La jeune réalisatrice Anaïs Volpé a donné le clap de fin de son film le 9 octobre dernier. Depuis le mois de septembre, elle termine tant bien que mal son prochain long-métrage, Entre les vagues. Si son titre fait tristement écho à l’actualité, il n’évoque en rien les vagues épidémiques du Covid-19. Son drame ausculte la relation amicale de deux amies férues de théâtre, interprétées par Souheila Yacoub (puissante dans Climax ou Les Sauvages) et Déborah Lukumuena (étoile de Divines). Lorsque l’une est prise pour interpréter le rôle principal d’une pièce, l’autre est contrainte de faire sa doublure, mais sans rancune. Alors qu’elles sont inséparables, un événement mystérieux va bouleverser leur destin.
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Aux côtés des deux actrices principales, la cinéaste a invité Matthieu Longatte, le créateur de la série Narvalo, aussi connu pour sa chaîne Bonjour Tristesse. Cerise sur le gâteau, elle s’est offert les services de l’Américain Sean Price Williams, le chef opérateur qui a sublimé les films des frères Safdie, notamment Good Time. Prometteur, son film a déjà reçu le Prix du public du scénario au festival Premiers Plans d’Angers 2020, a été pré-acheté par Canal+ et Ciné+, tandis que MK2 assurera les ventes internationales.
Si aujourd’hui le parcours d’Anaïs Volpé ressemble à un conte de fées, cette aventure cinématographique a été une expérience intense. Avec sa productrice Caroline Nataf, elle a dû braver les restrictions sanitaires, modifier son scénario et garder espoir pour tourner ce film personnel qu’elle a écrit en 2017. Retour sur un tournage atypique, en pleine pandémie mondiale.
© Anais Volpe / KMBO
Konbini : Tu viens de terminer ton film, comment as-tu vécu ton tournage avec les différentes restrictions imposées par le gouvernement ?
Anais Volpé : Ça fait deux semaines que j’ai terminé mon tournage et j’ai le sentiment d’être dans un magma d’émotions complètement différentes. Je suis encore extrêmement fatiguée mais je me sens très chanceuse et heureuse d’avoir pu réaliser mon projet en 2020, au regard du contexte très difficile. Néanmoins, je me sens vulnérable car la post-production va commencer et j’ai encore un milliard de questions en tête. Comme je viens du cinéma auto-produit, je peux aussi dire que j’ai réalisé un rêve en étant soutenue continuellement par une boîte de production. C’est pas mal d’émotions contradictoires.
Face à la situation sanitaire instable, as-tu hésité à reporter ton tournage ?
Je me revois dire à ma productrice en 2019 : “Quoi qu’il arrive, on le tourne en 2020 !” Personne n’avait envisagé une pandémie mondiale. Et ce qui est fou, c’est qu’on l’a fait malgré tout. Pendant le confinement, je me suis dit qu’on ne pourrait pas se retrouver à plus de dix personnes et qu’il serait impossible de faire un film, mais au moment du déconfinement, il y a eu une sorte d’espoir qui est revenu chez nous tous. Lorsqu’on a décidé de faire le film avec ma productrice, on a pris les mesures nécessaires pour ne pas prendre de risques inutiles.
Comment gérer ses journées de tournage quand on nous impose une équipe réduite ?
Mon expérience dans le cinéma auto-produit a été déterminante puisque j’ai toujours travaillé avec des équipes très réduites. Par exemple, pour mon projet protéiforme Heis, il m’est arrivé de bosser avec seulement trois personnes sur le plateau, sans personne derrière la caméra fixe pendant qu’on tourne une scène, devant la caméra. Je n’ai donc pas paniqué quand on m’a parlé d’équipe réduite par rapport au Covid-19. Pour la première fois, j’allais travailler avec une équipe composée d’une vingtaine de personnes avec des postes définis. Pour moi, c’était déjà beaucoup, alors que ce n’est clairement pas la règle dans le cinéma. J’ai pris du plaisir à constituer cette équipe réduite. Ces restrictions humaines m’ont aussi permis d’anticiper une cohésion d’équipe, ce qui était très important.
“Il faut parfois apprendre à faire le deuil de certaines idées pour avancer.”
Le protocole sanitaire t’a-t-il contrainte à modifier ton scénario ?
J’ai dû repenser certaines scènes, mais j’avais déjà fait cet exercice tellement de fois par le passé. Pendant des années, j’ai été obligée de revoir mes plans, faute d’argent. Cette fois, c’était à cause d’un virus. Même si c’est éreintant, je trouve ça intéressant de chercher des solutions pour raconter l’histoire telle que je l’ai imaginée… Il faut parfois apprendre à faire le deuil de certaines idées pour avancer. J’ai globalement eu beaucoup de chance. Par exemple, j’ai tourné des scènes dans un bar, tard le soir, juste avant qu’ils commencent à fermer à 22 heures. J’ai également pu finir le tournage quelques jours avant le couvre-feu à 21 heures, après avoir tourné beaucoup de scènes de nuit les jours précédents.
Pendant le tournage, as-tu dû faire le deuil de certains lieux ?
En période de Covid, c’est toujours un peu plus compliqué pour que les lieux nous accueillent, mais on a toujours trouvé des solutions. C’est dans mon ADN de trouver un plan B, C, D, E, F, G. Pendant la préparation du film cet été, j’ai eu peur de ne pas trouver de théâtre qui accepte de nous accueillir à cause de toutes les restrictions sanitaires. J’ai eu la chance de pouvoir collaborer avec le Théâtre de la Cité internationale, dirigé par Marc Le Glatin qui soutient énormément la jeune création. D’autant plus que ce lieu nécessitait un bon nombre de figurants, il a donc fallu créer l’illusion d’un public et d’une salle bien remplie.
As-tu privilégié les lieux extérieurs à défaut de tourner dans des lieux clos ?
J’ai tourné dans pas mal d’endroits clos, mais j’ai eu peur d’avoir à me tourner vers l’extérieur, que le propriétaire d’un lieu me lâche à cause de la situation sanitaire. Pour les scènes que nous avions à tourner dans la rue, je ne voulais pas que l’on voit des gens au loin avec des masques. Avec mon chef opérateur, nous avions cette envie commune de filmer la rue, de sentir la ville et ne pas se restreindre à filmer les scènes extérieures en plans serrés pour éviter les masques. Il a fallu beaucoup tricher là encore. Pour la figuration, nous avons fait marcher quelques personnes de l’équipe sans masque, tout en respectant de grandes distances entre eux. J’ai moi-même fait deux fois de la figuration pendant mon tournage. Éviter la présence des masques aujourd’hui, c’est presque faire un “film d’époque” !
© Alexandre Desane
Quels impacts ont eu les gestes barrières sur ton tournage ?
Il y avait un référent Covid sur le plateau, qui faisait attention à ce que l’on respecte bien les gestes barrières. Si l’on se parlait toujours à travers des vitres pendant les pauses déjeuners, le plus difficile était de porter le masque. En tant que réalisatrice, j’ai trouvé cela très compliqué de diriger ainsi une équipe. Je me souviens que Souheila Yacoub et Déborah Lukumuena me disaient souvent qu’elles avaient besoin d’être rassurées pendant les prises. J’essayais de les encourager avec tout mon visage, mais finalement elles ne voyaient que mes yeux, pas mes sourires. Je pense qu’elles ont eu la sensation de ne pas avoir de réponses, mais c’était une protection nécessaire pour continuer le film. Sentimentalement et humainement, le film était très intense pour moi donc ne pas pouvoir se prendre dans les bras, c’est parfois dur.
Tu qualifies ton tournage d’intense. À quel point les journées ont-elles été allongées ?
Les journées n’ont pas été rallongées car il y a bien évidemment des règles d’horaires à respecter sur les tournages. C’était surtout intense parce qu’on avait conscience, d’une part, que le tournage pouvait s’arrêter net si l’un d’entre nous était contaminé et, d’autre part, que les restrictions du gouvernement qui prenaient de plus en plus d’ampleur pouvaient nous faire perdre un lieu. Tourner un film, c’est déjà beaucoup de pression, alors tourner un film en pleine pandémie mondiale, c’est un autre niveau de pression.
Au maquillage, quelles étaient les procédures de désinfection ?
Marietou Adjiratou Ba, notre cheffe maquilleuse, devait porter un masque tout le temps. Elle avait des pinceaux attitrés pour chaque personne qu’elle devait maquiller dans la journée. Elle avait également pris le soin de faire deux trousses différentes : une pour Souheila et une pour Déborah, dans lesquelles il y avait tout le nécessaire pour les maquiller et les coiffer. Elle avait tout en double et désinfectait régulièrement tout ce qu’elle pouvait après chaque journée de tournage. Chacun a pris ses précautions à fond, nous n’avons eu aucun cas de Covid sur le tournage. C’est grâce au sérieux et à la créativité de chaque personne de l’équipe qu’on est restés dans une énergie constructive ! L’enthousiasme et l’entraide de chacun ont été essentiels à la fabrication du film.
© Barnaby Coote