À bientôt 30 ans, et après près de dix ans de carrière, Charlotte Cardin propose une musique toujours aussi singulière et fraîche, en accord avec son temps. La recette reste pourtant simple : des mélodies efficaces, des rythmes chaloupants ou des piano-voix touchants et surtout un timbre qui enveloppe le tout d’une couche de sensibilité frissonnante. Si son premier album Phoenix la voyait affronter des sujets personnels, intimes et parfois lourds, son nouveau disque 99 Nights préfère la lumière et la légèreté et dévoile l’artiste dans un registre pop qui fait du bien.
À voir aussi sur Konbini
Si l’album a constitué la bande-originale solaire et réconfortante de notre été, Charlotte Cardin rassemble aujourd’hui les pièces détachées du projet pour en faire un EP, chanté en langue française et sur lequel s’invite le grand Laylow, plutôt discret depuis la sortie et le triomphe de son second album L’Étrange histoire de Mr. Anderson en 2021. Aujourd’hui installée à Paris, la Québécoise nous a rendu visite pour nous parler de l’importance de son monde imaginaire, de son rapport à la musique rap et de son crush sur Jim Carrey.
© Adrien Antoine pour Konbini
Konbini | Bonjour, Charlotte ! Tout d’abord, félicitations pour la sortie de ton album 99 Nights. Elles symbolisent quoi pour toi, toutes ces nuits ?
La direction principale de l’album a été trouvée et composée pendant un été, ce qui représente à peu près 99 nuits. C’était un été pendant lequel je traversais plein de choses au niveau personnel et pendant lequel mes moments en studio avec mes amis étaient vraiment des moments d’échappatoire, pendant lesquels je pouvais canaliser tous ce surplus d’émotions.
C’est aussi un symbole, ce chiffre 99 ?
Oui, exactement. Quand j’ai eu l’idée d’appeler l’album comme ça, j’ai fait un peu de recherches sur le chiffre 99 pour voir ce qu’il symbolisait. J’ai découvert que ça avait un lien avec la fin d’un chapitre, et le départ optimiste vers autre chose. Ça collait parfaitement avec ce que je voulais intégrer à ce nouvel album.
On te sent très lumineuse sur cet album et on t’avait rarement entendue aussi pétillante sur un disque. C’est conscient ?
Je suis d’accord avec toi, mais je ne pense pas qu’il n’y ait que de la lumière sur ce disque. Je pense qu’il y a vraiment une opposition entre deux extrêmes. D’un côté, on retrouve une approche très joueuse et des textes plus mordants et fun que d’habitude, mais de l’autre, on retrouve quand même des thèmes plus profonds qui sont très proches de mon cœur. Donc il y a cette dualité entre la nostalgie et le fun, mais c’est cool si tu as davantage ressenti le côté lumineux.
Au niveau des récits que tu racontes, j’ai cru comprendre que certains étaient les tiens, et d’autres pas. Tu laisses planer le doute de façon volontaire ?
Oui ! [rires] J’ai toujours aimé jouer avec les lignes entre la fiction et la réalité. Il y a beaucoup de storytelling dans ma musique, mais il y a aussi beaucoup de choses très personnelles. Mais je n’avais pas envie d’indiquer clairement lesquelles me concernaient ou pas. C’est une façon d’exprimer l’idée selon laquelle on peut découvrir et révéler plein de choses sur soi-même en racontant ou en écoutant l’histoire de quelqu’un d’autre.
Du coup, tu arrives quand même à t’immerger dans tes histoires imaginaires autant que dans tes histoires personnelles ?
Quand j’écris une chanson qui n’est pas nécessairement inspirée de ce que j’ai vécu, je pense que ça part quand même d’une émotion qui est réelle, personnelle et ancrée. Je pense que toutes mes chansons partent d’une émotion qui reste très connectée à moi. Donc dans les deux cas, que ce soit des récits imaginaires ou non, je me sens pleinement immergée.
Tu as choisi d’interpréter la ballade “Next To You” lors de ton passage chez COLORS. Tu as composé ce morceau en pensant à son interprétation en live ?
C’est drôle parce que non, pas du tout. C’est vraiment une des rares qui n’a pas été réfléchie pour le live. Je trouvais juste ça important d’avoir au moins un piano-voix sur l’album, une ballade, surtout pour clôturer l’écoute du disque. Mais je suis très contente de pouvoir la faire en live, parce que je la trouve très puissante, elle fait du bien à la setlist du concert et elle évolue de façon intéressante au fil des concerts. Mais de base, elle est surtout pensée pour l’écoute audio, avec un début piano-voix puis cette envolée rêveuse qui vient clôturer ce nouveau chapitre de la plus belle des façons. Je l’ai composée avec Patrick Watson qui a beaucoup contribué à la magie du morceau.
Hormis Patrick Watson, tous les invités en featuring sur tes albums sont issus des mondes du rap et du hip-hop : Nate Husser, Buddy, Skiifall ou encore Dinos. Est-ce que la rencontre entre ta pop et leur flow se fait naturellement ?
Oui, absolument. J’écoute énormément de rap et de hip-hop. Dans ma pop, je vais souvent vers des mélodies qui sont peut-être un peu classiques et faciles. Rajouter une touche de hip-hop et de flow vient apporter une dimension à ma musique. C’est exactement ce qu’il s’est passé sur ma chanson “Enfer” avec Skiifall, qui est un rappeur de Montréal que je suivais depuis longtemps et que je trouvais vraiment talentueux. Même chose pour Dinos, avec qui j’ai fait plusieurs morceaux. Je trouve que les deux styles se marient bien et si je peux faire des featurings avec des artistes que j’aime et que j’écoute, c’est le bonheur.
Justement, sur cette extension de 99 Nights, on retrouve une surprise de taille : Laylow. C’est quoi, l’histoire de votre morceau “Real Love” ?
C’est une chanson qu’on a composée ensemble, en studio. Ça faisait un bout de temps que je le suivais et évidemment, j’étais fan. Je trouve que c’est un rappeur qui est libre et s’autorise une approche méga-originale dans son projet artistique. J’ai vu son show à Osheaga, qui est un gros festival de musique à Montréal, et je suis tombée en amour, encore plus ! Je lui ai envoyé un DM sur Instagram, ça s’est fait hyper-naturellement. On s’est donné rendez-vous en studio, puis on a écrit cette chanson-là à Paris, en une soirée, puis elle a évolué. C’est parti d’une vibe très organique.
C’est comment de collaborer avec Laylow ?
C’est un artiste extrêmement talentueux, qui sait exactement ce qu’il veut. Et puis il a une fucking bonne vibe. C’était un super beau moment en studio et ça fait du bien d’avoir pu se retrouver en studio ensemble, parce qu’aujourd’hui, la plupart des featurings sont orchestrés par les labels et les artistes ne se rencontrent même pas vraiment. Ils enregistrent leurs voix chacun de leur côté et le morceau sort. Ici, on a eu l’occasion de se poser ensemble, de déceler quelques atomes crochus et voir que la rencontre de nos deux univers fonctionne, c’est à la fois surprenant et gratifiant. Je suis très excitée par ce morceau.
L’extension de l’album est entièrement en français, alors que seuls quelques morceaux de 99 Nights le sont. C’était l’idée de base de séparer les deux langues sur deux projets différents ?
Tout l’album a été écrit en anglais et quand on a fini d’écrire l’album, moi, je me sentais encore très créative, j’avais encore envie d’écrire. D’écrire en français, particulièrement, parce que je ne l’avais pas fait depuis longtemps. À la base, on ne pensait pas faire une version deluxe, mais plutôt un petit projet en français. Alors on a repris certaines maquettes, comme celle de “Feel Good”, qu’on avait composée en anglais au tout début du processus créatif de l’album. On aimait cette chanson-là, mais elle n’était pas tout à fait adaptée à l’album à cause de son côté house et plus dance que les autres. Du coup, on l’a traduite, on a complètement réécrit les couplets et on l’a réorganisée. C’était le point de départ du projet en français.
Dernière question : est-ce que Jim Carrey a écouté ton morceau “Jim Carrey” ?
Oui ! [rires] Il m’a téléphoné et m’a dit qu’il avait adoré mon morceau sur lui. Franchement, c’était le plus bel appel de ma vie. Je connais une fille qui avait potentiellement le numéro de l’attaché de presse de Jim Carrey et j’ai décidé de lui écrire, en mode bouteille à la mer. Puis on lui a envoyé la chanson en espérant que l’attaché de presse allait pouvoir faire suivre, accompagné d’un petit mémo vocal dans lequel je lui expliquais les inspirations de la chanson. Un jour, je reçois un appel et c’était lui. Avant qu’il me dise son nom, j’ai senti que c’était lui, j’avais reconnu sa voix.
Incroyable ! Vous vous êtes dit quoi ?
On s’est parlé pendant quinze minutes, il était tellement généreux. Il a adoré la chanson et le message du morceau. Il était juste tellement sympa, je l’ai trouvé hyper-ouvert. Puis j’ai vraiment trouvé ça généreux de sa part de m’appeler pour me faire un retour. Franchement, c’est comme un peu une leçon de vie pour moi. Je me suis dit qu’il fallait que j’appelle les les gens plus souvent. [rires]
Et il a accepté de t’épouser, comme tu le demandes dans la chanson ?
[rires] Non ! En tout cas, il ne m’a pas répondu.
Affaire à suivre !
Charlotte Cardin sera en concert à La Laiterie de Strasbourg le 23 janvier 2024, à L’Olympia de Paris le 24 janvier 2024, au Krakatoa de Mérignac le 26 janvier 2024 et au Théâtre Sébastopol de Lille le 30 janvier 2024.