La 5ème Vague, sorti au cinéma le 27 janvier, dépeint une attaque extraterrestre en cinq étapes successives dont le but est la destruction totale de l’humanité. Si nous étions un jour attaqués par une civilisation à la technologie largement supérieure à la nôtre, quels seraient nos atouts pour survivre ? Entretien avec des spécialistes.
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Le scénario de La 5ème Vague a-t-il des chances de se produire ? S’il est peu probable que la Terre soit envahie dans l’immédiat par une civilisation extraterrestre, ce n’est pas absolument impossible… Le film de J Blakeson, avec Chloë Grace Moretz, imagine une Terre ravagée par quatre vagues d’invasions extraterrestres devant faire face à une cinquième attaque qui pourrait bien être fatale pour l’humanité.
Pour tenter de se projeter dans cet avenir – on l’espère – lointain, nous avons convoqué deux hauts gradés : le général Bernard Norlain, officier de l’armée de l’air, et le lieutenant-colonel Olivier Entraygues, enseignant-chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Leur éclairage est complété par celui d’Emmanuelle François, chef du pôle communication de la Direction de la sécurité civile et de la gestion des crises.
Konbini | De votre point de vue, une attaque de la Terre par une force extérieure hostile est-elle vraisemblable ?
Bernard Norlain | Répondre à cette question est très difficile. Ce que j’ai toujours dit, c’est que dans la masse des observations qui ont été faites lors du rapport Cometa sur les phénomènes spatiaux non identifiés, certaines n’ont jamais trouvé d’explication. Il fallait s’y intéresser et essayer de comprendre, dans la mesure de ce que l’on peut comprendre.
À partir de là, est-ce que ces phénomènes témoignent d’une vie extraterrestre ou pas ? C’est pour l’instant beaucoup trop tôt pour le dire dans l’état actuel de nos connaissances scientifiques. Jusqu’à maintenant, tout ce que les scientifiques peuvent dire, c’est qu’on raisonne dans des dimensions et un espace-temps tout à fait différent, qui est énormément élargi. Donc pour l’instant, on ne peut pas savoir.
Olivier Entraygues | Notre horizon, c’est la mondialisation, c’est la Terre. Il faut intégrer dans notre raisonnement que nous puissions être attaqués un jour de l’extérieur !
Comment une alerte rapide et efficace pourrait-elle être mise en œuvre en cas d’attaque ? Dans La 5ème Vague, l’information passe surtout par la télévision…
Emmanuelle François | Le système d’alerte et d’information des populations (SAIP) serait le signal privilégié pour prévenir les populations, si toutefois on devait faire face en France à une attaque extraterrestre. Dans la mesure où le signal national d’alerte est destiné “à alerter et informer en toutes circonstances la population soit d’une menace ou d’une agression, soit d’un accident, d’un sinistre ou d’une catastrophe”.
Dans le cadre d’une catastrophe de sécurité civile, c’est le maire, le préfet ou le Premier ministre qui déclenche l’alerte. Mais, en cas d’attaque aérienne, ce sont les centres de détection et de commandement du Centre national des opérations aériennes (CNOA) de l’armée de l’air qui s’en chargent. Ils reçoivent leurs instructions directement du Premier ministre. C’est pourquoi le réseau des sirènes assurant sa diffusion est géré par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’Intérieur, avec l’appui du service de l’alerte, composé d’officiers réservistes de l’armée de l’air.
Par ailleurs, le volet “alerte” du SAIP est complété par son volet “information”, lequel s’appuie sur un ensemble de dispositifs complémentaires tels que la diffusion d’informations via les panneaux à messages variables des communes ou des autoroutes, la téléphonie mobile, bientôt, ou encore les médias publics (Radio France ou France Télévisions). Ce volet “information” permet de diffuser des consignes de sauvegarde ou des éléments liés à la nature de la crise.
Que doivent faire les citoyens pour se protéger une fois qu’ils ont été alertés ?
Emmanuelle François | Si la venue d’une forme supérieure d’intelligence en provenance d’une autre planète devenait autre chose qu’un sujet de film, sachez que les premiers réflexes de sauvegarde attendus sont les mêmes que pour une crise d’origine naturelle. D’abord, se mettre en sécurité : soit rejoindre le bâtiment le plus proche et s’y confiner ou bien évacuer la zone de danger.
Afin d’adopter le bon comportement, il est primordial de s’informer. Pour cela, un poste de radio à piles est le meilleur moyen, puisqu’il permet de capter les informations transmises par les antennes locales, même si les réseaux sont coupés. Par ailleurs, il ne faut pas téléphoner en dehors des cas d’urgence médicale afin de laisser les réseaux de communication disponibles pour les services de secours.
Enfin, mieux vaut ne pas aller chercher ses enfants à l’école, ils y sont protégés par leurs enseignants. En plus d’encombrer les voies de circulation, cela vous mettrait en danger. Le mieux est donc de préparer en amont son plan familial de mise en sûreté ainsi que son kit d’urgence.
Quels sites nous faudrait-il protéger en priorité ? Dans La 5ème Vague, les envahisseurs s’en prennent d’abord à nos moyens de communication et à nos systèmes électriques…
Olivier Entraygues | Le problème, c’est que votre question est déterministe. Elle donne une vision technologique du monde. Le monde d’aujourd’hui, c’est-à-dire cette nouvelle société dans laquelle nous évoluons et qui est la superposition d’une société numérique et d’une société industrielle, repose sur notre économie, nos complexes militaro-industriels et nos écrans. C’est une vision complètement occidentale du monde.
Au fin fond de l’Afrique, en Chine, les gens peuvent s’organiser, communiquer, travailler, sans reposer exclusivement sur le réseau. C’est parce que l’on a cru à cette augmentation cumulative de la technique qu’on est aujourd’hui tellement liés à la société de l’écran et qu’on n’a pas assez travaillé sur les autres moyens de communiquer qui sont ancestraux, les porteurs de message, le papier…
Le déclenchement de nos systèmes d’armement dépend pourtant entièrement de l’électricité !
Olivier Entraygues | Dès l’instant où nous serons attaqués, nous ne serons plus dans un schéma de guerre classique entre États. Nous serons dans un schéma de guerre entre une espèce, la nôtre, et une autre espèce qui vient nous attaquer. Nous serons dans une logique de darwinisme extrême appliqué à la guerre.
Avant de combattre et de mettre en place nos systèmes d’armes pour riposter, il faudra trouver des solutions pour continuer à vivre sur notre planète : se nourrir, s’abriter, se protéger. Du coup, cette question n’est pas prioritaire. Il faut d’abord régler le problème de la survie pour ensuite répliquer et faire face à cette agression contre l’espèce humaine. Il faut revenir sur les fondamentaux de l’homme, qui sont de vivre, de ne pas mourir.
Nous serons donc naturellement enclins à d’abord chercher à nous protéger avant de trouver un moyen de neutraliser l’espèce qui nous attaque, quitte à trouver par la suite un moyen de se procurer de l’électricité pour rendre notre riposte plus efficace.
“Je crois à l’intelligence collective, c’est elle qui nous sauvera”
Dans La 5ème Vague, on voit que cette attaque concerne très rapidement tous les êtres humains, pas seulement les militaires. Tout le monde pourrait donc potentiellement devenir un soldat et l’on rentrerait alors dans une logique de guerilla pour compenser notre déficit technologique très important ?
Olivier Entraygues | Dans cette guerre, qui n’est pas encore pensée ni théorisée, les hommes qui vont réussir à faire face à cette menace ne seront pas les plus rapides ou les plus forts. Ce seront ceux qui réussiront à coopérer ensemble. On va certainement voir des alliances inédites, des ennemis qui se rassembleront pour trouver ensemble des solutions. L’homme va dépasser ses divergences entre peuples, religions, cultures, pour mettre en avant l’intelligence collective. C’est cette intelligence qui nous sauvera.
Bernard Norlain | Sous quelle forme une telle attaque se produirait-elle ? Quelle serait sa capacité de destruction immédiate ? C’est de l’ordre de la pure spéculation. Si nous devions affronter les engins qui sont décrits dans le rapport Cometa, nous serions forcément perdants. Se battre contre des dispositifs capables de franchir des millions d’années-lumière, c’est devoir se battre contre des systèmes d’armement qui sont nettement supérieurs à ceux que l’on peut avoir !
“C’est extrêmement difficile de se mettre à la place d’un ennemi qu’on ne connaît pas”
Le film imagine une attaque en cinq vagues successives : neutralisation des communications, catastrophes naturelles, pandémies, infiltration et attaque générale. Pourquoi une civilisation technologiquement supérieure s’embêterait-elle avec ces étapes ?
Bernard Norlain | C’est difficile à dire. Tous ces scénarios que vous évoquez sont étudiés dans le cadre de notre façon rationnelle de penser. Qui vous dit que ces envahisseurs ont la même manière de concevoir les choses que nous ? Il est extrêmement difficile de mettre en place une stratégie de défense tant qu’on ne connaît pas l’assaillant et le type d’attaque.
Tout peut être envisagé. On serait dans une guerre totalement différente de celle à laquelle nos forces armées sont préparées. Peut-être une cyberguerre d’un genre nouveau, dans un premier temps, avec ensuite un choc électromagnétique majeur immédiatement suivi d’une attaque brutale. Mais cela reste une supposition gratuite. Et si cela devait arriver, nous perdrions à coup sûr !
“Je crois que face à cette menace, la technologie ne nous servira pas beaucoup”
En termes d’armement, quelles sont les armes du futur qui nous permettraient d’être plus efficaces face à un ennemi extraterrestre ?
Olivier Entraygues | Durant la préhistoire, la première arme qui est apparue sur un champ de bataille c’est un boomerang. On ne peut pas désinventer le boomerang comme on ne peut pas désinventer la bombe atomique et le feu nucléaire. Toutes ces armes sont présentes sur le champ de bataille.
Je refuse de rentrer dans une vision strictement technologique de l’homme en guerre car, la guerre, avant d’être un conflit de volontés ou un conflit matériel entre puissances suréquipées, est d’abord une guerre d’idées et une lutte d’intelligences. Je crois que face à cette menace, la technologie ne nous servira pas beaucoup. Encore une fois, c’est l’intelligence collective qui nous permettra de trouver une solution.
Peut-être que l’on s’enfermera dans des grottes comme à la préhistoire. Il est aussi possible que cette nouvelle espèce biologique qui nous attaquerait ne soit pas capable de vivre dans les conditions de température, de pression et d’environnement de la Terre, et qu’elle finisse par comprendre, au bout d’un certain temps, qu’il faudrait mieux qu’elle parte. C’est l’analyse de la situation qui nous sauvera.
C’est certainement une vision très darwiniste, mais dans le cadre d’une attaque de ce type il faudra d’abord avoir une vision anthropologique, une vision de l’homme d’abord et après, seulement, de la technique. On est dans une logique darwiniste de survie de l’espèce. Et pas seulement de défense ou d’attaque d’un territoire.
Les ministères de la Défense et de l’Intérieur, les services de presse de la gendarmerie et de l’armée, l’Agence spatiale européenne, le Centre d’études spatiales nous ont tous dit qu’il n’existait aucun plan officiel de défense des populations au cas où ce type d’attaque se produirait. Vous confirmez ?
Olivier Entraygues | Pourquoi cacherait-on des choses ? Il y a parfois, en effet, dans le cadre de certaines opérations une culture du secret qui est nécessaire. Mais elle a ses limites. Sans rentrer dans une logique de mythomanie et d’agression, la réponse qui vous a été faite est recevable et logique.
Cela fait dix ans que j’évolue dans ce monde de penseurs militaires, j’ai une cartographie européenne très précise des études qui sont en cours et à part Christopher Coker, un chercheur de la London School of Economics qui a poussé très loin ses recherches dans ce domaine et qui fait aujourd’hui référence, personne ne s’intéresse à ce sujet ! Il faudrait une masse critique de chercheurs travaillant sur cette thématique pour que l’état-major des armées ou l’Otan commencent à s’intéresser à la question.
Bernard Norlain | Il n’existe en effet aucun plan de défense. Les seuls dispositifs qui existaient étaient des dispositifs d’observation et d’information. Et ils ont quasiment disparu. Ces dernières années, beaucoup moins d’observations ont été faites et, du coup, il y a eu beaucoup moins d’intérêt de la part des autorités. On ne plus jugeait plus cela ni nécessaire ni urgent. Il n’y a actuellement plus grand monde qui s’occupe de cela.
“Loin de moi l’idée de sous-estimer Daech, mais le problème que nous aurions en cas d’attaque extraterrestre serait infiniment supérieur !”
En cas de problème majeur global, les différentes forces armées sont-elles à même de s’organiser rapidement pour une riposte commune ?
Olivier Entraygues : L’Otan peut être vue comme un outil efficace pour organiser rapidement notre défense. Face à cette menace, qui dépasse le simple cadre étatique, et qui est une menace contre notre espèce, il faudra sortir du simple cadre de l’alliance. Comment les pays vont-ils se regrouper pour faire front ?
On arrive aujourd’hui à se rapprocher de la Russie – ce qui était totalement impensable avant – pour résoudre le problème de l’État islamique. Loin de moi l’idée de sous-estimer Daech, mais le problème que nous aurions en cas d’attaque extraterrestre serait infiniment supérieur ! Notre capacité à collaborer se trouvera renforcée par l’ampleur de la menace.
Face à un tel danger, le bon sens primera sur tout le reste. L’intérêt sera la survie de l’espèce humaine. Carl von Clausewitz [un général prussien et théoricien militaire, ndlr] a écrit que la guerre est définie par son caractère et sa nature. Et que la nature de la guerre ne change jamais. Mais face à cette problématique précise, Clausewitz se trompe. Si demain, nous nous trouvons dans une guerre entre deux espèces, la guerre changera inévitablement de nature.