À l’occasion de la sortie de Men & Chicken, dans lequel il tient l’un des premiers rôles, on a pu discuter avec Mads Mikkelsen : l’acteur danois est revenu sur son personnage, sa carrière et ses envies.
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Loin des paillettes du 69e Festival de Cannes, dont il était membre du jury, Mads Mikkelsen est à l’affiche aujourd’hui d’une humble comédie en provenance directe du Danemark : le curieux Men & Chicken d’Anders Thomas Jensen. Extrait du synopsis :
“À la mort de leur père, Elias et Gabriel découvrent qu’ils ont été adoptés et que leur père biologique est un généticien qui travaille dans le plus grand secret sur une île mystérieuse. Malgré leur relation houleuse, ils décident de partir ensemble à sa rencontre. Arrivés sur cette île éloignée de la civilisation, ils vont se découvrir une fratrie étrange et des origines inquiétantes…“
Mads Mikkelsen interprète Elias dans le film, un personnage un peu limité intellectuellement, colérique et imprévisible. C’est à la fois un rôle à contre-emploi et une forme de retour aux sources pour l’acteur, toujours attaché à soutenir la production cinématographique danoise. On a eu la chance d’avoir la star au téléphone il y a quelques semaines de cela : après notre portrait, voici la retranscription complète de l’entretien.
Konbini | Votre rôle dans Men & Chicken est assez étonnant quand on a en mémoire vos personnages dans Casino Royale ou Hannibal, très froids, classes et rasés de près. Est-ce que c’était pour vous une manière de jouer un peu avec votre image, votre réputation en tant qu’acteur ?
Mads Mikkelsen | Non, pas du tout : je pense que lorsque l’on commence à se poser la question de son image, de sa réputation, on meurt créativement parlant. On se coince dans un rôle et on devient un mauvais acteur. Il ne faut jamais se poser cette question et s’interdire des choses parce que l’on pense qu’un rôle ou un film ne colle pas avec la représentation que les gens se font de vous… J’avais simplement envie de jouer dans le film : cela m’intéresse autant d’interpréter ce personnage-là qu’un tueur en série rasé de près.
Est-ce que vous avez dit quelque chose au réalisateur Anders Thomas Jensen quand vous avez lu le script de Men & Chicken et que vous avez découvert ce personnage d’Elias, un type un peu simple, colérique, passant son temps à se masturber ?
Je ne lui ai pas fait de remarque particulière, je n’étais pas étonné. Je trouvais que le personnage serait plaisant à jouer.
Vous interprétez souvent des personnages assez ambigus : même dans La Chasse de Thomas Vinterberg, où vous êtes le “gentil” de l’histoire, on se demande si cela ne cache pas quelque chose. Cette ambiguïté vous tient particulièrement à cœur ?
Tous les acteurs aiment avoir une part d’ambiguïté dans leurs personnages, je pense, c’est cela qui les rend profonds et intéressants. J’aime effectivement interpréter des personnages de ce type mais je ne pense pas être le seul dans ce cas… Cela dit, dans Men & Chicken, Elias est un personnage plutôt “simple”. Il n’est pas si difficile à cerner, beaucoup moins en tout cas que d’autres personnages que j’ai eu la chance d’interpréter.
De votre point de vue, est-ce que Men & Chicken raconte plutôt une histoire typiquement danoise ou est-ce un sorte de conte universel ?
C’est un film très danois par certains aspects, mais je pense qu’il s’agit plutôt d’un conte universel. Si vous voyez les autres films d’Anders Thomas Jensen, il cherche toujours à exprimer quelque chose sur l’humain, sur la famille, la religion…
Le film est présenté comme une comédie mais il est assez sombre, et il met un peu mal à l’aise dans certaines scènes. Est-ce que vous le considérez tout de même comme une comédie ?
Cela reste clairement une comédie pour moi. L’humour d’Anders Thomas Jensen est toujours dans cette veine sombre et étrange : je trouve qu’il s’en dégage une forme de poésie. Men & Chicken est un film tendre sur un groupe de personnages bizarres, sur une famille qui n’est pas très normale mais qui fait avec… C’est un ensemble de situations plus grotesques que dramatiques. Il arrive aussi que le cinéma français produise ce genre de comédies…
Men & Chicken m’a justement rappelé certains des premiers films de Jean-Pierre Jeunet, le réalisateur d’Amélie Poulain. Est-ce que vous avez vu Delicatessen ?
C’était une influence pour Anders Thomas Jensen quand il a réalisé son film Les Bouchers verts [réalisé en 2003 et dans lequel Mad Mikkelsen jouait aussi l’un des rôles principaux, ndlr]. Men & Chicken s’inscrit dans la lignée de ces films-là.
Vous serez bientôt à l’affiche de gros blockbusters hollywoodiens comme le spin-of de Star Wars, Rogue One, ou Doctor Strange. Comment trouvez-vous le temps pour jouer dans des projets plus modestes, des films danois comme Men & Chicken ?
Vous savez, ma carrière internationale n’a vraiment commencé qu’il y a dix ans. Je me considère encore comme un acteur danois. C’est là que j’ai débuté, j’ai une proximité avec le Danemark et le cinéma danois, et j’aime toujours jouer dans des films comme ceux d’Anders Thomas Jensen [Mads Mikkelsen a joué dans tous ses long métrages, ndlr]. Sans compter que ma famille est ici au Danemark, mes amis sont ici…
Est-ce que vous connaissez bien les autres grands noms du cinéma danois ? Anders Thomas Jensen, Thomas Vinterberg, Lars von Trier, Nicolas Winding Refn… Ce sont des amis proches ?
Je les connais effectivement très bien, à part Lars von Trier, duquel je suis moins proche.
De plus en plus d’acteurs, de réalisateurs et de scénaristes danois se retrouvent aujourd’hui dans des séries et des films américains de premier plan, jusqu’à Game of Thrones. Est-ce que vous pensez qu’il existe un lien particulier entre les industries cinématographiques danoise et américaine ?
Il n’existe pas forcément de lien particulier, cela s’est fait progressivement. Je pense que l’on peut remercier des réalisateurs comme Lars von Trier et Thomas Vinterberg, qui ont reçu des prix dans de grands festivals dès les années 1990. Ce sont eux qui ont fait apparaître le Danemark sur la carte, ils ont fait exister l’industrie danoise à l’international et je pense que c’est comme cela qu’on en est arrivés là.
Que pensez-vous du mouvement cinématographique Dogme95, fondé par Thomas Vinterberg et Lars von Trier ? De cette vision d’un cinéma plus “authentique” qu’ils défendaient dans les années 1990 ?
Ce n’est pas un débat qui m’intéresse personnellement, je ne m’inscris pas dans cette optique. Bien entendu, c’est très important que ce mouvement ait inspiré des cinéastes comme Thomas Vinterberg, qu’il ait provoqué des élans de créativité. Mais, pour moi, les effets spéciaux sont juste un outil, c’est une couche de peinture que l’on rajoute sur l’histoire, cela ne fait pas du film quelque chose de mieux ou de moins bien. Ce qui importe, c’est qu’il existe une vraie diversité de films.
Dans ce cas, préférez-vous des films proches du réel, comme La Chasse, ou des productions à grand spectacle avec des effets spéciaux ?
[Il rit.] Cette question me paraît un peu biaisée ! Je ne suis pas très objectif non plus avec cet exemple, car La Chasse a été une expérience incroyable pour moi et c’est un film qui a été très bien accueilli [Mads Mikkelsen a reçu le Prix d’interprétation masculine à Cannes en 2012 avec ce film, ndlr].
La Chasse est un film d’acteurs (“actor movie”), dans lequel ce sont les acteurs qui portent le projet. À l’opposé, des grosses productions américaines comme Doctor Strange, qui sont plutôt des films avec des acteurs (“movies with actors“). Ce sont deux approches très différentes du cinéma, mais c’est intéressant de participer à ces deux types de projets.
Vous avez été nommé chevalier des Arts et des Lettres par la France le 27 avril dernier, en même temps que Thomas Vinterberg. Cette distinction vous a-t-elle surpris ? Comment l’interprétez-vous ?
Tout d’abord, c’est évidemment un grand honneur d’avoir été reconnu ainsi par la France. J’ai joué dans deux films français [Coco Chanel et Igor Stravinsky en 2009 et Michael Kohlhaas en 2013, ndlr] et je pense que cela a joué dans cette nomination, mais seulement en partie. La France est connue pour avoir une certaine vision de la culture, une certaine curiosité. C’est un pays qui a une relation très particulière avec le cinéma : je pense que c’est un des seuls endroits au monde où les gens regardent vraiment des films étrangers, danois, allemands ou autres…
J’avais été particulièrement étonné par Michael Kohlhass, d’Arnaud des Pallières, dans lequel vous teniez le rôle d’un marchand de chevaux francophone dans les Cévennes au XVIe siècle. Est-ce que vous referiez un film français dans ce style ?
Si je trouve le rôle intéressant et si j’ai l’occasion de refaire un film comme Michael Kohlhaas, oui, je le ferais volontiers. C’était vraiment spécial comme expérience : j’ai dû passer des semaines assis sur un cheval, et j’ai dû apprendre bien plus à parler français que je ne l’aurais fait normalement. Pour le rôle bien sûr, mais aussi parce que j’étais entouré des gens qui ne parlaient quasiment pas anglais dans l’équipe.
À votre avis, qu’est-ce que les réalisateurs français voient en vous quand ils vous considèrent pour un rôle ?
Je pense que cela dépend des réalisateurs en général, pas seulement des réalisateurs français. Les réalisateurs ont chacun leur vision de moi et de mon jeu d’acteur, ils m’ont vu dans tel ou tel film et décident ou non de me contacter.
Savez-vous si Arnaud des Pallières a vu Le Guerrier silencieux (Valhalla Rising) de Nicolas Winding Refn, qui présente quelques thématiques similaires, avant de vous choisir ?
Je sais qu’il a regardé un certain nombre de films avant de lancer la production de Michael Kohlhaas. Il avait une idée bien précise de son film. Il cherchait un visage, une stature. Mon visage et ma stature convenaient à sa vision du projet.
Vous êtes un habitué du Festival de Cannes depuis quelques années, et vous y aviez été primé pour La Chasse. Comment envisagez-vous l’édition 2016 du Festival, en tant que membre du jury ?
Je ne vais pas le cacher, j’adore y être pour présenter un film, comme pour La Chasse en 2012. Venir à Cannes pour défendre un projet dans lequel on s’est investi, le soutenir face à une compétition internationale et le voir recevoir un tel accueil, c’est vraiment incroyable. Être membre du jury, je pense que c’est une expérience très différente. Pour une fois, je vais enfin voir des films à Cannes. D’habitude, je n’ai jamais trop le temps de regarder des films pendant le festival, mais cette année je vais avoir un très bon aperçu de la compétition.
Un mot sur Hannibal : vous avez récemment déclaré dans une interview que la série avait encore des choses à raconter. C’était une phrase assez vague… Comment imaginez-vous la suite de l’histoire ? Un retour dans quelques années serait-il compliqué à intégrer au scénario ?
J’aimerais beaucoup reprendre mon rôle, effectivement. Je pense toujours que l’histoire de la série s’accommoderait très facilement d’une ellipse de quelques années, je ne sais juste pas comment cela se ferait exactement. Quoi qu’il arrive, je ne le ferais pas sans Bryan Fuller, cela dépend vraiment de lui.
Vous avez un agenda plutôt rempli en ce moment, mais comment voyez-vous votre carrière dans les prochaines années ? Y a-t-il une chose que vous aimeriez particulièrement faire ?
Je n’ai pas de plan très défini pour la suite de ma carrière, pas de grand projet : j’ai juste envie de garder un équilibre comme aujourd’hui entre des projets danois tels que Men & Chicken et des grosses productions américaines. Pour mon rôle dans Doctor Strange, je me suis préparé physiquement, j’ai passé des semaines à apprendre des mouvements de kung-fu, et j’ai adoré cela. Et pourtant j’ai aussi tourné dans Men & Chicken. Dans les prochaines années, si j’arrive à conserver cet équilibre entre ces deux types de films, ce serait parfait.
Propos recueillis par téléphone le 7 mai 2016.