Sous les néons rouges de l’entrée du théâtre Bobino, dans le quartier du Montparnasse à Paris, une foule dense presse le pas. Ils sont 800 Français, ont pour la plupart la vingtaine, et sont venus, ce dimanche d’avril 2022, assister à une conférence donnée par l’Américain Alex Morton, l’un des représentants et membres les plus influents d’IM Academy.
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Alex Morton en conférence à Barcelone.
Cette société américaine connaît un succès grandissant en France, où elle flirte habilement avec la loi pour vendre ses formations à des jeunes qu’elle tente ensuite de garder sous emprise. L’entreprise, fondée en 2013 à New York par l’homme d’affaires Chris Terry, propose des formations en ligne pour apprendre à trader et à investir dans les cryptomonnaies, contre environ 200 euros de droits d’inscription et un abonnement mensuel autour de 170 euros (les prix varient selon les formules).
Une structure pyramidale qui rappelle de mauvais souvenirs
La viabilité financière de cette organisation, qui compterait plus de 200 000 membres à travers le monde, repose sur sa structure pyramidale : chaque membre est invité à en parrainer de nouveaux pour toucher une commission et réduire ainsi le prix de son propre abonnement, voire devenir bénéficiaire s’il parvient à ramener au moins douze personnes dans son giron.
“Dans ce genre de système, pour qu’un nombre très limité de personnes puisse surnager, il en faut des milliers d’autres qui se fassent pigeonner, pose d’emblée maître Charles Constantin-Vallet, avocat en droit pénal des affaires. Cette mécanique repose sur le fait que beaucoup perdent de l’argent, sinon la pyramide s’écroule.”
L’enquête que nous avons menée pour identifier et révéler les techniques de recrutement et d’endoctrinement à l’œuvre au sein d’IM Academy nous a permis d’établir qu’au moins 9 000 Français en seraient à ce jour des membres actifs. À Paris, ils se réunissent régulièrement au sein de la Station F, l’immense incubateur de start-up du 13e arrondissement, propriété de Xavier Niel. Les ambassadeurs français les plus performants – ceux ayant parrainé le plus de nouveaux inscrits – préparent même une tournée dans neuf grandes villes du pays en juillet, signe d’une influence grandissante qu’ils cherchent encore à étendre.
Si ce type de structures pyramidales n’est pas nouveau, peu réussissent à prospérer à grande échelle comme IM Academy, dont le succès s’explique par quatre raisons :
- Son fondateur, Chris Terry, est rompu à ces pratiques. En 2012, la compagnie ZeekRewards, une pyramide de Ponzi géante dont il était un membre et recruteur actif, a été fermée par l’organisme américain de contrôle des marchés financiers, et son PDG envoyé en prison pour quatorze ans. De cet échec, Chris Terry a appris à jouer au funambule avec les lois, pour faire du business sans tomber.
- Le secteur des cryptomonnaies est porteur mais nébuleux, ce qui permet à IM Academy de vendre ses formations sous le couvert de valeurs positives comme l’apprentissage ou l’éducation, qui constituent une vitrine séduisante.
- Le Covid. Les confinements ont provoqué une augmentation du temps d’écran et une baisse de revenus chez de nombreuses personnes, favorisant l’essor des arnaques à l’argent facile sur Internet.
- Enfin : ses méthodes très peu scrupuleuses de recrutement, voire d’endoctrinement.
“C’était devenu une drogue, plus rien ne comptait à part ça”
“Leur technique d’approche, c’est de faire copain-copain, raconte Arthur, 24 ans, approché sur les réseaux par un membre d’IM Academy en janvier dernier. Ils vont te parler comme à un pote, flatter ton ego, te dire que tu as un potentiel de dingue pour te mettre en confiance. C’était tellement exagéré que ça m’a alerté.”
Haroun, 24 ans également, n’a pas eu la même présence d’esprit : “Je ne me suis pas méfié car c’est un copain qui m’a sollicité. Il affichait une certaine réussite et me disait que je pouvais moi aussi y arriver. Je me suis laissé tenter.” Mais, une fois son inscription et son abonnement mensuel payés grâce à son stage de fin d’études, Haroun découvre que les cours auxquels il a accès sont au pire des coquilles vides, au mieux ce qui se trouve ailleurs gratuitement sur Internet. Et que le quotidien des nouveaux membres d’IM Academy ne ressemble pas à la vie luxueuse que beaucoup mettent en scène sur leurs réseaux pour séduire de nouvelles cibles.
Cette vie-là, seule la minorité qui trône en haut de la pyramide peut réellement se l’offrir. Les autres, l’immense majorité (99 % en moyenne dans ce type de structures, selon l’une des seules études sérieuses sur le sujet), feignent de la vivre tout en ayant à côté un travail, une bourse ou une aide sociale pour subvenir à leurs besoins. “Mon quotidien, ce n’était que du marketing relationnel, se désole Haroun. Je devais envoyer cinquante messages par jour sur Instagram ou faire des présentations physiques pour attirer de nouvelles recrues, et assister à des conférences ou des appels d’équipe où on brassait du vent.”
Abdel, lui, a passé huit mois au sein d’IM Academy quand il avait 18 ans. Il était en BTS et payait l’abonnement avec sa bourse du Crous. Il raconte que “90 % des discussions tournaient autour du parrainage. La plupart des membres n’essayaient même pas de trader, ils s’occupaient juste du parrainage et répétaient toute la journée, comme des robots, des phrases sur la liberté financière et géographique ou le fait de n’avoir aucun patron”. Il ajoute : “Mon mentor voulait que je recrute sur les réseaux ou dans mon entourage, et je devais lui envoyer des preuves de mes tentatives.”
Ce quotidien rythmé par l’obsession du parrainage n’est évidemment pas sans conséquences sur les relations qu’entretiennent les membres d’IM Academy avec leurs proches. Karine, qui vit près de Saint-Étienne, a vu son fils changer de visage après son inscription, jusqu’à devoir lui demander de quitter la maison : “C’était devenu une drogue pour lui, il était prêt à tout pour faire croître ce business, quitte à sacrifier amis, conjointe et famille. Plus rien n’avait d’importance à ses yeux, à part ça.”
Haroun, dont la petite amie insistait pour qu’il quitte le programme, a fini par rompre avec elle. Abdel a, lui aussi, mis en danger son équilibre familial : “J’avais beaucoup changé, je disais à mes proches qu’ils rataient une opportunité. Ils essayaient de me raisonner, mais je ne les écoutais pas.”
Les ravages de l’indispensable formation Murphy
C’est dans cette incapacité à entendre leurs proches les raisonner que s’incarne la puissance de l’endoctrinement institutionnel exercé par IM Academy sur ses membres. Cet endoctrinement, dont le but est d’endormir l’esprit critique de ses adeptes pour qu’ils continuent de payer leur abonnement, est dispensé par IM Academy au travers d’une formation obligatoire, appelée “Formation comité de Murphy”. Chaque nouvel arrivant doit la suivre à son inscription. Son principe ? Officiellement, il s’agit d’inculquer “une philosophie pour gérer tous les obstacles psychologiques sur le chemin d’un entrepreneur à succès”.
Publicité sur le site d’IM Academy pour la Formation Murphy.
La réalité est plus prosaïque : “La formation Murphy, c’est pour te mettre en garde contre tous ceux qui voudraient que tu quittes l’organisation et t’apprendre à ne pas les écouter, explique Abdel, qui n’est sorti du cercle vicieux qu’après avoir perdu tout son argent. Ils te mettent en tête que ce sont des jaloux, qu’ils ne veulent pas que tu réussisses.” D’où les nombreuses ruptures familiales, amicales ou amoureuses constatées chez les membres avec lesquels nous avons échangé.
“C’est comme s’ils l’avaient lobotomisé et avaient effacé sa faculté de penser. Nous ne savons même pas où il est à l’heure actuelle, mais sans doute avec eux”
En Espagne, l’emprise d’IM Academy sur la jeunesse est encore plus étendue qu’en France. Huit des recruteurs les plus influents du pays ont été arrêtés fin mars par la police. Cela n’a pas empêché IM d’organiser, deux semaines plus tard, un événement rassemblant 12 000 “fidèles” dans un stade municipal de Barcelone.
Un événement IM Academy à Barcelone sur le compte Instagram d’IM.
En parallèle, 450 familles se sont unifiées pour dénoncer l’embrigadement d’un membre de leur famille, souvent mineur, par l’organisation. Elles demandent sa dissolution auprès du ministère de la Justice espagnol, à la faveur d’une pétition ayant réuni 95 000 signataires : “Mon fils est parti de la maison à cause de la crypto-secte IM Academy. Interdisez son activité.”
Plusieurs de ces familles se sont ouvertes à Konbini, et toutes racontent la même histoire cruelle. Marta a assisté, impuissante, à la transformation de son fils de 19 ans, “de sa façon de s’habiller à sa façon de parler et même de se coiffer. Il a arrêté ses études pour se dédier à IM Academy. J’ai essayé de l’en dissuader, mais c’était impossible de le raisonner”.
Le fils de Beatriz avait 16 ans quand un homme l’a abordé dans la rue et convaincu de s’inscrire. “Il s’est coupé de son cercle d’amis et a quitté l’école. Ils l’ont persuadé de s’éloigner de tous ceux qui ne soutenaient pas son projet. Quand, avec son père, on lui a dit que cette organisation fonctionnait comme une secte et qu’on a arrêté de payer son abonnement, il a fui de la maison car il ne tolérait pas la moindre critique à ce propos. C’est comme s’ils l’avaient lobotomisé et avaient effacé sa faculté de penser. Nous ne savons même pas où il est à l’heure actuelle, mais sans doute avec eux.” Un père appuie : “Mon fils de 19 ans était lui aussi fermé à toute discussion interrogeant l’honneur de l’académie.”
L’âge de ces victimes n’est pas un hasard. En France comme en Espagne, les jeunes sont la cible privilégiée des recruteurs. L’Autorité des marchés financiers (AMF) nous détaille : “Les victimes sont en majorité des hommes, jeunes, peu matures en matière d’épargne et de placement, et avec des niveaux de revenus et d’études modestes.” Pour atteindre cette cible, IM Academy s’offre parfois les services de personnalités très influentes auprès des jeunes. Fin 2020, le boxeur Floyd Mayweather s’était ainsi retrouvé à en faire la promotion.
Pourquoi IM Academy peut-elle continuer à prospérer impunément ?
Si IM Academy, après neuf ans d’existence, peut continuer à faire tourner son business, c’est parce que ses têtes pensantes ont appris à camoufler leurs combines sous un vernis de légalité savamment déposé. La première couche du vernis est la vente des formations, qui peut suffire, selon la façon dont sont rémunérés les recruteurs, à déguiser la mécanique pyramidale en vente multi-niveaux, légale en France.
Distinguer l’une de l’autre est le rôle des pouvoirs publics, en particulier de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), aux moyens inadaptés à l’ampleur de la tâche. “Plusieurs enquêtes sont en cours” dans des cas similaires, nous fait néanmoins savoir le ministère de l’Économie, sans préciser si IM Academy est concerné.
La deuxième couche du vernis tient dans le choix des mots que ses représentants décident d’employer et de ne pas employer. Ainsi, sur le site de l’académie ou sur les réseaux de ses ambassadeurs, il vous sera impossible de trouver noir sur blanc la promesse explicite que vous deviendrez riche en rejoignant l’organisation. “Une telle promesse clairement exprimée les enverrait devant la justice pour pratique commerciale déloyale, dans la mesure où elle ne correspond pas à la réalité”, explique maître Charles Constantin-Vallet. En revanche, vous trouverez en abondance des expressions habilement choisies pour désigner l’enrichissement sans jamais le nommer, telles que “capter de la valeur”, “bâtir un business”, “atteindre le succès”, “impacter ta vie”, “devenir un leader” ou “construire la vie que tu désires”.
Au cours de notre enquête, nous nous sommes procuré la charte interne de la branche française de l’organisation. Régulièrement partagée aux membres via une conversation Telegram et accompagnée du message “Nous devons respecter ces règles à 100 % pour le bien de la compagnie”, elle témoigne de ce flou lexical volontairement entretenu pour ne pas mettre en danger la couverture légale de la structure.
L’an dernier, constatant que certaines de ces règles avaient été enfreintes, le PDG d’IM Academy Chris Terry avait diffusé en interne une vidéo de lui affolé, implorant chacun de « respecter les règles fixées par la compagnie, sinon les fédéraux fermeront notre entreprise » Avant de poursuivre : « Nous sommes surveillés de très très près, c’est horrible. Je vous en supplie : nettoyez vos réseaux sociaux et comprenez la gravité de de ce que je dis ».
En parallèle, les images sont aussi là pour exprimer ce que les mots ne peuvent pas dire. Photos dans des villas en bord de mer, au volant d’une voiture de luxe ou en vêtements de marque : se mettre en scène avec les attributs de la richesse est l’autre outil indispensable de leur entreprise d’hameçonnage.
Face à cela, les pouvoirs publics, dont la DGCCRF et l’AMF, en sont à ce jour réduits à des actions de prévention et de mise en garde. Ils rappellent aussi l’existence de la plateforme SignalConso, sur laquelle chaque consommateur s’estimant lésé peut déposer un signalement.
Nous avons contacté Chris Terry, fondateur et PDG d’IM Academy, pour qu’il puisse exprimer son point de vue sur les témoignages que nous avons recueillis. Il n’a pas donné suite. Dans dix-huit jours, les leaders de la branche française de l’académie lancent leur tour de France.