Dialoguer avec Van Gogh, survoler le Machu Picchu, faire revivre l’histoire d’une héroïne du mouvement des droits civiques : les grands musées parisiens s’ouvrent aux expériences immersives et à l’intelligence artificielle pour attirer un public jeune, sans perdre l’expérience physique des œuvres. C’est “le langage des nouvelles générations, celles nées avec le numérique, qui considèrent une salle physique presque comme un handicap et dont le vecteur est l’immersion”, dit à l’AFP Chloé Siganos, responsable du spectacle vivant au Centre Pompidou, grand musée d’art moderne et pionnier dans l’utilisation des nouvelles technologies.
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Si certains opérateurs culturels privés comme l’Atelier des Lumières en ont fait leur spécialité et développent leurs expositions numériques géantes dans le monde entier, dans les institutions publiques, le recours aux nouvelles technologies est loin d’être systématique et a longtemps suscité la méfiance. Le Louvre a commencé par petites touches en 2019 avec Léonard de Vinci parlant de La Joconde et de ses œuvres grâce à la réalité virtuelle. Depuis octobre, le public du plus grand musée du monde peut découvrir certaines œuvres antiques égyptiennes via la réalité augmentée sur smartphone, qui permet d’ajouter en direct des informations à l’œuvre physique.
“Pas coupé du réel”
C’est grâce à un casque de réalité augmentée que, l’an dernier, le Centre Pompidou, de son côté, a sensibilisé le public français et international à l’histoire d’une héroïne du mouvement des droits civiques aux États-Unis, Claudette Colvin, première Africaine-Américaine à avoir refusé de céder sa place à une passagère blanche dans un bus, avant Rosa Parks. Son histoire était racontée à travers un parcours d’hologrammes ressuscitant les personnages de sa vie dans l’Alabama (Sud) des années 1950.
Hugo Danthez, de l’entreprise HoloForge Interactive, explique à l’AFP comment sa société a aussi développé, grâce à la réalité augmentée, la “redécouverte du casino de la Villa Masséna à Nice, la Maison Poincaré sur les mathématiques à Paris ou le site éthiopien chrétien de Lalibela, classé à l’Unesco”. Une technologie qui “ne coupe pas totalement du réel” et avec laquelle il espère un jour “séduire Versailles”.
“Il y a un avant et un après ChatGPT”, affirme pour sa part Marion Carré, présidente et cofondatrice de la start-up Ask Mona, pionnière en matière d’IA au service de la culture, rencontrée par l’AFP au salon Museum Connections à Paris. L’entreprise a notamment mis au point un “premier audio-guide répondant en direct aux questions du public” qui “équipe aujourd’hui le musée national des Beaux-Arts du Québec”, précise-t-elle.
“Prolonger l’expérience”
“Ça ne remplacera jamais l’expérience physique d’une œuvre mais ça prolonge l’expérience du musée et incite peut-être un nouveau public à s’y rendre”, ajoute Valentin Schmite, directeur général d’Ask Mona, qui propose aussi des magnets permettant de dialoguer à l’écrit ou oralement avec une trentaine de personnages historiques en scannant un QR code sur smartphone.
Depuis 2017, ce “contenu simple et réplicable” a conquis quelque 200 musées dans le monde, dont le Louvre, le Centre Pompidou ou le Colisée à Rome, selon le responsable. Au musée d’Orsay, qui a mis en place plusieurs dispositifs lors de son exposition-événement dédiée aux derniers jours de Vincent Van Gogh, on insiste sur un point : “Que chaque expérience immersive soit validée par la caution scientifique du musée” et que “l’équilibre budgétaire soit respecté”.
Le musée renouvellera l’expérience en mars avec une immersion de 45 minutes dans l’inauguration de la première exposition impressionniste, grâce à des casques de réalité virtuelle. Aux Pays-Bas, le Musée des médias d’Hilversum pourrait faire des émules avec une tout autre révolution : la reconnaissance faciale pour offrir à son public une expérience personnalisée. Chacun·e peut ainsi créer son profil, se faire prendre en photo, compléter “avec son adresse mail, sa date de naissance et ses intérêts particuliers, afin d’accéder à une visite entièrement personnalisée” sur smartphone, dit à l’AFP Karen Drost, la directrice de ce musée public. La frontière entre collecte de données et attraction d’un jeune public est fine.