Parodié, imité mais jamais égalé, le groupe Fauve a marqué la scène musicale française des années 2010. Mais dix ans plus tard, réécouter certaines paroles provoque le malaise.
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En 2013, quand le premier EP de Fauve sort, je viens d’avoir mon bac, j’entre dans les études supérieures et ma sortie de l’adolescence se fait dans la douleur. Jeune hypersensible urbaine en mal de sensations fortes, je cherche dans ma playlist une manière d’extérioriser mes émotions et mes frustrations : les histoires d’amour qui foirent, le passage à l’âge adulte, les soirées qui rendent triste et le sentiment d’impuissance face au monde.
Bercée à la pop-punk et au rock indé triste durant toute mon adolescence, je suis donc le public cible de Fauve, un collectif d’artistes pluridisciplinaire monté en 2010 à Paris. Sur scène, on retrouve cinq de ses membres (chant, guitare, basse, batterie, clavier) ainsi qu’un artiste vidéo. Chacune de leur apparition médiatique est entourée de mystère, on ne connaît ni leur visage, ni leur vie privée. Pourtant, Fauve est une étoile filante : premier EP en 2013, deux albums entre 2014 et 2015 et puis plus rien. Ils reviendront en 2017 et en 2019 sous de nouveaux noms, avec d’autres projets… Mais rien qui égalera le succès de Fauve.
J’étais FAN de Fauve. Vraiment FAN. Mon mur Facebook était parsemé de leurs paroles de chanson. J’ai été les voir deux fois en concert et j’avais même eu la chance de les interviewer pour la radio étudiante dont je faisais partie à l’époque. Pour la tournée de leur album Vieux Frères – Partie 2 en 2015, ils distribuaient des bracelets à l’entrée de la salle : je crois que j’ai gardé ce vieux bracelet plein de bactéries pendant deux ans avant qu’un pote me l’arrache. Car oui, déjà en 2015, autour de moi, tout le monde trouvait que Fauve, c’était de la merde. Mes potes se foutaient régulièrement de mon obsession pour le groupe et les parodies pleuvaient sur Internet. Pourtant, moi, j’y trouvais du réconfort, de la colère, de la poésie aussi.
Dix ans plus tard, Fauve a mal vieilli
Il y a pas longtemps, j’ai vu passer sur Twitter que Fauve allait fêter les 10 ans de son premier EP. Avide de nostalgie dans mes oreilles, je me suis précipitée sur leurs deux albums, que je connais encore quasiment par cœur. C’est là que je me suis rendu compte que oui, Fauve a mal vieilli. Sans parler de qualité musicale, ni de prod, ni de performance scénique : juste les paroles. Déjà, parce que Fauve était un groupe très “parisien”. Comme dans “Cock Music Smart Music”, où le chanteur relate une conversation : “Je revois encore Matthieu / Et les étoiles dans ses yeux / Entre deux cigarettes / Fumées à la fenêtre de ma chambre / Il me disait comme ça : / ‘Mon vieux, tu savais que le verbe cristallisait la pensée ?/ Je te jure, un mot sur une idée foireuse / C’est exactement comme un baiser / T’as pas remarqué ?’ / C’est une question de perception / Et au fond, je sais qu’il a raison”. Au-delà du caractère invraisemblable de la conversation, la poésie de Fauve sonne parfois… comme du snobisme. Je comprends mieux toutes les parodies autour de leur chanson “Blizzard”, qui me procure un frisson de gêne en la réécoutant.
Au-delà de la poésie un peu gonflée, j’ai toujours beaucoup romantisé la vision des hommes que présentait Fauve. En relisant les paroles, c’est une vision de la masculinité assez particulière. Celle d’une jeunesse blanche, privilégiée, en col blanc, qui rage sur un système capitaliste qui les empêche de partir faire le tour du monde en van. “Nous sommes de ceux qui se font assister / des baltringues / des éclopés / des faibles / Nous sommes de ceux qui prennent des trucs pour tenir le coup / Nous sommes de ceux qui ne savent pas dire non / qui connaissent pas la rébellion / Qui soutiennent pas les regards / Nous sommes de ceux qui sont à bout” entend-on dans leur chanson “De ceux”. Entre les lignes, on percevait presque un semblant de “crise de la masculinité” dont les antiféministes nous rebattent les oreilles depuis 20 ans. Et puis à force de tout réécouter, Fauve parle beaucoup (trop) des meufs… et de leur absence.
Ce qui m’avait charmé dans la musique de Fauve, c’était son énergie triste, laconique et le fait que ça parlait beaucoup d’amour. Mais à y regarder de plus près, je ne sais pas si c’est le genre d’amour dont j’avais envie à 19 ans. La plupart des chansons qui traitent des femmes (“Lettre à Zoé”, “Rub A Dub”, “Rag #8”) me mettent extrêmement mal à l’aise : elles ne sont que supplications et fétichisations de potentielles partenaires qui n’ont jamais vraiment été là. Les femmes n’y ont pas de voix. Elles sont objets de désir, mais pas actives. Quand elles s’expriment, elles parlent comme dans des fantasmes.
Une certaine vision des meufs
Niveau consentement, c’est là aussi un peu bancal. Dans la chanson “Infirmière” (que j’ai écoutée en boucle dans mon trajet quotidien en bus jusqu’à la fac), on entend ainsi le chanteur parler d’un groupe de filles, assises dans un bar et notamment d’une, “Elle était un peu mate de peau mais avec des cheveux châtain clair ou blond foncé je sais jamais/ Mais surtout elle avait l’air douce bienveillante et sereine comme si elle avait pas renoncé à rien/ Comme si elle avait jamais douté de la beauté du monde ni de celles des hommes”. Pour celle-ci, le chanteur explique : “Je me suis fait quelques films osés mais jolis restait tout de même à établir le contact / Ce qui est impossible à faire en réalité on nous le fait croire dans les films mais c’est une vaste arnaque […] J’ai compris que tu voulais pas de moi pour l’instant mais je me force à croire qu’avec du temps / Tu changes d’avis et dans mes nuits je rêve encore que tu m’emmènes danser jusqu’au matin”. Savoir qu’une fille ne veut pas, mais continuer à espérer en espérant l’avoir à l’usure, c’est un peu glauque, non ?
Toute la chanson “Infirmière” me crispe, entre son utilisation (pas très positive) du mot “pédé” et une tirade presque caricaturale sur la peur de l’engagement. Enfin, ce sont les paroles de la chanson “Loterie” qui m’ont achevée : “De ma fenêtre je vois les élèves du lycée Rodin qui sortent de cours / en poussant des cris de joie / Les garçons paradent / ils ont l’air pleins de sève / et les leggings des filles serrent leurs jambes et leurs fesses encore fermes”. Les commentaires sur le corps des adolescentes me mettent très mal à l’aise, de manière générale. Mais venant d’un groupe dont les membres ont largement passé les 25 ans, encore plus.
Après deux heures à replonger dans la musique de ce qui a été mon groupe préféré pendant une période, le constat est sans appel : Fauve a mal vieilli. Les paroles me dérangent, j’y perçois une complainte lancinante et parfois snobinarde. Je n’aime pas vraiment comment on y parle des meufs, qui composaient pourtant une grande partie de leur public.
Mais je peux comprendre pourquoi, à 17 ans, j’étais fan. Parce que sur la scène musicale française de l’époque, des groupes qui parlaient de leurs émotions, il y en avait peu. Parce qu’il y avait peut-être un côté subversif à s’imaginer dans leur univers faussement rebelle. Parce que la prod était vraiment bien faite et originale. Mais dix ans plus tard, je crois que Fauve doit rester en 2013 et dans les tréfonds de ma mémoire.