Aux portes du carré final, c’est finalement Jérémie Falissard, le doyen de la saison, qui a rendu ses manchettes orange après onze semaines de compétition. Véritable pilier de la brigade de Glenn Viel, c’est au terme de la mythique épreuve de la boîte noire suivie d’une dernière chance autour de l’oignon que le candidat s’est incliné, avant de s’opposer au redoutable Danny en tentant d’intégrer la brigade cachée d’Hélène Darroze – en vain.
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Jérémie entame seulement sa journée lorsqu’on l’appelle depuis Paris, l’horloge affichant la fin de l’après-midi de notre côté du globe. C’est que, tout jeune, le Français né à Sainte-Maxime en Côte d’Azur dans une famille d’artistes a rapidement quitté ses terres françaises pour développer ses multiples projets professionnels à Londres puis à Montréal, où il vit actuellement.
Là-bas, en plus de ses neuf établissements culinaires, le chef tatoué a construit sa petite famille et a su décliner sa cuisine entre fast-food et cuisine fine. Homme de goût au style toujours soigné, le doyen de cette saison n’aura pas manqué de hargne ni de créativité en proposant des plats audacieux souvent pensés avec le cœur. On est revenus avec lui sur son mauvais démarrage en France, son esprit de compétition aiguisé et la transmission émotionnelle que permet la cuisine.
Konbini | Ton profil est atypique dans le sens où chez toi, au Québec, tu es déjà à la tête de neuf établissements culinaires. Arriver dans Top Chef et te soumettre à l’avis d’autres chef·fe·s, ça t’a permis de prouver des choses à nouveau ?
Jérémie Falissard | Oui, c’est certain. J’ai connu des hauts et des bas dans mon parcours de cuisinier, que j’ai entamé en France. J’ai notamment abandonné le métier un moment avant de revenir, et ça a débouché sur l’ouverture de ces neuf établissements au Canada. Du coup, revenir en France pour le concours, c’était une façon de montrer au pays qui m’a vu commencer ce que j’étais devenu, que j’étais au niveau.
Du coup, tu avais une double pression : celle de la compétition mais également celle de cette “revanche” ?
Un peu. J’étais guidé par cette envie de bien faire, qui se rajoutait au stress de la compétition bien, bien présent. [rires]
Dans tes établissements, tu proposes des plats inspirés autant de la street food que de la cuisine plus fine. Cette dualité t’a aidé dans cette saison de Top Chef ?
Oui, c’est sûr que ça m’a aidé. Je me considère comme quelqu’un de curieux, et je m’intéresse à tous les types de cuisines. Les épreuves de cette saison de Top Chef étaient particulièrement tournées vers les cuisines du monde ou de la street food. Et ça m’a beaucoup plu, car j’ai pu m’exprimer sans limite dans ce que je proposais.
Tu as fait tes débuts en cuisine à Paris avant de déménager à Londres puis au Canada. Qu’as-tu trouvé là-bas que tu n’avais pas en France ?
Londres, c’est un endroit qui, au niveau culinaire, est beaucoup plus ouvert sur le monde que la France. Il y a également une identité britannique bien marquée, avec des techniques culinaires bien à eux et assez poussées, j’ai trouvé ça fascinant. Et puis j’ai beaucoup aimé Montréal car l’ouverture d’esprit culinaire que j’y ai trouvée m’a permis d’ouvrir la mienne et de pouvoir prendre certains risques que je prends aujourd’hui.
Du coup, la France, ce n’est pas l’endroit où tu voudrais faire évoluer ta cuisine à l’avenir ?
Il ne faut jamais dire “jamais”. Je suis épanoui au Canada, je suis bien installé avec mes établissements, mais on ne sait jamais. Et puis, j’ai ce projet de cœur, un rêve d’enfance, qui est d’ouvrir un établissement sur la Côte d’Azur, à Sainte-Maxime, d’où je viens. Dans le scénario parfait, je finirai ma carrière là-bas.
À plusieurs reprises, tu as soulevé la question de la santé mentale en cuisine, toi qui, plus jeune, as mis un terme à ta formation à cause de cette pression. Aujourd’hui, tu as le sentiment que les choses avancent dans le bon sens ?
Oui, dans le très bon sens. Il y a enfin eu une sorte de révolte, qui a aboli ce “non-dit”. Les jeunes générations se laissent beaucoup moins faire que la mienne. On s’affirme davantage, même les femmes ont réussi à s’affirmer. Et c’est très positif pour ce métier, qui est déjà bien assez difficile en termes de pression et qui n’a pas besoin de ces tensions internes hiérarchiques.
Tu as justement eu l’occasion de rencontrer cette toute jeune génération de chef·fe·s dans l’aventure Top Chef, que ce soit avec Sarika, Hugo ou Danny. Tu as pu parler de santé mentale avec eux ?
Ces sujets-là ont été abordés et ça m’a permis d’apprendre qu’il n’y a plus tous ces désagréments de l’époque : il n’y a plus autant d’heures non payées, on ressent un certain respect mutuel avec les hauts placés, un climat de respect dans les équipes. Le métier reste difficile, c’est certain, mais il est désormais fait dans le respect.
Et cette évolution, tu penses qu’elle a eu lieu partout ?
C’est certain qu’un trois-macarons Michelin reste un trois-macarons Michelin. Cette qualité nécessite énormément de temps, énormément d’heures et de rigueur. Plus tu montes les échelons, plus ça devient difficile. Mais il faut continuer de parler de santé mentale en cuisine, justement pour toutes les personnes qui sont toujours coincées dans des environnements professionnels où elle n’est pas respectée.
Après avoir quitté la cuisine, tu as exploré d’autres domaines de la restauration, comme le service, le bar ou la gérance. Comment ces expériences t’aident dans ton métier aujourd’hui ?
Je suis très reconnaissant d’être passé par toutes ces facettes du monde de la restauration. Ces expériences m’ont appris à gérer un restaurant, une équipe, les ventes, de comprendre la relation synergique entre la salle et les cuisines, de gérer le stress collectif. Le bar et la mixologie, ça se rapproche énormément de la cuisine, finalement : savoir mélanger et associer des goûts, soigner la présentation. J’ai eu la chance de voir tout ça, et aujourd’hui, je me sens légitime dans plusieurs pans du métier.
Du coup, au vu de ton parcours professionnel, la guerre des restos était une épreuve que tu attendais avec impatience.
Oui, c’est certain que je l’attendais beaucoup, même si ça reste une sacrée épreuve, notamment au vu du budget très restreint. Mais j’ai été très content de passer par cette épreuve, car elle me tenait à cœur.
Tu étais le doyen de la saison. Tu l’as ressenti, d’une façon ou d’une autre ?
Oui et non. Au vu de mon parcours culinaire atypique, au milieu duquel j’ai pris une longue pause, j’avais l’impression d’avoir la même expérience que les autres candidat·e·s plus jeunes mais qui ont commencé très tôt leur métier. Les seules fois où je remarquais que j’étais plus âgé que le reste, c’était dans les moments où je réveillais un peu les troupes, où je motivais naturellement certain·e·s camarades qui baissaient les bras.
Malgré la compétition, cette entraide était naturelle de ta part ?
D’après ce que j’ai pu comprendre, le casting de cette année a particulièrement bien accroché ensemble, la preuve étant qu’aujourd’hui, il ne se passe pas une journée sans qu’on soit en contact les uns avec les autres. Donc l’esprit compétitif était là, c’est certain, mais l’amitié prenait le dessus.
Tu es l’un des plus gros compétiteurs de la saison, avec un esprit de gagne que tu n’as jamais caché. C’est important d’être compétitif dans un concours comme Top Chef ?
Évidemment. Il faut être compétitif dans Top Chef. Tout simplement parce que c’est une vraie compétition, c’est très intense et ça demande de convoquer beaucoup de choses de soi-même. Il faut s’y prêter à fond, sans prendre les choses à la légère. Ce n’est pas la guerre, mais presque. [rires] C’est la compétition de chef·fe·s par excellence.
Le plat qui te représente le mieux sur la compétition, c’est lequel ?
La tarte sans pâte, que j’ai réalisée pour le chef Julien Dugourd. C’est l’épreuve sur laquelle j’ai le plus laissé parler mon cœur de cuisinier, et ça s’est terminé sur une dégustation très touchante du chef Dugourd qui s’est remémoré des souvenirs d’enfance grâce à ce plat et qui a même fini par me prendre dans ses bras.
Faire ressentir aux autres ce genre d’émotions à travers sa cuisine, c’est un peu le rêve de tout cuisinier, non ?
Totalement. Quand on prépare quelque chose qui nous ressemble et que ça procure des sensations fortes, tu jubiles, forcément. On travaille souvent pour nous-mêmes parce que c’est notre passion, et du coup, on s’enferme dans une bulle. Mais il faut savoir éclater cette bulle et apprécier ce que notre cuisine procure aux autres, c’est ça, le plus extraordinaire dans notre métier.
Qu’est-ce qu’on te souhaite pour la suite ?
Si je peux continuer à avoir cette relation avec la France à travers ma cuisine, ce serait la plus belle des choses. J’aime mon pays natal, et il reste dans mon cœur. Et, sinon, avec mon concept de pizzerias Fugazzi, on développe un projet de chaîne de Fugazzi Presto, une déclinaison plus friendly, abordable et à emporter de nos pizzas. C’est notre gros projet de cœur actuel.