“Je suis allée dans un club gay et ça a changé ma vie” : Chappell Roan est la pop star dont le monde a besoin

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“Je suis allée dans un club gay et ça a changé ma vie” : Chappell Roan est la pop star dont le monde a besoin

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© Ryan Lee Clemens

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Par Flavio Sillitti

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"Je ne suis pas qu’une seule chanson, je ne suis pas qu’un seul tube."

En janvier dernier, alors qu’on la découvrait par hasard lors de son passage à la salle Les Étoiles de Paris, on est tombés raides dingues de Chappell Roan, une jeune États-Unienne à l’esthétique camp et acidulée, aux chansons pop accrocheuses et au talent indéniable. À l’époque, on la considérait déjà comme la prochaine grande pop star à surveiller de près, et quelques mois, une session Tiny Desk vue plus de 2,5 millions de fois, un show au Coachella déjà culte et un tube viral sur TikTok plus tard, on peut se le dire : Chappell Roan est la pop star dont le monde a besoin. Rencontre.

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Konbini | Bonjour, Chappell ! Depuis que je t’ai découverte sur la scène des Étoiles à Paris, en décembre dernier, je m’impatiente que le grand public français fasse ta connaissance. Comment tu présentes Chappell Roan à celles et ceux qui ne la connaissent pas ?

Chappell Roan | C’est une fille pop très camp, qui est bruyante autant dans ses tenues que dans ses déclarations et ses paroles. Je dis aussi que tous ses concerts sont très festifs, avec des thèmes colorés récurrents. Je dis surtout que c’est un projet qui ne se prend pas au sérieux, et qui est basé sur l’amusement et la culture queer.

Ça a toujours été le cas dès le début de ta carrière, en 2017 ?

Non, c’était beaucoup plus sombre et sérieux au début. Je n’aimais pas ça. Ce n’était pas amusant de performer ou de promouvoir quoi que ce soit. Ce n’était juste pas fun.

Tu te souviens du moment où ça a changé, du moment où tu es passée d’un délire sombre à un délire plus camp et fun ?

Oui, je pense ! À l’époque, j’assurais les premières parties de l’artiste Declan McKenna. Je l’observais lui et son groupe sauter partout sur scène chaque soir, et balancer des ballons dans le public pendant leurs morceaux. J’ai rapidement compris que je ne pouvais pas faire ce genre de choses avec le type de musique que je proposais. Au même moment, à mes 21 ans, je suis allée dans un club gay pour la première fois et ça a changé ma vie. Je me suis dit : “Wow, je dois écrire à propos de ça. Je dois recréer ce sentiment.” Je pense que c’est à ce moment que tout a changé, notamment au niveau de ma musique.

J’adore cette phrase : “Je suis allée dans un club gay et ça a changé ma vie.” C’est probablement ma phrase préférée au monde.

[rires] La mienne aussi !

Tu as sorti ton premier album, The Rise and Fall of a Midwest Princess, en septembre 2023. Avant toute chose, j’ai entendu que l’album était aujourd’hui à la seizième place du classement Billboard international, devant Beyoncé ou Ariana Grande. J’imagine que c’est fou, pour toi ?

Complètement. Dans ma tête, je me disais que l’album était quelque chose de fun que j’avais sorti il y a six mois. Je comptais juste sortir une autre chanson, et continuer à sortir des chansons que j’aime, sans penser à l’album. Et puis “Good Luck, Babe!” est arrivé, et il a mis le feu aux poudres. Et je ne m’y attendais pas, personne ne s’y attendait.

Justement, ton dernier single “Good Luck, Babe!” est partout, et toi aussi. Comment tu vis cette exposition ?

Je vais être honnête avec toi, tout ça est assez effrayant. Dans ma vision des choses, ce n’est jamais une question de “comment je crée un hit ?”. Jamais. Je n’aime pas forcément la quantité effrayante d’attention que ça génère. Parce que je ne suis pas habituée. Je ne suis pas ce genre d’artiste pop. Je veux juste m’amuser, je ne me soucie pas de tout ce qu’il y a autour, je ne veux pas me soucier de mes scores en radio.

Mince, maintenant je me sens comme une merde de t’avoir parlé de ta position au classement Billboard.

[souris poliment]

Et du coup, comment tu gères tout ça ? Tu as des choses que tu te dis à toi-même dans toute cette folie ?

Je me dis que tout ça est temporaire. Que ce sentiment d’inconfort ou de succès, je ne sais pas comment l’appeler, je me dis que ça passera, et ça me rassure. Chaque jour, c’est de plus en plus simple. Mais pour ne pas te mentir, j’ai vraiment galéré mentalement, parce que c’est un véritable chamboulement dans ma vie.

Quand on a un tube viral qui fonctionne si bien, le public a tendance à penser que l’artiste vient de débarquer dans l’industrie. Toi, par exemple, tu es dans le game depuis 2017. Quel est ton rapport à cette “pré-carrière” avant la reconnaissance que tu connais aujourd’hui ?

Je suis très heureuse d’avoir eu ça. Je pense que si toute cette effervescence s’était produite au moment de la sortie de “Pink Pony Club” en 2020, je n’aurais pas été capable de le faire. Toute cette charge de travail ! La presse, les séances photo, les tournages de clip, la tournée : toute cette charge de travail, je n’aurais pas été capable de l’assumer. Et puis je suis contente que ça arrive aujourd’hui, car malgré ce gros coup de projecteur grâce à “Good Luck, Babe!”, j’ai la chance d’avoir un album entier qui est déjà sorti, et qui me permet de dire : “Je ne suis pas qu’une seule chanson, je ne suis pas qu’un seul tube.”

Et l’album est incroyable, d’ailleurs.

Merci beaucoup, c’est adorable.

Pour revenir à “Good Luck, Babe!”, c’est un morceau qui aborde une relation queer, dans laquelle une des deux personnes n’est pas vraiment prête à vivre son attirance homosexuelle au grand jour. Je sais que ton précédent morceau “Casual” est inspiré d’une histoire personnelle, c’est le cas ici aussi ?

Je dirais oui et non. J’ai écrit ce morceau parce que je suis tombée amoureuse d’une fille, et qu’elle a commencé à sortir avec ce p*tain de loser. Et je me suis vraiment dit : “OK, meuf, tu n’es pas gay ? Bonne chance avec ça !” Mais ce qui est drôle, c’est que ça s’est un peu retourné en mode : “Oh, mais c’est une histoire à propos de moi, aussi.”

Dans quel sens ?

Sur le bridge du morceau, par exemple, quand je parle du fait qu’elle n’est sortie qu’avec des hommes pendant toutes ces années, c’est mon histoire aussi, avant que je ne réalise que j’aime les femmes. De base, le morceau s’adressait directement à cette fille, et devait s’appeler “Good Luck, Jane!”. Au final, on a changé pour “Good Luck, Babe!”, et ça permet de donner l’idée que je m’adresse ce message à moi-même. Le “babe”, ça peut être moi.

Je n’avais jamais interprété le morceau de cette façon, mais c’est plutôt génial. Moi-même, en tant que personne queer, j’ai une expérience particulière avec le fait d’être dans le placard. Tu dirais que ce morceau est une réponse à ta propre expérience avec le fait d’assumer ton homosexualité ?

Oui. J’ai grandi dans une communauté très chrétienne et conservatrice, avec une seule personne gay dans ma famille. Et cette personne a disparu, du jour au lendemain. Elle a dû déménager, je ne sais plus trop.

C’est drôle, j’ai l’impression que c’est comme ça avec toutes les personnes queers de notre enfance. Elles ont juste “disparu”.

Oui, on part. Parce que c’est comme si on ne pouvait pas vivre de façon authentique. Je pense en tout cas que ce n’est pas enrichissant de vivre en tant que personne homosexuelle si on n’est pas entouré d’autres personnes homosexuelles. Mais oui, j’ai eu beaucoup de chance. J’ai des parents et des frères et sœurs qui m’ont toujours soutenue avec enthousiasme, et qui ont toujours été fiers de moi. Mais la communauté dans laquelle j’ai évolué, d’un autre côté, c’était une autre histoire, et ça m’a poussée à vivre ma vie sentimentale depuis le placard jusqu’à mes 20 ans. Parce que je ne pouvais pas me réconcilier avec ma sexualité, aux yeux des autres.

Ce qui est fou quand on voit qu’aujourd’hui tu es une figure de cette nouvelle scène pop queer, aux côtés notamment de Reneé Rapp, FLETCHER ou même Billie Eilish, par exemple. Le devoir de représentation, c’est quelque chose qui t’importe ?

Je ne peux pas prétendre représenter toutes les lesbiennes. Avant d’être queer, je pense que mon esthétique et mon projet baignent surtout dans une culture très girly, inspirée de tout l’imaginaire des soirées pyjama où on galoche ses copines après s’être verni les ongles ou appliqué du brillant à lèvres les unes les autres. Et je sais que ce n’est pas l’expérience de toutes les lesbiennes ou personnes queers. C’est ma vision de la culture lesbienne, et je trouve ça important de l’exprimer et de la faire exister, mais je fais attention à la façon dont je parle, j’essaie de ne pas trop faire de généralités, parce que je pense que c’est très facile de généraliser l’expérience queer. Alors que je ne suis qu’un point de vue lesbien parmi un éventail d’autres points de vue lesbiens.

Par rapport aux expériences queers qui sont sur le devant de la scène pop aujourd’hui, je discutais justement du show plutôt sexy de Troye Sivan, qui a choqué pas mal de gens. Tu penses que le monde est vraiment prêt à voir les artistes queers pleinement s’émanciper sur scène ?

Je pense que c’est incroyable de voir les artistes queers s’approprier les espaces de la pop. Regarde Billie Eilish, elle est au sommet des charts en ce moment, et c’est tellement cool d’avoir une chanson frontalement lesbienne comme “LUNCH” dans l’album numéro un du moment. Je pense que la nouvelle génération est en train de s’épanouir, et que l’identité queer n’est plus aussi stigmatisée qu’avant. Le public est lentement en train de s’ouvrir, donc je me sens confiante dans le fait de vivre ma vérité, tout en étant consciente du fait que dans certains pays, notamment, elle ne sera pas toujours acceptée.

J’aimerais parler de ton esthétique. Tu es une drag-queen, ce qui n’est pas commun chez les stars de la pop. Comment tu as construit ce personnage ?

Je suis très inspirée par le burlesque et les tenues flamboyantes, les drag-queens en général, leur côté étincelant. Le fait que j’aie choisi un personnage scénique qui soit une drag-queen, c’est aussi lié au fait que j’ai toujours adoré Gucci, la folie des tenues de la marque, mais que je n’ai jamais pu me les payer. J’allais juste en friperie pour reproduire moi-même ces tenues Gucci dont je rêvais, en rassemblant des tenues pour les coudre et les assembler et faire en sorte que ce soit similaire, en un peu plus vulgaire. Rapidement, j’ai réalisé : “Oh, mais c’est du drag.” [rires]

J’adore ça : de Gucci à drag-queen.

Exactement ! À partir de là, j’ai appris à me maquiller, à me poser des strass sur le visage et sur le corps, et c’est devenu une partie de mon image de marque. J’ai aussi participé à la création de la tenue que je porte sur scène, et pour laquelle je me suis inspirée de Vivienne Westwood, des reines du programme RuPaul’s Drag Race, mais aussi de Divine, de Priscilla, folle du désert, des filles de Showgirls.

Tu as toutes les meilleures références, en fait.

Un peu, oui ! [rires] J’aime juste le bon spectacle, le vrai show.

En parlant du spectacle, j’ai entendu dire que toutes tes premières parties étaient assurées par des drag-queens. C’est génial.

Il y a des drag-queens dans toutes les villes. C’est fou. Et beaucoup de gens ne savent même pas qu’il y a des drag-queens dans leur ville, et ça donne à la communauté queer locale une plateforme pour être sur scène devant toute sa ville, et je pense que c’est important. J’ai eu l’idée après un show d’Orville Peck, qui est l’une des rares stars de la country qui assume et revendique son identité queer. Lui aussi avait choisi des drag-queens locales pour assurer sa première partie, et je me suis dit qu’il fallait que je fasse la même chose.

Je me souviens d’une chose pendant ton concert à Paris, au moment de chanter “HOT TO GO!”, tu t’es interrompue pour afficher un gars dans la foule qui ne voulait pas faire la fameuse danse du morceau. J’adore cette tyrannie du fun.

[rires] Mais tu sais qui est la personne qui se fait vraiment chier à mes concerts ? C’est la fille qui vient avec son petit ami mou du genou, et qui s’énerve sur lui parce qu’il ne bouge pas d’un poil pendant le show. J’ai affiché quelqu’un d’autre à Saint-Louis, dans mon État natal, le Missouri, devant plus de 5 000 personnes. Du coup, j’ai interrompu le concert, et j’ai demandé à ce gars : “Toi là, tu t’amuses bien ?”

Je me serais chié dessus.

C’est ce qu’il a fait. Je pense que la personne la plus embarrassée, ce n’est pas lui, mais sa petite amie.

J’espère qu’elle l’a largué après le show.

Moi aussi.

Après ton passage aux Étoiles, tu gardes un bon souvenir de Paris ?

La vérité, c’est que j’avais terriblement peur de me produire à Paris, parce que les Parisiens sont notoirement connus pour être des spectateurs réservés et calmes. Mais, au final, c’était l’un des spectacles les plus immersifs que j’aie jamais joués, parce que j’avais l’impression de faire la fête avec eux, j’étais au plus proche des gens. Et je suis très excitée à l’idée de revenir jouer en France.

Pour boucler cette interview, je voulais te parler d’une photo qui a excité tout mon feed X/Twitter : celle de toi et Charli XCX, qui est rapidement devenue virale. Je me devais de te demander : tu es une brat, toi aussi ?

Oui. Oh, mon Dieu. Oui ! J’adore ses titres “Von dutch”, “360” ou “Club classics”, j’ai tellement hâte pour l’album. On s’est eues en FaceTime hier, justement ! Je suis obsédée par Charli.

J’étais à son show à Barcelone avant-hier. C’était tellement dingue.

J’ai tellement hâte de la voir en concert, surtout sur sa tournée avec Troye Sivan ! C’est la meilleure, je l’aime tellement.

Chappell Roan sera en concert au Bataclan le 3 septembre 2024, et son album The Rise and Fall of a Midwest Princess est disponible partout.