me faire punir par ma mère, je lui ai raconté un mensonge terrible. J’avais une bague avec des inscriptions en arabe dessus. Je lui ai dit que je m’étais fait contrôler par la police qui m’avait gardé tout ce temps-là et qui m’avait confisqué cette bague. C’était déjà arrivé à des amis, donc j’avais mélangé le vrai et le faux. Ma mère savait que j’étais en train de mentir, elle m’a laissé dans le mensonge jusqu’à ce que mon père entende l’histoire. Il voulait m’emmener au commissariat chercher la bague. À ce moment-là, j’ai tout avoué. C’était l’adolescent que j’étais : dès que je pouvais me faufiler pour éviter les punitions, je le faisais, j’étais filou.
“Moi je m’en veux d’avoir séché des cours, d’avoir choisi la sortie plus que la roue de secours” – “Médine”
Le rythme de l’école ne me correspondait pas. J’étais un créatif et je sais aujourd’hui que me bourrer le mou avec des connaissances pour m’orienter dans un endroit ou un autre ne m’allait pas. Bien sûr, à l’époque, je n’avais pas ce recul. Je passais donc par des petites rebellions, comme ne pas aller à certains cours. Je séchais au lieu de choisir quelque chose qui m’aurait garanti un métier, une vie active honorable comme beaucoup la conçoivent.
J’ai aussi commencé le rap très jeune. À 12-13 ans, je commençais déjà à faire quelques concerts. Je partais même à l’extérieur avec un autre groupe qui s’appelait Nécessité. Ils étaient plus âgés et donc, pour certains, ils avaient déjà fait leur choix de carrière. Moi, j’étais encore à l’école, alors parfois j’allais à un concert au lieu d’aller en cours. Après, j’ai justement choisi comme voie de sortie un baccalauréat tertiaire. La comptabilité, ce n’était pas mon truc, mais il y avait peu de travail nécessaire à la maison et j’avais besoin d’être concentré sur le rap à cette époque plus que sur mes devoirs. C’était un choix par défaut.
“Encyclopédie musicale de Marseille. Lorsque je détestais l’école et ses conseils. Sans oseille on braque les skeuds à la Fnac. C’est IAM, je suis en larmes à chaque fin de track” – “Lecture aléatoire”
Les membres d’IAM étaient mes professeurs d’Histoire. Akhenaton a toujours eu des références ultra sophistiquées dans ses albums : que ce soit sur l’Égypte ancienne, la culture afro-américaine ou les droits civiques. Cela m’a éduqué. À l’époque, on n’allait pas sur Google pour vérifier les paroles mais on cherchait dans les dictionnaires, on allait plus loin dans la démarche pour essayer de comprendre les textes de rap.
Les références aux rappeurs qui m’ont influencé sont chronologiques dans ce morceau. Ça commence par IAM, puis NTM, Lunatic, Ärsenik, Ideal J. Les premiers m’apportaient beaucoup en termes de références historiques puis les derniers en terme de spiritualité, notamment Kery James.
Son album Si c’était à refaire était un exutoire spirituel. Il permettait de se raccorder à quelque chose de contemporain. Quand t’es un jeune musulman, tu te réfères à une tradition littéraire religieuse, mais en fait c’est assez abstrait pour un adolescent. Avec cet album, on voyait quelqu’un qui était rempli de doutes, cherchant la rédemption et qui se raccordait à la foi pour se sauver de ses tiraillements. Ça nous donnait donc quelque chose de concret et contemporain pour aborder sa foi dans le contexte de 2001. La manière dont je consommais le rap et dont je choisissais mes rappeurs avait un intérêt éducateur. À l’époque, je concevais difficilement le rap comme un divertissement.
“À moins d’seize ans pour l’rap j’engage tout. Parcours épique, épopée d’une équipe” – “Biopic”
Au lycée, on avait un collectif qui s’appelait la Boussole. C’était un collectif de ma région, de ma ville du Havre. On habitait plus ou moins le même quartier. On a commencé à se professionnaliser à ce moment-là. On a sorti notre premier album en indépendants – et pour cela il a fallu acquérir une connaissance de l’économie musicale (pour financer les impressions de disques, la mise en bac, etc.). C’était les prémices du label Din Records. Ce projet m’a donné envie de me professionnaliser dans ce domaine : peu importait le poste, je voulais travailler dans un label.
“Premier studio dans une ancienne régie. Quelques boîtes d’œufs pour l’acoustique feront la tapisserie. On refait le monde jusqu’à pas d’heure. Jusqu’à l’aube et sa pâleur” – “Biopic”
À cette époque, on a réussi à braquer une régie dans un centre social dans notre quartier. On l’avait customisée en mettant des boîtes d’œufs contre les murs pour l’insonoriser et faire des prises de voix relativement propres. C’était notre repère, notre bunker, l’endroit ou on refaisait le monde et où on posait les bases de ce qu’allait être le label Din Records, avec les artistes que l’on connaît aujourd’hui comme Tiers Monde, Brav et moi.
“Volontairement cassé la clef dans la serrure de la porte des majors proposant la signature” – “Premier sang”
Si on n’a pas signé avec une maison de disques au début, c’était par dépit. Personne ne regardait dans notre direction, alors on a décidé de créer notre propre porte qu’on voulait franchir ensemble. C’était compliqué sur le papier : j’étais un rappeur normand, qui sortait des albums aux titres subversifs (11 septembre, Djihad). Aucune maison de disques ne prenait le risque de s’engager dans cette voie-là.
On s’est dit : on le fait en indépendants, on voit ce que ça donne et on fera ce qu’on pourra. Sur les premier albums, on a eu un succès d’estime jusqu’a ce que les maisons de disques viennent nous faire des propositions intéressantes. Les premières propositions, c’était plus que nécessaire car on était dans des situations compliquées avec les endettements de chacun pour sortir les premiers albums. Signer en maison de disques en 2006 correspondait à un sauvetage.
“Si l’amour rend aveugle, j’crois que l’amitié ça crève les yeux. Mon nom d’famille c’est Din Records, prénom Médine. J’suis l’homme aux mille concerts donnés aux allures de meetings” – “Biopic”
L’équipe avec qui je bosse aujourd’hui a toujours été la même : Salsa (gérant du label Din Records et ancien de Nécessité) et Proof (l’architecte musical de tout le label) que je connais depuis l’enfance. Din est devenu une maison de disques avec une marque de fabrique porteuse d’un discours qui est dans l’émancipation, dans l’edutainement : l’éducation via le divertissement.
“J’ai la force de la culture face à la culture de la force” – “Rappeur 2 force”
Cette idée est centrale à tous mes morceaux. J’ai du mal à faire de l’egotrip, même si j’aime bien l’écouter. J’ai du mal à écrire ne serait-ce que pour écrire. Il faut qu’il y ait un fil rouge qui nourrisse les esprits, qui remplisse un certain nombre de règles. J’ai du mal à aborder la musique autrement. Mais c’est ma particularité et c’est ce pourquoi les gens m’écoutent depuis le début. Il y a une ligne directrice qui fait que la musique est un moyen pour véhiculer un message.
“Moi qui voulais faire du rap français une passerelle vers les grandes écoles” – “Biopic”
Le rap s’infiltre là où certains discours politiques et les parents n’arrivent pas à s’infiltrer. C’est un peu l’idée du rap, c’est populaire, c’est malléable, ça s’infiltre partout. Dans ce morceau, je parle de grandes écoles car j’ai eu connaissance des grandes écoles que trop tard. Si via cette musique on peut susciter des vocations dans le rap, dans le journalisme, dans l’entrepreneuriat, alors je partage les connaissances que j’ai pu acquérir grâce à elle. Ça permet de véhiculer un état d’esprit : celui de se documenter, de vérifier ses sources, ce qui est important dans chaque carrière. Via mes morceaux, j’essaye de véhiculer le dépassement de soi, peu importe la discipline dans laquelle on œuvre.
“Accent normand sur langue de Molière, je suis pas normalien” – “Global”
[Médine sera prochainement invité à une conférence de l’ENS, ndlr], C’est anoblissant, pour toi et ta discipline, d’être invité par les grandes écoles. Après, je ne veux pas non plus m’enfermer dans un rôle de rappeur intellectuel. Ce qui me rassure c’est que Booba soit étudié à Harvard aujourd’hui, que PNL soit à certains endroits étudié dans des programmes scolaires. Cela me rassure que la pluralité du rap soit représentée dans les grandes écoles et qu’il n’y ait pas seulement une seule catégorie de rappeur étudiée ou invitée. Ce serait stigmatisant pour le rap.
L’album Prose Élite de Médine est sorti le 24 février. Le rappeur est actuellement en tournée dans toute la France et se produira le 26 mai à La Cigale. Il sera aussi l’invité de l’École normale supérieure d’Ulm le 28 mars, pour s’exprimer sur son travail dans le cadre du séminaire “La Plume & le Bitume”.