L’artiste franco-américaine Joséphine Baker (1906-1975), figure éminente de la Résistance et de la lutte antiraciste, sera panthéonisée. La cérémonie aura lieu le 30 novembre, faisant de la célèbre meneuse de revue, née dans le Missouri et enterrée à Monaco, la première femme noire à reposer au Panthéon.
À voir aussi sur Konbini
Avant de s’illustrer pendant la Seconde Guerre mondiale du côté de la résistance française, Joséphine Baker a été une figure d’émancipation de la femme noire pendant l’entre-deux-guerres, d’abord aux États-Unis puis en France. Née dans le Missouri en 1906, Joséphine Baker passe une enfance très difficile dans le Sud des États-Unis, marquée par la ségrégation et des violences raciales de plus en plus quotidiennes.
Élevée par sa grand-mère et sa tante Cherokee, des figures féminines très fortes, Joséphine est débordante d’énergie dès son plus jeune âge, toujours prête à amuser son entourage avec beaucoup de créativité. Mais elle est aussi consciente très rapidement qu’elle doit se faire toute seule.
En tant que femme noire, les pièges et embûches sont encore plus nombreux. Très entreprenante et pleine d’initiatives, Joséphine danse dès son plus jeune âge. Elle est vite repérée par la Compagnie Dixie Steppers qui tourne dans le Sud des États-Unis avec un spectacle de claquettes et de music-hall. Joséphine Baker y fait ses premiers pas en tant que costumière avant de se trouver une place sur scène.
Au même moment à New York, la revue Shuffle Along est le premier spectacle noir présenté à Broadway. Et c’est notamment grâce au succès de Florence Mills, une artiste surnommée “The Queen of Happiness”, que tout le monde veut voir sur scène. Toujours dans un mouvement très énergique, Joséphine Baker rejoint la troupe à seize ans.
La Renaissance de Harlem
Cette comédie musicale créée en 1921 est le premier spectacle noir à pouvoir se produire dans des salles réservées aux Blancs et à offrir la possibilité aux spectateurs noirs d’accéder aux fauteuils d’orchestre. Mais si ce spectacle explose beaucoup de tabous raciaux, la comédie en elle-même reprend de nombreux vieux clichés des vaudevilles stéréotypés de l’époque, comme l’explique le très bon roman graphique que Catel & Boquet ont consacré à elle en 2016.
Shuffle Along marque les débuts du mouvement qu’on appelle “la Renaissance de Harlem” et qui va donner un nouvel essor aux artistes et intellectuels noirs dans les années 1920, notamment avec des auteurs comme Marcus Garvey ou Langston Hugues. “La Renaissance de Harlem”, c’est aussi et surtout l’avènement du jazz avec des figures importantes comme Louis Armstrong, Ma Rainey (dont la vie a été racontée dans un film en 2020), Duke Ellington, Fats Waller et donc Florence Mills. C’est aussi l’époque faste de salles mythiques comme le Appolo Theater, le Savoy Ballroom ou encore ce fameux club très plébiscité dont Francis Ford Coppola fera un très bon film en 1984 : The Cotton Club.
Ainsi, les comédies musicales noires remplacent peu à peu celles jouées par les Blancs, notamment grâce au succès des jeunes chanteuses de jazz. Et de là vient toute la contradiction car elles perpétuent les clichés dont les Afro-Américains cherchent à se défaire mais leur ouvrent en même temps une place beaucoup plus importante dans l’art, la mode et la culture. Et Joséphine Baker y fait un triomphe total. Le public l’adore car elle sait jouer de ses clichés avec humour. Mais à côté, elle y puise son émancipation totale, toute seule.
Utiliser les clichés pour mieux les tordre
À Paris, Joséphine Baker fascine davantage. Et c’est une femme, Caroline Dudley, qui lui donne sa chance en 1925, très impressionnée par ses prestations à Broadway. Elle lui propose de faire partie de son spectacle à Paris, “La Revue Nègre”, entièrement composé d’artistes afro-américains. En acceptant cette proposition, la vie de Joséphine va complètement changer. Paris va lui apporter une énorme notoriété. Elle est saluée par tous les artistes du moment comme Picasso ou Cocteau. Elle s’impose comme la première star noire à l’échelle mondiale, en instaurant une danse qui va devenir une tendance en France : le Charleston.
Toujours à cheval entre le cliché issu du colonialisme et l’émancipation totale de la femme noire, Joséphine Baker devient le modèle des années folles françaises, influente dans tous les cercles qui comptent : l’art, la mode et la culture en général. Avec sa légendaire ceinture de bananes, Joséphine Baker a su tordre les clichés, les sublimer tout en offrant un miroir peu reluisant pour la société française de l’époque qui se croyait avant-gardiste alors qu’elle continuait à voir l’Afrique avec les yeux de l’Occident.
Avec sa popularité grandissante, les rôles s’inversent totalement. Devenant chanteuse et comédienne, Joséphine a lancé une mode et les Parisiennes cherchent à lui ressembler. Pour ce faire, elles utilisent la gomina que Joséphine commercialise, appelée Bakerfix, afin de donner de la brillance à leurs cheveux et les lisser à sa manière. La Bakerfix se vend à des milliers d’exemplaires, rapportant des revenus considérables à l’artiste pendant des années. Un empire est né.
Avec toutes ces contradictions, Joséphine Baker a su ainsi se construire avec une énergie hors norme, un talent naturel pour la danse, la comédie et le chant, un amour pour la France qu’elle va transformer dans plusieurs chansons iconiques et un engagement sans précédent qui se déclare pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, elle continue son combat contre le racisme et les inégalités, en étant une des activistes les plus importantes du siècle dernier, à la fois pour les droits des femmes et des Noirs. Alors qu’elle s’apprête à rentrer au Panthéon, son héritage est immense. Et tout est parti d’une danse.