Après des mois de dur labeur, Kobo a dévoilé ce vendredi 24 mai un premier album remarquable. Véritable équilibriste, le “Koboy” du rap francophone signe ici un disque très travaillé, qui sonne comme une parfaite introduction à son univers sombre et torturé. Avec, tout de même, quelques éclaircies dans le ciel orageux de l’artiste de 26 ans, grâce à une variété de prod’ et de style des plus pertinentes.
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Si tous les yeux sont braqués sur lui depuis ses premiers freestyles ténébreux − son nom de scène pourrait être “Kobo la Débrouille” −, le rappeur a pris le temps de construire un album introspectif, à son image, avec toujours cette noirceur si caractéristique comme fil rouge. Il y impose son “Style libre”, avec un souci du détail particulièrement marqué. Des textes accomplis, une tracklist intelligente et aucun featuring : le rappeur belge fait une véritable démonstration du talent qu’on lui prêtait bien volontiers jusqu’ici.
D’autant plus que cette parution tant attendue par les fans de l’artiste s’accompagne d’un incroyable double clip, que l’on doit au talentueux réalisateur Antoine Besse. Un format particulier, qui offre la possibilité de narrer une histoire en deux temps. Elle est ici parfaitement exploitée, et n’est pas sans rappeler la fin magistrale du chef-d’œuvre de Damien Chazelle, La La Land (mais on ne vous en dit pas plus). Kobo y expose brillamment ses “cicatrices sur le dos”, ses “blessures de guerre”. Entretien avec un artiste en perpétuelle remise en question, à la recherche d’un équilibre qui lui est essentiel.
Konbini | Hello Kobo ! Tu faisais partie du casting de la saison 2 de Frenchmen. Que s’est-il passé pour toi depuis ?
Kobo | Beaucoup de choses. J’ai poursuivi la promotion de mon premier album. J’ai sorti un clip entre-temps, ainsi qu’un single. On sort le premier album aujourd’hui, j’ai hâte !
Enfin !
C’est vrai. J’avais besoin de prendre mon temps pour proposer quelque chose de qualité et être à la hauteur des attentes du public. J’ai vraiment pris le temps de bosser dur, de faire connaissance avec mon art et ma créativité. J’ai pu voir jusqu’où je pouvais aller. Je pense que je suis arrivé à un niveau qui fait que je suis capable de proposer ce premier projet. On verra ce que le public en pense.
Pour ton premier projet, tu as décidé de sortir un album assez conséquent.
C’est un album de treize titres, mais les quatre autres sont des bonus. Ils étaient déjà sortis avant mais n’étaient pas disponibles sur les plateformes de streaming. L’album en tant que tel va de “Introspection” à “Vie d’artiste”. Il y a réellement une histoire qui se raconte. À la première écoute, c’est peut-être dur de la cerner. Mais dès la seconde écoute, tu vois que les morceaux sont liés les uns aux autres. Par exemple, la première phrase de “Nostalgie” (“Je ne pourrais pas me contenter du minimum”) est un clin d’œil à la dernière de “Baltimore”, la piste d’avant. Plein de petites choses comme ça.
Tu te considères comme un perfectionniste ?
Oui, un petit peu quand même. C’est la raison pour laquelle j’ai pris tout ce temps. Je voulais être prêt, et cela demande du travail. Il faut savoir rester dans l’ombre pendant un certain moment, et attendre son heure. Je suis obligé d’être perfectionniste, car la concurrence est forte. Quand je regarde autour de moi, il y a d’autres artistes qui proposent de la qualité, moi aussi je dois mettre la barre le plus haut possible.
C’est un soulagement, ce premier album ?
Personnellement, j’ai toujours eu un rapport très thérapeutique avec la musique. Je suis quelqu’un qui a besoin de mettre des mots sur ses émotions. La musique est comme un miroir, quand j’en fais cela me permet de me comprendre. Il y a des choses que j’ai du mal à exprimer dans une conversation, mais en musique je suis plus à l’aise. Quand je sens que je suis perdu par rapport à moi-même, je fais des morceaux pour me libérer. Maintenant que je suis arrivé à la fin de l’album, je sens que j’ai comme un poids en moins.
© Félicity Ben Rejeb
Comment décrirais-tu ce projet ?
Je trouve que c’est un projet à la fois ouvert, assez introverti et authentique. Je suis dans cette recherche d’équilibre entre la personne que je suis vraiment et le personnage que je suis devenu, l’alter ego avec le masque. Il n’y a pas de collaboration sur ce projet, c’est volontaire. J’ai essayé de faire cet effort de ne livrer que des morceaux en solo. J’aimerais que la personne qui écoute l’album se fasse une idée de qui je suis et de mon univers artistique.
Il y a une belle diversité au niveau des prod’. Avec qui as-tu travaillé ?
J’ai travaillé avec des beatmakers comme Dolfa, Ozhora Miyagi ou Kore, pour ne citer que les plus connus. Sinon des mecs un peu moins exposés, comme Marty, HRNN Production sur “Nostalgie” ou Monkeys Grocery sur “Désillusion”. Je voulais avoir quelque chose de varié. Quand je te disais que c’est un album ouvert, c’est vraiment dans cet esprit-là. Je voulais une alternance entre ce côté dur avec lequel j’ai commencé avec “What’s my name ?”, et ce côté doux à la “Baltimore”, où je fais davantage voyager l’auditeur. Chacun peut y trouver son compte. Je voulais vraiment essayer de toucher différentes personnes. Tant le mec de quartier qui vit sa dure réalité au jour le jour, que quelqu’un qui est totalement étranger à ça et qui a une vie cool.
Aujourd’hui, la mélodie a tendance à l’emporter sur les paroles. Toi, tu as des textes très travaillés.
Je faisais des études de droit. J’ai toujours eu ce rapport assez poussé à l’écriture. Bien avant la musique, j’écrivais déjà beaucoup. J’aimais bien juste écrire ce que je ressens ou même inventer des histoires. Quand tu fais des études, les professeurs insistent sur l’esprit critique, la justesse, la précision, les arguments. Tout doit être basé sur des faits. Il y a cette rigueur au niveau de la plume. Maintenant, je suis cette logique-là, ça imprègne ma musique. J’ai toujours besoin de transmettre un message, ou en tout cas de glisser quelque chose qui va avoir un apport positif. Je peux dire un truc vulgaire, mais il y aura toujours un petit message qui va venir rééquilibrer le tout.
Tout est question d’équilibre avec toi !
Oui, c’est un mot qui revient tout le temps dans ce que je dis. La cover, c’est pareil. Tu sens que je suis vraiment en Période d’essai justement, que c’est le rap game qui m’engage comme un stagiaire. Il me donne ma chance : si je fais les choses bien, j’ai un contrat. Si je ne fais pas les choses bien, il me dira : “À la prochaine !” Je pense que cette pochette reflète bien cette dualité, la personne que je suis et cet alter ego que j’ai présenté au public depuis le début.
Sur la pochette justement, tu tombes le masque.
Plus ou moins. J’ai quand même voulu garder l’autre partie masquée pour que les gens comprennent que ce n’est pas un changement radical, mais plutôt une suite logique. Mon alter ego sera toujours là, avec le masque.
Il y a également le double clip de “Nostalgie” et “Succès” qui sort ce vendredi. Pourquoi avoir choisi ce format ?
Ce n’est pas très répandu, à part dans les freestyles, mais pas trop dans les clips en tant que tels. C’est à la fois pour se démarquer et pour offrir une surprise au public qui n’est pas au courant que le deuxième clip est à la suite. C’est un clip qui va justement permettre au public de mieux comprendre cette dualité dont je te parlais.
Vous avez tourné à Kinshasa, c’est bien ça ?
On a bien travaillé avec le réalisateur Antoine Besse, qui avait de superbes idées. On a vraiment pris le temps de discuter, d’échanger. La majorité des idées étaient les siennes, y compris celle d’aller à Kinshasa. Cela m’a tout de suite parlé, puisque c’est une partie de mon identité et je n’avais pas eu encore l’occasion de mettre en avant, cet aspect africain et congolais de ma personne. J’étais plus dans quelque chose de classique, un rappeur à l’occidentale. C’était une occasion de casser les codes et d’offrir une chance à des acteurs locaux d’être visibles. J’aborde souvent des thèmes comme l’Afrique, la conscience noire, et c’est important de faire des gestes concrets qui vont avec. À mon niveau, un clip là-bas était le plus beau geste que je pouvais faire. C’est ma modeste contribution.
© Félicity Ben Rejeb
À l’écoute, on sent que tu étais méfiant, et à la fois lucide, vis-à-vis de l’industrie musicale.
Ce n’est pas forcément de la méfiance, mais plutôt du réalisme. L’industrie est ce qu’elle est, avec la partie musique et artistique qui est cool, mais il y a aussi l’aspect business et ses réalités qui sont plus durs. Souvent, il y a des artistes dont on a beaucoup parlé, qui ont percé, et dont on ne souvient pas aujourd’hui. Ça en dit beaucoup sur l’industrie. Il faut garder un équilibre et rester prudent sur l’aspect business de la musique. Il faut rester éveillé car cela peut aller très vite.
C’est pour cela que tu chantes “Je suis payé pour te vendre rêve et artifice” sur “Vie d’artiste” ?
C’est vrai, je trouve qu’en tant qu’artiste c’est mon boulot. Cela reste du divertissement, il faut donner du plaisir. Finalement c’est mon travail et les gens ont tendance à oublier que derrière, il y a une réalité comme tout le monde. Je suis un mec qui essaie de s’en sortir et je bosse. Donc finalement, derrière tous ces rêves et ces artifices, je suis quelqu’un de normal. Une fois que tu signes, tu te rends compte que c’est vraiment ton boulot : donner du plaisir aux gens et entretenir ce plaisir à long terme.
La transition entre le statut d’amateur et celui de professionnel s’est bien passée pour toi ?
Elle s’est plutôt bien passée quand je vois où j’en suis aujourd’hui. Mais émotionnellement parlant, il y a eu des hauts et des bas. Il y a des moments où je me demandais pourquoi j’avais signé ou pourquoi ce n’était pas arrivé plus tôt. C’était vraiment ça. T’es en indé, t’as l’habitude de bosser seul, puis après tu te retrouves en équipe avec des compromis à faire, il faut s’adapter aux règles, à l’ambiance générale. Ce n’est pas toujours évident. “Vie d’artiste” est un morceau que j’ai écrit durant cette période de transition, après avoir signé (avec Polydor, ndlr), et dans les gros moments de doute. Je me demandais si j’avais fait les bons choix. Mais finalement la vie d’artiste est assez belle. Je fais ce que j’aime et ce n’est pas donné à tout le monde.
© Félicity Ben Rejeb
Sur le titre “Serpent”, tu dis : “Plus tu montes, plus tu paies le prix”.
Plus tu commences à avoir des retours, plus tu commences à avoir l’attention des médias, plus tu dois continuer à bosser. En tout cas le prix que je paie, c’est comme ça que je le ressens : moins de temps avec ta famille, moins de temps avec tes amis, plus de temps seul au studio. Cette quantité de travail assez énorme à fournir, c’est vraiment ça le prix à payer. Tu te rends compte que ce sont des semaines qui se transforment en mois, des mois qui se transforment en années, et des années qui représentent une grosse partie de ta vie quand tu regardes bien. On ne s’en rend pas toujours compte sur l’instant.
C’est un cercle vertueux ou vicieux, selon toi ?
Mi-vertueux, mi-vicieux. Il y a des bons côtés, des gens qui apprécient ta musique et cela te fait avancer dans la vie. Mais il y a le côté vicieux. C’est beaucoup de solitude, beaucoup de travail. Il faut trouver un équilibre, même si parfois c’est compliqué. Quand tu fais deux ou trois mois tout seul et que tu t’y habitues, tu te rends compte que même quand tu es avec des gens, tu as envie de partir. Quand tu commences à ressentir ça envers ta propre famille, il faut se poser les bonnes questions.
Tu ressens ce besoin de solitude pour travailler ?
Je travaille beaucoup mieux seul, sauf si je suis avec mon ingé ou un beatmaker. J’ai des voix dans ma tête et le seul moment où je peux les entendre, c’est tard la nuit. J’ai besoin d’être seul pour savoir ce que j’ai vraiment envie de mettre sur une prod’. C’est le revers de la médaille, quand t’as de l’inspiration uniquement dans un certain cadre. Sinon, elle ne sera pas aussi pure. J’ai besoin de cette solitude, même si elle me détruit.
C’est marrant parce que je parlais récemment avec Loveni, qui lui préférait bosser de façon assez collégiale. Toi, tu procèdes de manière totalement opposée.
Oui en effet. Après, j’ai aussi besoin de ces moments-là, mais c’est seulement avec les beatmakers. Avec Dolfa par exemple, si tu prends les morceaux “Introspection” et “Manque de sommeil”, ce sont des titres qu’on a faits en deux ou trois heures ! Prod’, texte, enregistrement… Tout ! Je sentais qu’on devait se voir, le feeling est venu direct. Ce sont les deux morceaux que j’ai écrits le plus rapidement, surtout “Introspection”. C’était naturel et ça venait du cœur.
Tous les autres, c’était seul dans mon coin, même dans le noir par moments. Il faut que je sois vraiment dans ma bulle pour faire le bon morceau. Relire, corriger les fautes, et s’assurer que ce que tu dis a du sens. Souvent, j’évite même l’argot parce que j’ai vraiment envie que tout le monde puisse me comprendre. Parfois, je pars dans un truc où je mélange les mots, comme à la fin de “Blessing” ou de “Koboy”. Ça repart en boucle, ce sont mes moments de jouissance à l’extrême de l’inspiration.
Quels vont être tes prochains objectifs désormais ?
Juste avoir de bons retours sur l’album. Tout dépendra de ça. Les objectifs restent les mêmes depuis le début, construire une carrière et la faire durer le plus longtemps possible. Sinon, j’aimerais bien stabiliser ma vie. Depuis que je suis en Belgique, je suis passé par pas mal de galères. Ça n’a vraiment pas été facile, le fait de vivre dans un pays sans ses parents. Il y a eu quelques hauts et surtout beaucoup de bas. La sortie de cet album me permet d’équilibrer un peu tout ça.
© Félicity Ben Rejeb