Après six longues années de silence, Craig David s’apprête à revenir sur le devant de la scène. Entretien avec un chanteur qui a marqué l’âge d’or du r‘n’b autant que nos petits cœurs.
À voir aussi sur Konbini
En 2000, Craig David dévoile son tout premier album : Born to Do it. Un disque sur lequel s’enchaînent des ballades emplies d’amour telles que “7 Days” ou “Walking Away”, et grâce auquel l’Anglais, tout juste sorti de l’adolescence, rejoint instantanément la grande famille du r’n’b aux côtés des TLC, d’Usher, de Brandy ou encore des Destiny’s Child. Autant d’artistes qui ont contribué à faire des années 2000 l’une des époques les plus florissantes pour le genre.
Depuis ce disque, qui s’est écoulé à quelque 8 millions d’exemplaires à travers le monde, le chanteur s’était fait plutôt discret, sans doute soumis à la difficile tâche de rebondir après un succès aussi énorme, aussi prématuré que celui de ce premier album. Certes, d’autres opus ont par la suite vu le jour : Slicker Than Your Average en 2002, The Story Goes… en 2005, Trust Me en 2007 et Signed Sealed Delivered en 2010, le dernier en date. Mais aucun d’entre eux n’aura la saveur et ne connaîtra le succès de Born to Do it.
À présent, Craig David, 34 ans, s’apprête à refaire surface avec un album prévu à l’automne 2016. Désireuse d’en savoir plus, j’ai rencontré le chanteur quelques heures avant son concert à la Cigale – qui affichait complet, bien sûr – le 25 février dernier. Visiblement heureux d’être en France, souriant tout au long de l’entretien (pendant lequel je m’appliquais à ne jamais laisser transparaître mon immense admiration), il a raconté ses six années de coupure, analysé la nouvelle scène du r’n’b et évoqué une probable collaboration avec un certain Drake.
Konbini | Tes morceaux ont bercé mon enfance et, avec le recul, je peux aujourd’hui affirmer que tu es l’un des artistes qui a le plus marqué le r’n’b, car tu as créé de vrais classiques. Tu es conscient de ça ?
Craig David | Oh non, pas du tout ! Je sais juste que j’adore la musique, que j’adore rendre les gens heureux avec. Quand je monte sur scène ou que je compose un morceau, c’est ça qui m’excite. Aussi flatteuses que ces notions de “classiques” peuvent être, à partir du moment où tu leur attaches trop d’importance, tu commences à te créer une vraie pression, et cela peut devenir vraiment pesant pour ton travail.
Ce qui était fabuleux avec Born to Do it, c’est que j’étais juste un gamin qui voulais faire de la musique. Aujourd’hui je suis de retour avec cette mentalité. J’ai 34 ans, mais j’ai l’impression d’en avoir 16. Je suis à nouveau ce gosse qui va faire des morceaux. Et si je reste dans cet état d’esprit, avec un peu de chance, je retrouverais cette connexion que tu as ressentie quand tu étais enfant.
Ce premier album, Born to Do it, a eu un véritable impact sur ta vie…
Ça l’a complètement changée ! En très peu de temps, je suis passé de la situation où j’étais un enfant de 17 ans, à celle où je voyageais partout à travers le monde. C’était fou ! Ça a tout changé. Et, avec les années, je me rends compte que ça a aussi changé la vie de pas mal d’autres personnes. C’est la chose la plus incroyable pour moi, de penser que j’ai été capable de toucher des millions de personnes avec ces morceaux.
Dont moi !
(Rires) Ouais, tu vois c’est ça exactement que je cherche. Le contact, les relations avec les gens. C’est le but de la musique. Connecter les personnes entre elles.
“Je vivais dans une bulle faite de voyages, de studio, de concerts. J’avais vraiment l’impression d’être déconnecté”
Ton dernier album est sorti en 2010, il y a six ans. Qu’as-tu fait tout ce temps ?
Tu sais, faire quelques bons morceaux, c’est une chose. Mais bâtir une carrière sur le long terme, être capable de gérer les hauts et les bas, c’est autre chose, et il faut parfois savoir prendre du recul.
En 2010, j’ai eu l’impression de ne plus être dans le coup en termes de texte, de paroles. Parce que je ne vivais plus assez, et donc je n’étais plus capable de dire : “Hey regarde, je peux m’identifier à toi parce que je vis les mêmes choses que toi – une rupture amoureuse, des difficultés financières, la joie, la tristesse…” Je vivais dans une bulle faite de voyages, de studio, de concerts. Mais personne ne veut entendre ça ! Je pense aux gens qui n’ont pas d’emploi par exemple, ils n’ont clairement aucune envie de savoir que je saute d’un avion à un autre ! J’avais vraiment l’impression d’être déconnecté.
Du coup j’ai ressenti le besoin de disparaître. Pour vivre à nouveau. Alors je suis parti à Miami, en pensant que j’allais pouvoir revivre, en me disant : “Ok c’est cool, tu l’as fait, tu as un appart, une maison, tout est cool.” Mais je me suis trompé, car vivre n’a rien à avoir avec la possession matérielle.
Tu vois, cette histoire que tu m’as racontée, quand tu me disais que ma musique t’avait touchée enfant ? Eh bien j’avais l’impression de gâcher ça à Miami. J’étais là, en train de rien foutre, en train de rider dans ma voiture… Un jour, je me suis réveillé et je me suis dit : “Mais qu’est-ce que je fous là ? J’ai ce don de chanter, je dois retourner en Europe et faire de la musique.”
Et te voilà de retour !
Oui, c’est le plan en tout cas ! Et je me dis que si je m’amuse, si je profite des choses et que j’aime ce que je fais, les gens auront cette même réaction. Je suis convaincu que la musique a un effet miroir.
Il y a quelques semaines, tu as dévoilé “When the Bassline Drops” aux côtés de Big Narstie, une des plus grandes figures de la scène grime. Ton nouvel album penchera-t-il plutôt du côté du r’n’b, ou plutôt du côté de la grime et du garage UK ?
Si tu regardes la construction de Born to Do it, il y avait du r’n’b bien sûr mais aussi des sons comme “Rewind” ou “Feel Me In” qui tendaient plus vers le garage UK. Je pense que ce nouvel album sera un équilibre entre les deux. Je suis un artiste de r’n’b, de soul, donc le cœur de l’album sera r’n’b, mais les productions pourront s’imprégner de la grime et du garage. Je veux qu’il y ait un lien permanent entre les genres.
Tu sais, je ne prévois pas vraiment ce genre de choses. Quand je fais des morceaux, je ne me dis pas qu’il faut qu’ils soient comme ci ou comme ça, ou qu’il feront partie d’un album. Je les fais comme je le sens, et ensuite, je les fais écouter à mes proches et on se dit : “Ok, celui-là est un single. Ah, et celui-ci aussi.” Et c’est comme ça que tu te retrouves avec 12 titres qui sonnent comme des singles et que tu fais un album.
“Il faut toujours rester dans sa trajectoire, faire ce qui te semble bon”
Que penses-tu de l’évolution de la scène grime, qui a vraiment explosé ces dernières années à l’international avec des artistes comme Skepta, Stormzy ou Lady Leshurr ?
C’est une évolution naturelle. Selon moi la grime est revenue en 2013 avec “21 Seconds” de So Solid Crew. Dans le même temps, le garage est devenu vraiment mainstream et pop, et cette scène a été saturée. Alors, les artistes se le sont réapproprié et l’on rendu plus froid, plus dark, et ça a fini par se résumer à des MCs qui rappent sur des instrus. Il est sorti de sa route si tu veux.
Et puis, petit à petit, le garage est revenu avec des mélodies. Parce que tu as beau être le meilleur MC du monde, tu as quand même besoin d’une accroche qui fonctionne, et ce peu importe le genre de musique. Dans le garage, cette accroche s’est faite avec le bass drop, et c’est quasi la même chose pour la grime maintenant.
Si tu regardes ce que fait Skepta avec “Shutdown” ou Stormzy avec “Wicked Skengman”, tu observeras que la musique est beaucoup plus mélodique à présent. C’est pour ça que les scènes grime et garage ont aujourd’hui tendance à se rejoindre et qu’elles sont capables d’établir des ponts correctement. Les MCs ont réalisé qu’ils ne pouvaient plus seulement être des MCs sur toute la longueur d’un morceau.
En ce qui concerne Lady Leshurr, elle a toujours eu un univers différent de tout ce qui se faisait autour et ça devait finir par payer un jour. Elle aurait pu se trahir, se dire : “Peut-être que je devrais faire des choses plus mainstream.” Mais elle est restée dans sa trajectoire et aujourd’hui, ça paie. Sa musique a même traversé l’Atlantique.
Il était temps !
C’est clair. C’est pour ça qu’il faut toujours rester dans sa trajectoire, faire ce qui te semble bon, à toi, et pas au reste du monde. Et si tu continues à faire ça, ça finit forcément par payer. Regarde The Weeknd : il y a eu une époque où il faisait une musique très aérienne, très atmosphérique, et finalement très différente de ce que la scène r’n’b proposait à ce moment-là, avec des mecs comme Chris Brown, par exemple. Et puis, un beau jour, il a atteint le succès que nous connaissons aujourd’hui, et tout le monde s’est accordé à dire qu’il était vraiment unique.
“Mélodiquement, il y a quelque chose de commun entre Drake et moi”
Que penses-tu de la scène actuelle du r’n’b, portée par des gens comme The Weeknd justement ?
C’est un éternel recommencement, qui revient aujourd’hui vers les années 1990, l’une des meilleures périodes du genre, selon moi. Non pas que je sois nostalgique, pas du tout même, mais c’est à cette époque que sont nés “No Scrubs” de TLC, “No More” de Ruff Endz, “One Wish” de Ray J, le remix d'”Ignition” de R. Kelly et qu’Usher a sorti “You Make Me Wanna…”, “Nice & Slow”, “U Got It Bad”, “Burn”… Des titres très lents, qui sont devenus des hymnes d’amour.
Ce qu’il se passe aujourd’hui, c’est que la génération des 14-15 ans redécouvre ces morceaux, pendant que l’ancienne génération (la mienne), qui les a connu à leur sortie, les réécoute. Et tout le monde se met à écouter cette même musique. C’est génial !
Y a-t-il des artistes de la nouvelle génération avec lesquels tu aimerais collaborer ? Je pense notamment à Drake…
Il y a eu beaucoup de comparaisons entre Drake et moi, parce que mélodiquement, effectivement, il y a quelque chose de commun entre nous. Drake est très créatif, ça coule de source. Donc si je fais une mixtape avec lui [Craig David avait déjà évoqué ce projet il y a quelques mois, ndlr], ce ne sera pas parce qu’il est l’un des meilleurs rappeurs du moment, mais parce que je pense qu’on a vraiment des choses en commun. Ce n’est plus qu’une question de temps.
C’est pour ça que je tiens à rester moi-même dans mon processus créatif. Et si je fais cela correctement, alors peut-être que je passerais dans son radar et qu’il se dira que le moment est venu pour nous de bosser ensemble.
J’ai cru comprendre que tu avais été en studio avec Kaytranada…
Ouais, on a bossé ensemble, à distance. Et, franchement, ce mec est trop fort ! Il incarne la nouvelle vague du r’n’b. On a fait un morceau pour mon album et un pour le sien. Tout s’est parfaitement goupillé. J’ai tellement hâte que vous entendiez ce qu’on a fait !
En termes de mélodie, je fais un retour à la simplicité et, en termes de paroles, j’aborde des sujets auxquels les gens pourront s’identifier. Mais ce n’est pas un album fourre-tout pour autant ! Simplement, j’ai retrouvé la hargne que j’avais quand j’étais tout nouveau dans cette industrie. Parce que je veux prouver des choses.
“Une chanson ne devrait pas être jugée sur sa popularité mais sur les émotions”
Ressens-tu une certaine forme de pression ?
J’ai retiré la pression de la vie, tout est très relax, car rien de ceci ne doit être pris au sérieux. C’est ça le truc ! Si tu commences à ressasser le passé en te disant : “Oh mon Dieu, ce que j’ai fait à cette époque a trop marché, peut-être que c’est ça que les gens veulent“, tu vas finir par faire un album foireux. Mais si tu chill, si tu fais de la musique que tu apprécies vraiment, les gens se diront : “Oh, j’ai l’impression que ce son a été cool à faire, cet album respire le fun.” Et c’est vers ça que je tends actuellement. Une chanson ne devrait pas être jugée sur sa popularité mais sur les émotions.
Tu vois, jai fait un tour sur Twitter et Instagram récemment, et j’ai vu plein, plein de vidéos de jeunes en train s’ambiancer sur The Weeknd… Voilà ce que je veux faire ! Si tu fais des albums pour être le premier dans les ventes, pour que tes titres passent à la radio, je peux te garantir que tu vas finir par être déçu.
Est-ce que je retrouverai le Craig David de mon enfance sur ce nouvel album ?
Disons que j’ai évolué, c’est sûr, je ne peux pas dire que je pense de la même façon que quand j’avais 16 ou 17 ans. Mais en ce qui concerne la mélodie, la façon dont j’écris, je n’ai jamais changé.
La seule chose qui s’est passée, finalement, c’est que j’ai dû énormément m’éloigner de tout ça pendant un temps, pour finir par réaliser que tout ce que je voulais, c’était faire ce que je faisais au début. Je suis donc de retour avec cet état d’esprit, mais avec quinze années de sagesse supplémentaire.