Au début des années 2000, Internet devenait le réceptacle des peines et difficultés de centaines de milliers de personnes, depuis le confort de leur intérieur domestique. Ainsi se sont rassemblées diverses communautés, à l’exemple des personnes souffrant de troubles alimentaires. Ces dernières y partageaient leurs combats, dans le cycle vicieux de la maladie ou sur le chemin de la guérison.
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À l’apogée de l’époque des sites personnels, on retrouvait en France de nombreux blogs d’utilisateur·rice·s (le plus souvent des jeunes filles) se définissant comme pro-ana, souffrant d’anorexie, ou pro-mia, souffrant de boulimie. Les auteur·e·s, oscillant entre volonté de se sortir de la maladie et pulsion de s’y laisser entraîner, voyaient souvent leurs sites se faire supprimer. À la veille des années 2010, devant le danger que pouvaient représenter certains comptes, le gouvernement français lançait une opération visant à fermer tout site axé sur l’histoire de personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA).
“Je suis récemment tombée sur cette image prise à New York, durant le pic de ma rechute.
Je me souviens vaguement de cette journée. Tout ce que je dirais c’est que je me sentais coincée.
Avance rapide jusqu’à aujourd’hui. Mis à part le fait que je ressemble au drapeau britannique… Je me sens tellement plus libre, remplie d’énergie et fière de moi. Je suis tellement heureuse.”
Aujourd’hui, les réseaux sociaux ont remplacé les blogs de l’époque. Les supports changent mais pas les mœurs : on y retrouve les mêmes communautés, qui se rassemblent désormais à grand renfort de hashtags. En 2012, à la suite de Pinterest et de Tumblr, Instagram a d’ailleurs dû prendre des mesures interdisant tout bonnement le référencement de certains mots-clés, à l’instar de #Thinsporation (mot-valise mêlant thin, mince, et inspiration), #ProAna ou #ProMia. Certains mots-clés, à l’instar de #ThighGap, renvoie d’abord vers une page vide affichant un message proposant de l’aide. Une fois le message lu, l’utilisateur·trice peut décider d’“afficher les publications”.
“Pouvons-nous vous aider ? Les publications contenant les mots ou les hashtags que vous recherchez encouragent souvent un comportement à risques, qui peut mener à la mort. Si vous vivez une passe difficile, on aimerait vous aider.”
L’application dédiée à l’image, précisait le Time en 2012, déclarait alors que “tout compte encourageant ou poussant les utilisateur·trice·s à l’anorexie, la boulimie ou tout autre trouble du comportement alimentaire […] sera[it] désactivé sans avertissement”. Ce genre d’action trouve cependant rapidement ses limites puisque, lorsqu’un hashtag est désactivé, d’autres mots-clés fleurissent à sa place. Il en va de même pour les comptes bannis.
Les réseaux : pente descendante ou ascendante pour les personnes souffrant de TCA ?
En parallèle de cette dimension particulièrement dangereuse que peuvent revêtir les réseaux sociaux, certain·e·s utilisateur·trice·s parviennent à remonter la pente de leurs addictions grâce à des comptes dédiés. D’ancien·ne·s malades ou des clinicien·ne·s rassemblent ainsi des communautés de plusieurs milliers de personnes sur des pages telles que @BingeEaterConfessions, @RecovryWarriors ou @Immaeatthat.
Leurs comptes, remplis de phrases d’inspiration, de mèmes et de nouveaux hashtags, tels que #EatingDisorderRecovery ou #RecoveryWarriors, auraient pour principal objectif de montrer qu’il est possible de s’en sortir et que les malades ne sont pas seul·e·s.
Certain·e·s influenceur·euse·s présentent aussi des challenges sur les réseaux. La youtubeuse star du sujet, @RebeccaJLeung, se met par exemple au défi de surmonter les angoisses de ses “aliments interdits”, encourageant ses abonné·e·s à faire de même.
Refinery29 relate les histoires d’anciennes anorexiques, qui racontent s’en être sorties grâce à ces communautés sur les réseaux. C’est le cas de Paige Sklar, une vingtaine d’années aujourd’hui, hospitalisée à 18 ans à cause de son anorexie : “[Ces comptes] m’ont donné de l’espoir à un moment où je luttais contre mes troubles alimentaires et ma dysmorphie corporelle. Voir que guérir était possible m’a donné de l’élan et m’a poussée à continuer.”
Alors qu’aux États-Unis, les créateurs et créatrices de certains de ces comptes deviennent ambassadeur·rice·s d’associations d’aide aux anorexiques et aux boulimiques, en France, le phénomène reste plus confidentiel.
Ces dernières années, l’ode à la maigreur semble doucement changer de visage. Le hashtag #Thinspiration a laissé sa place au #Fitspiration (plus de 18 millions de publications sont regroupées sous ce mot-clé glorifiant les corps athlétiques) et les comptes prônant la nourriture saine et l’activité physique pullulent. Si ces tendances s’éloignent d’idéaux dangereux pour la santé, elles continuent de polariser l’attention de l’audience sur ce qu’on mange et ce à quoi devraient ressembler nos corps.
“Quand ton psy te demande la dernière fois que tu as utilisé un comportement compensatoire.”