Elles s’appellent Kateryna, Olha ou Veronika, elles viennent de Kyiv, de Dnipro, de Zaporijia. 18 réfugiées ukrainiennes au Royaume-Uni racontent leur histoire dans un projet photo. Une démarche qui montre leurs “forces”, leurs “âmes”, leur “douleur”, explique à l’AFP l’une d’elles, Yulia Zabrodska. Deux ans après l’invasion russe, le projet baptisé Nezlamna (“Incassable” en ukrainien) rassemble sur un site portraits et récits poignants de ces femmes qui ont dû laisser derrière elles leur maison avec une partie de leur famille.
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“Chacune de nous éprouve un sentiment de culpabilité d’avoir quitté notre pays”, explique Yulia, 45 ans, originaire de la capitale ukrainienne. Prendre part à ce projet contribue à montrer qu’elles sont “fortes”, qu’elles se “battent”, dit-elle à l’AFP dans le sud de Londres. L’idée a été lancée par Katia Duncan, une ancienne banquière ukrainienne qui a mis sur pied Trafalgar Girls, une communauté de 5 000 membres sur Internet aidant les réfugiées ukrainiennes à s’intégrer au Royaume-Uni.
Malgré l’idée de force suggérée par son nom, le projet aborde les doutes et les difficultés de ces femmes qui ont fui la guerre. “L’une des questions qu’on leur a posées est : quelle est votre histoire de femme ‘nezlamna’, de femme incassable ?” explique Katia Duncan à l’AFP. “Et leur réponse est : ‘Ce n’est pas comme ça que je me sens, j’ai l’impression de craquer tous les jours. Et ensuite je me reconstruis’“, explique-t-elle. “Beaucoup de ces femmes parlent de cette force qu’elles ne pensaient pas avoir.”
“Pas seules”
Le projet a une visée non seulement “thérapeutique” pour celles qui y prennent part, mais aussi pour les Ukrainiennes “qui se retrouvent dans ces histoires” et ressentent le fait qu’elles ne sont “pas seules” avec de telles impressions. Une source d’inquiétude majeure est l’état de la situation en Ukraine, couplée avec le stress du quotidien de femme qui travaille, de mère célibataire pour la première fois.
Elles ont en commun les banales discussions devant l’école des enfants avant de poser les yeux sur leur téléphone pour lire sur Telegram “le nombre d’explosions qui sont survenues les cinq dernières minutes”, raconte Katia Duncan. “Beaucoup d’entre elles parlent du fait qu’elles restent bloquées pour le reste de la journée.”
“Cette année, c’est plus tendu pour tout le monde, il y a beaucoup d’incertitude”, dit-elle au sujet des deux ans de l’invasion. Si “tout le monde” dans son groupe “parle de la profonde gratitude envers le Royaume-Uni”, construire une nouvelle vie reste un défi. “Toute immigrée se heurte à des difficultés pratiques”, souligne Katia Duncan, “ne pas savoir des choses basiques, comment trouver un médecin, inscrire un enfant à l’école”. Le Royaume-Uni a délivré plus de 200 000 visas à des Ukrainien·ne·s fuyant la guerre depuis deux ans.
Le pouvoir des fleurs
Yulia vit dans un hébergement provisoire loin de l’école de son fils, qui a des besoins particuliers. “Personne ne veut louer [un logement] à une mère sans emploi avec deux enfants”, relève-t-elle. Dans certains secteurs, les qualifications de ces femmes ne sont pas transposables au Royaume-Uni sans suivre une formation intensive.
“L’une des femmes de notre projet, par exemple, a un doctorat en droit. Actuellement, elle choisit d’être femme de ménage parce que c’est quelque chose qu’elle peut faire tout en s’occupant de son enfant”, explique Katia Duncan. Refléter ce courage était essentiel pour la photographe de Nezlamna, Vlada Stoliarova, et derrière son choix de faire poser chacune avec une fleur.
“Je me suis dit, on peut juste avoir une fleur, parce que c’est parfois magnifique. Mais, particulièrement si c’est une plante robuste, elles peuvent pousser à travers le béton”, a-t-elle expliqué. “Parfois je n’arrive pas à surmonter des petits problèmes, parce que je suis fatiguée ou flemmarde.” Mais “quand on regarde les portraits de ces femmes et qu’on lit leur histoire, on se dit : ‘Mon Dieu, je peux tout faire.’“