2019 est une course de fond pour Koba. Le rappeur du 91 enchaîne les concerts, les vidéos et les sorties avec en cette fin d’année une réédition de son deuxième album, L’Affranchi.
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Sur celle-ci, Koba propose quatre inédits dont “Four” qui avait rythmé notre été au son des cliquetis d’armes à feu. Parmi les autres propositions, “Marie” est une nouvelle palette intéressante pour le rappeur, encore plus mélodique et presque romantique.
Tout est un synonyme de vitesse avec Koba LaD. Pour celui qui était encore inconnu il y a un an et demi, il a suffi d’un freestyle instinctif, une vidéo tournée en bas de chez lui, pour que tout change. Il n’a alors que 17 ans. Et dans cette fameuse vidéo, chaque détail est devenu iconique.
Tout d’abord, le piano strident et inquiétant à la Tay Keith, le producteur de Blocboy JB et Drake. Puis la basse enveloppante et violente, comme une déflagration sourde, un bombardement entendu au loin.
Vient ensuite le style extrême du rappeur, dès son entrée, avec sa voix haut perchée, comme pitchée pour donner un effet accéléré, toujours à la limite de la rupture, qu’on croirait au final tout droit sortie d’un dessin animé de Tex Avery mais en version horrifique, avec les yeux injectés de sang et un rire diabolique en prime.
Puis vient le descriptif précis et vivant du quotidien d’un dealer parmi tant d’autres, avec la mentalité, le focus – presque la philosophie du terrain. Ces derniers temps, le sujet paraît poncé, rincé, trop évident. Mais il est ici simplifié, naturel, dans un langage tellement courant qu’il paraît aussi frontal qu’une peinture.
Le bâtiment 7 comme personnage principal
À la musique s’ajoutent les caractéristiques de la vidéo : un tournage de nuit, sombre, “ténébreux”, avec les potes en bas du bloc. Ce qui fait aussi la force des propos de Koba LaD, c’est ce lieu, ce bendo, ce four devenu un véritable personnage avec ses propres histoires, son franc-parler et son univers.
Le fameux bâtiment 7 du quartier du Parc aux Lièvres, à Évry, est maintenant aussi connu que Koba lui-même. Le quartier le suivra à chaque instant, dans ses clips, sur la pochette de son premier album, VII, et jusqu’à “Koba du 7”, l’introduction de L’Affranchi, son deuxième opus en sept mois seulement.
Après la série des freestyles “Ténébreux”, regroupés sur un EP du même nom, Koba se concentre sur un premier album signé chez Def Jam, label toujours aussi prestigieux. Beaucoup s’interrogent alors : la formule “ténébreuse” peut-elle faire un album entier ?
Les déraillements continus, les adlibs abrasifs et les détails du trafic de drogue peuvent-ils être déclinés à l’infini ? Le doute n’est plus permis avec l’album VII, surtout avec des morceaux étonnants comme “Train de Vie” ou “La C”.
En quelques semaines, Koba LaD se réinvente déjà et utilise ses imperfections vocales pour les dupliquer infiniment via l’AutoTune. Ainsi sur “Train de vie”, des nouvelles mélodies très personnelles se placent, offrant une tout autre palette que celle, froide et menaçante, des freestyles de Ténébreux. Ce savant mélange de fausse naïveté et de rupture sonore offre un objet non identifié, une forme en éternel mouvement, cette idée de progrès extrême à la base de la musique rap.
Autoréférences irrévérencieuses
Souvent, ces nouvelles tendances françaises ont toujours un parent ou au moins un lointain cousin en Amérique. Pour Koba, ce qui est surprenant, c’est le fait que la filiation n’est pas claire. Même si on ressent l’influence artistique d’esprits libres et créatifs comme Chief Keef, les références ne sont pas si lisibles. Même dans ses références aux films ou séries (comme Menace 2 Society, The Wire ou ici, Les Affranchis), le modèle est léger, presque élusif, comme une toile de fond avec des points numérotés que Koba relie à sa guise pour créer son propre dessin.
Koba semble se nourrir de sa propre matière, utilisant ses tours de phrases, sa voix hors norme et ses recherches de fractures pour créer sa nouvelle musique. Koba LaD se sample lui-même, créant des boucles dans son univers, jusqu’à ce dernier titre avec Niska, “RR 9.1” qui reprend des gimmicks de son mythique “Ténébreux #1”. En s’auto-citant, Koba entre dans la logique de carrière d’un rappeur global mais en version accélérée, comme si le temps n’allait pas assez vite pour lui – comme pour rendre hommage à celui qu’il était à 17 ans (il y a un an et demi).
Sur son nouvel album, L’Affranchi, Koba LaD reste dans le wagon du “Train de vie”. Il ralentit le débit, espace les ruptures et cherche des mélodies plus fortes. VII était une carte de visite, une palette large de ce qu’il pouvait faire (avec des résultats plus ou moins heureux), comme une odyssée de 17 titres avec uniquement dans le navire ses potes du Seven Binks, Bolémvn et Mafia Spartiate.
L’Affranchi est son jubilé avec les stars du moment, ses amis du 91, Ninho et Niska, et la connexion avec Sevran, grâce à Maes sur “Matin”. Car en moins d’un an, Koba LaD est devenu un featuring de luxe, un invité explosif qui créé la friction et l’événement à chaque apparition.
Sur L’Affranchi, Koba se permet même de ne pas replacer ses derniers succès du début de l’année 2019, comme “Aventador” ou “Fefe”, qui finissent en simples freestyles de luxe – des frappes dans le bide pour ouvrir l’appétit. Le projet est ici différent. Koba cherche déjà l’après, la narration derrière la réussite. Mais en vrai, qu’est-ce qu’il se passe après le succès ?
Car, en plus de la réalisation et des mélodies, ce qui marque le plus sur L’Affranchi, c’est la mélancolie et le retour sur soi-même qui s’affichent en filigrane. Sur “Amitiés gâchées”, “Demain j’arrête” ou “Pour toi”, Koba semble déjà chercher sa rédemption, comme si une grande partie de sa célébration était loin derrière lui.
Il parle ouvertement de sa famille, ainsi que de ses actions et de leurs conséquences pour les siens. Toujours avec ses mots, simples et fédérateurs, précis et touchants. En quelques semaines, le propos a changé, il est toujours aussi détaillé mais il va dans une autre direction. Gagner de l’argent, oui, mais pour les siens. Quitter la vie de hors-la-loi pour garantir le reste.
Ainsi, le rappeur star du 91 arrive à condenser une carrière entière en cinq freestyles et deux albums. D’habitude, une carrière est souvent comparable à une série, avec des saisons à rallonge, des multiples cliffhangers et des épisodes plus ou moins réussis. La carrière de Koba LaD est un arc condensé de passage à l’âge adulte, un film de Scorsese où les ralentis n’existent plus, où tout est en lecture accélérée.