Le hitmaker d’Atlanta, Russ, était en concert unique au Zénith de Paris – La Villette. Quelques heures avant son show, nous l’avons rencontré.
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Pendant longtemps, les fans de hip-hop ne juraient que par New York ou Los Angeles. Si ces deux villes continuent de jouer un rôle moteur dans le rayonnement global du rap américain, force est de constater que ces dernières années, c’est Atlanta qui brille de tout son éclat. Parmi ses éminents représentants, on trouve Russ qui, comme bon nombre de ses comparses avant lui, est sorti de l’ombre grâce à Soundcloud.
À la différence des petits nouveaux que sont Lil Pump, Lil Yachty, le regretté Lil Peep ou encore le sulfureux Teka$hi 6ix9ine, Russ n’a pas joui d’un succès public spontané, mais doit sa visibilité à sa persévérance. En effet, avant de définitivement percer en 2017 avec son premier album There’s Really a Wolf, le rappeur a livré pas moins de onze projets différents et de nombreux hits cumulant aujourd’hui plusieurs millions de vues sur YouTube.
Différents projets concoctés de A à Z et en totale indépendance, car l’artiste n’est pas seulement un MC. Certes, il écrit, mais compose, mixe aussi, allant jusqu’à s’occuper lui-même du mastering de ses titres. Il réalise aussi ses artworks, sa promo, et s’occupe même de la réalisation de certains de ses clips.
En d’autres termes, il est ce qu’on peut appeler un ambassadeur de la mouvance “do it yourself”. Un statut de touche-à-tout qu’il revendique d’ailleurs fièrement dans le titre “Do it Myself”, qui reste à ce jour l’un de ses plus gros hits. Et Dieu sait que des hits, il en a. Bref, sa success story, le rappeur nous l’a racontée. La parole est à lui.
Konbini | Salut Russ ! On peut dire que tu ne perds pas de temps. Après avoir enflammé un Bataclan sold out en avril dernier, te revoilà à Paris pour défendre ton projet There’s Really a Wolf. Quel est ton rapport avec le public français ?
Russ | Les Français sont vraiment géniaux. J’adore jouer ici. La France fait partie de mes premières expériences hors de mon pays. Alors c’est toujours un truc de fou pour moi de retrouver les Français. J’ai hâte de voir comment ils vont mettre le feu à la salle ce soir et surtout, hâte de voir leurs réactions face au live qu’on leur a préparé.
Tu as percé en 2015, mais avant ça, tu avais sorti pas moins de onze autres projets. Quel regard portes-tu sur tes débuts dans ce foutu rap game ?
Je pense que mes débuts ont été nécessaires pour moi. C’était un moteur pour me permettre d’arriver là où je suis aujourd’hui. Chaque projet, du premier au dernier, était un test pour moi, savoir si je pouvais aller toujours plus loin. Aujourd’hui, j’ai onze projets à mon actif et plus d’une centaine de chansons. Définitivement, mes premiers pas dans le game ont été un test permanent de ma persévérance.
Quel est le secret de ta productivité ?
Mon secret, c’est de me suffire à moi-même, d’être autosuffisant et de pouvoir tout faire moi-même sans intermédiaire. C’est plus facile d’être productif quand on n’a pas besoin d’appeler quelqu’un pour nous aider à avancer. Par exemple, solliciter un producteur pour des instrus prend du temps. Entre les échanges en différé, les validations qui suivent, les modifications éventuelles, le mix, le mastering par quelqu’un d’autre… Tout ça, c’est du temps perdu. Du coup, comme je fais tout par moi-même, tout ce temps, je le gagne à faire de la musique.
Oui, comme tu dis, tu fais tout tout seul. En cela, tu apparais comme un ambassadeur de l’état d’esprit “do it yourself”. En tant qu’artiste, tu penses qu’il est important d’être polyvalent ?
Oui, et je n’ai aucun doute là-dessus. C’est ce que j’ai toujours voulu faire. Être autonome artistiquement. J’aime avoir la mainmise sur tout ce que je fais. Pourquoi je dis ça ? Parce que personne ne sait mieux que moi ce dont je suis capable et on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Je suis fier de ce que j’ai réussi à faire aujourd’hui. Rien que d’en parler, c’est complètement dingue.
En plus d’être touche-à-tout, tu excelles aussi dans l’art du freestyle. Que représente l’exercice pour toi ?
Tu le penses ? Merci ! Non, c’est vrai, je me débrouille plutôt pas mal [rires] ! Non sans plaisanter, pour moi, c’est quelque chose de fun. Encore une fois en freestyle, tu es libre de faire ce que tu veux et il y a tellement de trucs énormes à faire au micro.
Ton agent, c’est Cara Lewis, l’une des figures les plus prestigieuses de l’industrie musicale, qui a fourni ses services à un tas de grands noms du hip-hop. 2Pac, Kanye West, Public Enemy, Iggy Azalea, Pusha T et maintenant toi, Russ. C’était un rêve qui se réalisait pour toi ?
C’est fantastique, c’est une personne vraiment incroyable. Je l’appelle encore “la licorne” [rires] parce que pour moi, cette femme est carrément un mythe. Je me sens réellement béni de pouvoir travailler avec elle.
Qu’est-ce qu’elle t’apporte en tant qu’artiste ?
Son expertise, de précieux conseils, de grands moments. Clairement, je lui dis merci.
Tu fais partie de ces artistes qui ont émergé grâce à Soundcloud. Il y a de plus en plus de musiciens qui aujourd’hui empruntent cette voie. Quel est ton avis sur la capacité du service à faire sortir de nouveaux talents ?
Tu veux savoir ? Je pense que Soundcloud est vraiment devenu merdique. Ils réduisent toujours plus la qualité de la musique, c’est chiant. Lorsque j’y étais, ce n’était pas le cas. Je sais que c’est une question de moyens, mais malheureusement, aujourd’hui, Soundcloud ce n’est plus ce que c’était. Je pense qu’il ne sera plus un bon outil pour les jeunes artistes tant qu’ils n’auront pas réglé le problème une bonne fois pour toutes.
Et en tant qu’adepte du “do it yourself”, quels conseils donnerais-tu aux jeunes artistes qui voudraient tenter leur chance dans le game ?
Développer votre son, vos particularités et croyez surtout en vos compétences. Essayer de vous intéresser à toutes les facettes du travail en studio, même si vous ne comprenez pas forcément tout, essayez. Même si vous n’êtes pas capables de produire des sons de fou, essayez au moins une fois. C’est une manière de montrer son respect à l’art de la création musicale. Et plus vous en ferez, plus vous aurez envie d’apprendre et plus vous aurez envie d’en faire plus. Ouais, voilà mes conseils.
C’est un sujet très polémique, mais que penses-tu de la représentation du hip-hop aux Grammy Awards ?
C’est vrai oui, ça n’a pas toujours été top, mais je pense réellement que ça s’améliore. Les Grammy sont une institution très fermée. C’est juste qu’à la base, les membres du jury ne viennent pas du milieu hip-hop donc forcément, c’est plus difficile de le faire accepter. Mais c’est de moins en moins le cas. Il y a de plus en plus de votants qui viennent de cette culture parce que le genre est devenu mainstream. Je suis plutôt optimiste, ça va s’améliorer au fil du temps.
Tu viens d’Atlanta. Que penses-tu de la scène locale actuelle ? Migos, Young Thug, Future, on ne parle presque que des artistes d’ATL aujourd’hui…
Ouais, je pense qu’il y a beaucoup de mecs prometteurs qui cartonnent et d’autres qui courent droit vers le succès sans qu’on le sache encore. Ils sont prêts à réaliser leurs rêves. Pour ceux qui sont en place, je ne sais pas ce qu’ils vont devenir, mais ils ont du talent, c’est sûr. Ils font des trucs énormes, mais je t’avoue que je suis plutôt concentré sur ce que je fais moi.
Et que penses-tu des vétérans d’Atlanta ? T.I., Jeezy, Ludacris…
Tous sont des légendes, ils ont fait briller la ville sur la scène rap mondiale. Légendes, il n’y a rien d’autre à ajouter.
Tu as de multiples influences, tu parles de sujets très différents, tu rappes, tu chantes et tes sonorités sont infiniment variées. Si tu avais un mot, une valeur pour qualifier ta musique, ce serait quoi ?
Ma musique, c’est moi, elle me représente, c’est aussi simple que ça.
Aujourd’hui, tu as un tas de morceaux qui ont intégré le Billboard Hot 100. Si tu regardes en arrière, tu te souviens de ce que tu as ressenti lors de ta première certification ?
C’était forcément super cool. C’est une belle preuve que travailler dur finit par payer.
Après avoir sorti ton premier album studio There’s Really A Wolf l’an dernier, tu es de nouveau en studio en ce moment ?
Absolument, j’y suis tout le temps. En ce moment, je travaille sur mon deuxième album.
Tu peux nous en dire quelques mots ?
Pas pour le moment, mais ça viendra en temps et en heure. La seule chose que je peux dire, c’est que ça sera monstrueux ! [Rires.]
Dans ta logique de travailler seul, tu n’es pas connu dans le game pour avoir fait de nombreux featurings et d’ailleurs, ton album n’en a aucun. Y en aura-t-il sur ton prochain opus ? Y a-t-il des artistes avec lesquels tu voudrais bosser ?
Oui, il y aura des featurings sur le prochain album, et d’autres morceaux à plusieurs vont arriver entre-temps mais là encore, je ne peux rien dire pour le moment. Si je n’en fais pas beaucoup, c’est parce que la politique de l’industrie musicale ne m’intéresse pas. Faire des feats juste pour faire des feats, je m’en fous royalement ce n’est pas ma vision des choses.
Je collabore avec quelqu’un uniquement quand ça apporte quelque chose de pertinent artistiquement. Tu auras beau être le rappeur le plus chaud du moment, si tu n’apportes pas une vraie valeur ajoutée au morceau, je ne le ferai pas. Il y a quand même des gars avec qui j’aimerais bosser c’est vrai. Kanye West à 100 %, c’est un putain de génie. Simplement un génie.
Récemment, tu as en quelque sorte ressuscité le producteur de légende Scott Storch au travers de quatre morceaux (“Think Twice”, “Prosper”, “Maybe” et “Alone”). Qu’est-ce que ça fait d’être en studio avec un grand nom comme lui ?
Scott Storch est l’un de mes producteurs favoris de tous les temps. C’est complètement fou. Je veux dire, lui et Dr. Dre [tous deux à la production du classique “Still DRE”, ndlr] sont ceux qui m’ont donné envie de me lancer dans la production. Je leur dois beaucoup. Bosser dans le même studio que Scott, c’était carrément dingue.
Tu comptes retravailler avec lui un de ces jours ?
C’est prévu, oui ! On doit refaire quelques sessions ensemble après la tournée et j’ai vraiment hâte. Nous avons beaucoup d’affinités artistiques tous les deux.
C’est un peu ton BFF en ce moment, en fait.
[Rires.] Cette interview est légendaire !