J’approchais ce concert de Taylor Swift à Paris La Défense Arena avec peu d’excitation (je ne me diagnostique pas Swiftie) mais beaucoup d’attente. Après tout, avec tout le bruit qui gronde autour d’elle, la superstar du moment, Personne de l’Année 2023 du TIME et reine des streams musicaux, c’est la moindre des choses. Je vous spoile la fin de cet article : je ne suis toujours pas un Swiftie, mais j’envie toutes celles et ceux qui le sont.
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Taylor Swift à Paris : un événement
Je l’avais déjà vu, ce show. Plus ou moins. C’était en octobre dernier, dans l’antre du Grand Rex de Paris, où était projeté son film Taylor Swift: The Eras Tour. À l’époque, le succès monumental de la chanteuse à travers le monde demeurait pour moi un mystère total, et s’il était un peu moins brumeux à mes yeux après cette longue (près de trois heures de film) démonstration de maximalisme scénographique et de sympathie scénique (elle vous donne clairement envie de vous y attacher), beaucoup de choses me posaient encore question. Ce show in real life devait y répondre.
Sous un soleil épiphanique dans un mois de mai capricieux (je ne serais pas étonné·e d’apprendre que la team de Swift se soit payée la météo), la foule est compacte devant la salle de concert de Nanterre. La dernière fois qu’elle était de passage en France, c’était en 2019 pour son City of Lover, un événement inédit d’un soir à L’Olympia. La capacité de la salle du centre de Paris est de 2 000 personnes maximum. Pour celle de Nanterre, on rajoute 40 000 personnes, et on multiplie ça par quatre, en sachant que la superstar s’installe à Paris pour quatre jours de shows d’affilée. Près de 170 000 Français·e·s à ses pieds. Un événement.
L’accès à la salle est laborieux, les files se succèdent, sécurité oblige (tant mieux) et aux alentours de 18h, la fosse est déjà assiégée par les fans les plus aguerri·e·s, sur place depuis le matin voire la veille ou l’avant-veille pour les plus valeureux·ses — ou les moins occupé·e·s. La première partie du concert est assurée par Paramore, qui a fait vibrer dans l’arène son mythique Still Into You et tous les cœurs adolescents de Paris La Défense Arena par la même occasion. La mise en jambes parfaite pour les trois heures et quart de show (!) qui suivent.
Taylor Swift, showgirl
Sans rentrer dans les détails du show tentaculaire de Taylor Swift, j’ai besoin de vous expliquer pourquoi je ne suis toujours pas convaincu par sa musique, mais pourquoi son show m’a totalement scotché. Le Eras Tour, comme son nom l’indique, survole de façon effrénée et colorée les différentes ères de sa riche discographie, en accordant à ses différents albums leur moment de gloire — c’est comme dans Star Wars, c’est pas dans l’ordre chronologique mais ça fait sens à la fin.
Avec un nouveau disque à sa collection, à savoir The Tortured Poets Department, la superstar nous a offert l’exclusivité des premières prestations de titres comme “But Daddy I Love Him” ou du déjà célèbre “Fortnight”, qu’elle partage avec Post Malone, pour le plus grand plaisir des Swifties, en folie dès les premières minutes de cette toute nouvelle era. Il faut dire que le reste du show les a fait hurler de plaisir également. J’ai rarement vu quelqu’un aimer autant son public que Taylor Swift.
Que ce soit dans sa façon d’interagir avec les premiers rangs, de jouer avec les derniers ou encore de réserver deux morceaux “surprises” (piochés presqu’au hasard dans son vaste catalogue) à chacune des dates, Taylor Swift le prouve : cette tournée, elle est pour les fans. Et les Swifties le lui rendent fois mille, en témoigne le nombre de bracelets clignotants qui illuminent la salle, par dessus les cris en folie et les chœurs sur quasiment chaque morceau.
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Si j’aime le show et tout son côté maximaliste qui m’a fait pousser plusieurs “bordel de m*rde” tout au long du spectacle, sa discographie me laisse toujours aussi perplexe. Sa pop-folk est facile, accrocheuse, et universelle, et les classiques “You Belong With Me”, “Love Story” ou “Lover” restent selon moi des pierres angulaires de la musique pop adolescente des vingt dernières années. Jusque-là, tout va bien. Mais je ne peux pas vraiment m’incliner devant une discographie qui (pitié les Swifties, ne sortez pas les fourches) prend si peu de risques.
Tant pis pour les conséquences de ce qui suit, mais : “We Are Never Getting Back Together” et “Bad Blood” sont littéralement les mêmes morceaux, j’en ai eu la preuve en live. Je les adore tous les deux, mais c’est la-même-chose. Dans l’ensemble, s’il n’y avait pas d’éléments scéniques et à l’écran pour m’indiquer qu’on avait changé d’era, j’aurais l’impression d’être resté dans le même univers pendant une bonne partie du concert.
La seule fois où j’ai distingué une era véritablement reconnaissable, c’était grâce à la vibe “balade en forêt hantée” des disques Evermore et Folklore, qui n’est vraiment pas ma tasse de thé. Ennui extrême durant plusieurs dizaines de minutes de mon côté. J’imagine que ce n’est qu’une question d’appréciation subjective : les Swifties autour de moi sont toutes en larmes sur “marjorie” (morceau écrit pour sa grand-mère) et en folie quand elles voient leur idole danser entourée de ce qui me semble être des dragon balls lumineuses pendant “willow”. Les goûts et les couleurs, que voulez-vous.
Récemment, Libération recueillait les propos d’une Swiftie montpelliéraine affirmant qu’“en France, on a un peu honte de dire qu’on aime Taylor Swift”. Et il suffit de faire un tour dans les commentaires des vidéos postées sur notre propre compte pour le comprendre : elle ne fait clairement pas l’unanimité. Après tout, incarnation même du privilège cishet blanc américain, mais aussi d’une certaine forme de “banalité”, la jeune femme n’a pas grand chose de politique à offrir ou d’esthétique à défendre. Mais doit-on en attendre autant de toutes nos nouvelles icônes de la pop, finalement ?
Je vous le dis : il n’y a aucune honte à avoir, les Swifties. S’il y a bien des raisons de lui taper sur les doigts (son effarante empreinte carbone d’abord, qui lui vaut même son titre de private jet queen), toute personne qui lui reproche d’être fainéante sur scène ne l’a clairement pas vue assurer trois heures quart de show, incluant changements de tenues express (pour le meilleur et pour le pire : les chaussures dépareillées, vraiment ?), chorégraphies millimétrées à défaut d’être techniquement engageantes, et surtout textes à rallonge à débiter de mémoire — et sans prompteur !
Toute personne qui lui reproche de n’avoir aucun charisme ne l’a clairement pas vue sur l’era Reputation (sa meilleure, parole de néophyte) ou en pleine danse aguicheuse sur “Vigilante Shit”. Toute personne qui lui reproche de ne rien délivrer vocalement ne l’a clairement pas vue enchaîner les bridges et les refrains de la version entière de dix minutes de “All Too Well (Taylor’s Version)” — trop long pour moi, trop court pour les Swifties en larmes partout autour de moi. J’imagine que c’est elles qui ont raison, je n’ai probablement pas la vision.
Taylor Swift, normal girl
Mises à part toutes ces fulgurances scéniques, qui paraissent presque faciles tant la superstar reste apaisée après trois heures de show sur talons, Taylor Swift est comme vous et moi. Vraiment. Avec peut-être près de deux milliards de dollars de différence. Mais à part ça, elle transpire comme vous et moi, se débrouille plus ou moins bien avec son corps comme vous et moi, s’emmêle les pinceaux quand elle s’adresse à une foule comme vous et moi, fait des fashion faux-pas (sa nouvelle garde-robe de scène en atteste, désolé) comme vous et moi, et surtout : elle a une frange grasse quand elle s’agite. Comme vous et moi.
Tant de choses qui font que Taylor Swift, contrairement à la plupart des super-héroïnes de la pop actuelle, est une superstar à laquelle on peut s’identifier. Après tout, elle est si “banale” (comme tout le monde le dit) que si elle peut le faire, nous aussi on peut le faire. Elle est si banale que quand elle chante ses histoires banales, ce sont peut-être les nôtres aussi qu’on entend résonner. Elle est si banale que la vraie star, dans l’arène, c’est un peu tout le monde, finalement. Et c’est peut-être ça qui fait sa force et son succès que rien, aujourd’hui, ne semble menacer.