Dans sa précédente vie, Lise Akoka a fréquenté assidûment les sorties d’écoles, les cours de récréation et les cours de danse, les parcs, les MJC ou les foyers à la recherche des futurs jeunes talents du cinéma français. Elle était directrice de casting sauvage — mais aussi coach pour enfants — et a passé des mois entiers en immersion dans des univers qui lui étaient totalement étrangers pour repérer des enfants au physique, à l’énergie ou à l’attitude qui correspondraient aux aspirations des réalisateurs.
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“Ce qui m’a beaucoup plu dans ce métier, c’est tout l’aspect sociologique, car pour faire du casting sauvage, on fait des immersions assez longues dans des milieux dans lesquels on n’aurait jamais mis les pieds”, raconte Lise.
S’il existe des agents d’acteurs enfants en France, elle ne sollicite que peu leurs services et préfère aller chercher ses futurs petits comédiens dans leurs habitats naturels. “Les enfants déjà acteurs ont parfois tendance à développer des automatismes et des mécanismes que l’on retrouve moins en casting sauvage où il y a des natures plus brutes, plus volcaniques.” Pour ne rien fausser de leur authenticité, elle observe d’abord de loin les enfants et leurs interactions sociales, avant d’établir un premier contact avec eux puis leurs parents, raison pour laquelle la profession est très largement féminine.
“Il s’agit d’aller voir des enfants à la sortie des écoles et leur dire ‘Salut, est-ce que tu veux jouer dans un film ? Tu veux bien me donner le numéro de tes parents ?’ Si c’est un homme qui fait cette démarche, les parents sont forcément plus méfiants et c’est normal.”
Au fil des castings, des call-back et des écrémages, un seul enfant sera retenu pour le rôle. La gestion des espoirs déçus — parfois difficiles à accepter pour des jeunes enfants — est un des enjeux les plus importants, mais aussi les plus délicats du métier de directrice de casting sauvage, pour lequel elle sollicite régulièrement ses compétences en psychologie de l’enfant acquises grâce à sa formation universitaire.
“Il faut être très vigilant de bien répéter à l’enfant que rien n’est encore fait, même si on le voit plusieurs fois. Et de surtout bien lui préciser que ce n’est pas toujours le meilleur qui est pris ou celui qui joue le plus juste, mais celui qui correspondra le plus au personnage. Il faut qu’ils comprennent que ce sont des enjeux qui sont totalement détachés de la valeur de ce qu’ils vont donner en casting et qu’ils n’y peuvent rien.”
Une directrice de casting doit également veiller à différencier l’envie des parents de l’envie de l’enfant, raison pour laquelle Lise privilégie le casting sauvage, où elle peut établir un premier contact avec l’enfant afin de l’interroger sur ses désirs de cinéma. Mais outre un temps de tournage très encadré pour les enfants, des dossiers très complets sur la santé physique et mentale de l’enfant ainsi que sur son histoire familiale et personnelle sont également exigés et validés par plusieurs personnes.
“C’est vrai qu’il faut être méfiant, mais on insiste toujours sur le fait qu’il faut vraiment que l’enfant ait envie. Dans le casting sauvage, c’est moins un problème qu’avec des petits acteurs qui courent les castings. Mais un enfant qui prend du plaisir à jouer et qui y trouve une forme de libération, ça se sent fort.”
Les Pires ou la responsabilité de toute une profession
C’est cette immense responsabilité vis-à-vis des enfants que l’on propulse sous les projecteurs du cinéma et que l’on expose médiatiquement que Lise Akoka et son amie Romane Gueret, également ancienne directrice de casting sauvage, ont souhaité interroger. Elles sont donc passées de l’autre côté de la caméra pour réaliser Les Pires, leur premier long-métrage, récompensé par Un certain regard cette année à Cannes.
En immersion dans une cité de Boulogne-sur-Mer, les deux réalisatrices y poursuivent le travail qu’elles avaient amorcé avec leur court-métrage Chasse royale et ont complété leur casting avec de nouveaux jeunes acteurs non professionnels un peu cabossés, mais tellement puissants, sélectionnés parmi plus de 800 enfants.
Avec beaucoup de justesse et d’humanité, elles questionnent donc la responsabilité d’une profession qui porte aux nues de jeunes talents jusque-là inconnus et leur fait vivre une expérience forte et intense, mais très souvent éphémère. Sur leur plateau, beaucoup d’enfants de milieux défavorisés qui ont parfois vécu des histoires personnelles douloureuses, qui se sont soudainement retrouvés au cœur de toutes les attentions, avant que tout ne s’arrête, à nouveau.
Certains n’avaient pas les ressources nécessaires pour se tenir à un rendez-vous, être joignables et fiables, travailler ou apprendre leur texte. D’autres avaient une très mauvaise estime d’eux-mêmes et les deux réalisatrices ont dû se battre pour garder ces talentueux enfants impliqués dans leur projet. De ces expériences humaines très fortes naissent, dans la vie comme dans la fiction, des liens d’attachement qui dépassent le cadre professionnel, très justement retranscrits dans Les Pires, qui demeure cependant une pure fiction, tient à souligner la réalisatrice.
“Les Pires n’est pas un documentaire. Les enfants apprennent leur texte à la virgule près et on les dirige à l’intonation près. C’est le résultat de beaucoup de travail de leur part et on veut rendre justice au talent de ces enfants. Ce ne sont pas seulement des natures brutes et magnifiques face auxquelles on a posé notre caméra en attendant qu’il se passe des choses magiques.”
Si elle tient à remettre le travail et le talent de ces jeunes acteurs au cœur de la conversation, Lise Akoka ne plébiscite pas leur place au sein des cérémonies de remises de prix du cinéma “avant un certain âge qui serait à déterminer”. Ces grands-messes récompensent aussi et surtout une vocation et offrent la chance d’une potentielle suite, or un jeune enfant est, selon elle, rarement capable de se formuler s’il a véritablement le désir de faire du cinéma. “Je trouve que ça serait envoyer un message qui est indépendant de sa volonté.”
C’est d’ailleurs Ponette de Jacques Doillon qui fut sa première claque de cinéma et qui a joué un rôle déterminant dans sa vocation. L’impressionnante performance de la toute jeune Victoire Thivisol âgée de quatre ans, qui interprétait la petite héroïne en deuil après la mort de sa mère, avait été saluée mais également vivement interrogée. À l’âge de cinq ans seulement, elle a été récompensée de la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine remise par le président du jury de la Mostra de Venise Roman Polanski, sous les sifflets de la salle qui remettait en question la conscience et le traumatisme potentiel d’un rôle aussi bouleversant pour cette petite fille si jeune.
Les Pires, passionnant essai sur les enfants du cinéma, peut constituer un début de réponse à la question.