Figure du rap underground parisien depuis le milieu des années 2000 avec son crew, Hugo TSR est devenu au fil des années l’un des rappeurs les plus appréciés de l’Hexagone. En témoigne son retour récent après trois ans d’absence avec son nouveau titre “Périmètre”, qui s’est répandu comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux grâce à un public particulièrement revendicatif.
À voir aussi sur Konbini
Une trajectoire de carrière que personne, ou presque, n’avait vu venir, à commencer certainement par le principal intéressé qui semble totalement étranger à la guerre des chiffres qui sévit actuellement dans le rap français.
En indé, Hugo TSR fait les choses à sa manière. Fier représentant de la “génération shit et grec-frites”, il cultive une certaine forme de rap nostalgique, empli de mélancolie, avec en toile de fond l’éternel 18e arrondissement de Paris et ses histoires quotidiennes qui tournent en boucle. Une inspiration inépuisable pour le rappeur, renforcée par quelques punchlines dont il a le secret.
On peut notamment penser aux très imagées “on sait plus qui est qui comme un keuf qui promène son chien” dans “Point de Départ” ou “on vise la lune comme Mimie Mathy dans un concours de dunk” dans “Objectif Lune”, qui valent leur pesant de cacahuètes, comme on dit. Mais comment un rappeur aussi confidentiel parvient encore à glaner des fans au fil des années et ce, en ne faisant que très peu évoluer sa musique ?
Les fans d’Hugo TSR : qui sont-ils, quels sont leurs réseaux ?
Pour mieux comprendre ce phénomène assez unique dans le rap français, on a interrogé quelques-uns de ses fans. Pour Ali, 26 ans et amateur de “rap oldschool” qui se dit “très peu passionné par la nouvelle génération de rap français”, c’est avant tout dans l’écriture des textes que réside le secret de cette étrange réussite. “Les difficultés diverses de la vie sont décrites avec réalisme, dans un style très sombre et mélancolique. De plus, il évite de tomber dans des clichés tels que les grosses voitures ou les filles dénudées”, dit-il à propos du rappeur qu’il a connu “grâce à YouTube en 2009”.
Un discours renforcé par le fait qu’il soit indépendant et qu’il entretienne un quasi-anonymat. “Ça donne encore plus de légitimité sur sa production musicale. Il est libre de ses choix artistiques et on sent qu’il kiffe ses morceaux. Le fait qu’il soit presque anonyme et absent des réseaux sociaux aussi, c’est son style. À l’inverse de PNL, ce n’est pas du marketing. Hugo renvoie l’image d’un mec simple qui ne veut pas être une star et brasser des millions. Si le succès vient, tant mieux. S’il ne vient pas, il n’ira pas le chercher au détriment de ses principes”, argumente le jeune homme.
“Sa musique est authentique, brute, sans fioriture”
Pour Vincent, 25 ans, grand fan de metal qui a découvert Hugo TSR il y a deux ans maintenant, cela présente toutefois des inconvénients. “Le problème, c’est que ses lives sont tellement rares que pour avoir une place, c’est compliqué. J’aime bien aussi savoir à quoi ressemble un artiste, savoir à qui j’ai affaire, et avec lui, tu dois avoir deux vraies photos de son visage sur Internet”, dit-il.
Des textes au centre de la musique
Florent a 28 ans, écoute “de tout”, de Jim Morrison à Dr. Dre en passant par Manu Chao, et il a découvert Hugo TSR en 2005. S’il n’écoute que très peu de rap français aujourd’hui parce que, “actuellement, les sonorités ne sont pas terribles” à ses yeux, et même parfois “redondantes”. Les textes d’Hugo TSR font la différence. “Son style d’écriture est droit et imagé. De la pure punchline. Sa musique est authentique, brute, sans fioriture.” Pour lui, “son point fort est le message qu’il véhicule et surtout sa facilité à le transmettre”.
Pour Alexandre, fan de rap et de metal qui l’a découvert au moment de Fenêtre sur rue, “on lui reproche souvent d’avoir le même flow tout le temps, mais au final il est fort dans ce qu’il fait alors pourquoi changer ?”.
Un avis partagé par Vincent : “Les instrumentales sont simples mais efficaces. Il a un flow quasi identique sur tous ses sons, si bien que tu finis par beaucoup plus te concentrer sur les paroles que sur la musique en elle-même, c’est une sacrée force. Tu sens le vécu sans que le mec en fasse trop, il y a de l’honnêteté et ça paye toujours. Il y a aussi des références cinématographiques assez riches”, avance-t-il. “Les thèmes tournent autour de la dèche, la crasse, la galère mais les textes donnent l’impression de s’élever. Hugo TSR fait du Hugo TSR et c’est tout ce qu’on lui demande”.
“Il fait du Hugo TSR et a toujours fait du Hugo TSR”
De plus, on retrouve dans l’œuvre d’Hugo TSR un engagement politique (notamment contre le FN/RN) qui n’est pas sans rappeler les prises de position de certains rappeurs français historiques. “Un son comme Eldorado, c’est une critique frontale de la France. Il n’y a pas plus engagé que de démonter ton pays à travers une frise chronologique de l’Histoire. Il prend à contre-pied ce qu’on apprend dans les programmes scolaires, ou ce que l’on n’apprend pas justement”, analyse Margot, 23 ans et grande auditrice de rap français, qui a découvert l’artiste au début des années 2010.
Quand l’underground devient mainstream
Son absence médiatique, qui serait une catastrophe pour nombre d’artistes, Hugo TSR en a fait une force. “Hugo a toujours été fidèle à lui-même. Il est authentique, entier. Il n’est pas dans le rap game, ni dans la médiasphère, ce qui le rend encore plus crédible dans son engagement textuel. Il fait ça parce qu’il aime ça, ne se plie pas aux codes du moment. Il fait du Hugo TSR et a toujours fait du Hugo TSR. De plus, il le fait avec une technique qui a toujours réuni les fans de rap, et même extérieur au rap”, affirme Simon, 28 ans, immense fan de l’artiste qui possède tous les albums physiques d’Hugo TSR et du TSR Crew.
“Je l’ai découvert sur La bombe H avec ‘Criminel au mic’ et Flaque De Samples m’a conforté dans l’idée que ce mec était génial ! Je l’ai vu en live plusieurs fois. Ce mec est vrai jusqu’au bout, un partisan du hip-hop et du 18e. Son engagement est énorme et rare. J’en ai vu des monstres de la scène rap français, mais aussi engagé et fidèle, il n’y a que lui”, clame-t-il. “Malgré son absence de promotion à chaque à album, sa notoriété grimpe, simplement parce que le mec est sincère et doué.”
“C’est un récit entier sur le 18e”
Hugo TSR parvient effectivement à fédérer des fans de tous horizons. On y retrouve autant des jeunes en quête d’authenticité dans un marché musical qui en manque parfois cruellement, que des quarantenaires nostalgiques d’un rap plus politique comme on pouvait aisément en trouver dans les années 1990. Autant des auditeurs qui revendiquent “ne pas aimer le rap français actuel” que des amoureux du rap aguerris.
“Il est indémodable car il n’a jamais été à la mode justement. On ne peut pas le classer, il est resté loin des charts”, poursuit Margot. “Si tu n’as jamais mis les pieds dans le 18e, tu y es quand même parce que tu ressens tout par la force vocale du gars. C’est du ‘fait maison’ de A à Z. Hugo TSR écrit sur son quartier et il trouve mille façons de le raconter. Il s’absente, revient, suit ses humeurs. C’est un récit entier sur le 18e. Il est toujours à vif, on dirait qu’il rappe comme si c’était la dernière fois”, développe-t-elle.
Autant d’éléments qui font que plus de quinze ans après ses débuts en solo, Hugo TSR n’a probablement jamais autant été plébiscité par le public. En atteste son disque d’or reçu pour son dernier projet en date, Tant qu’on est là, paru en 2017, mais aussi les dizaines de millions de vues et de stream accumulés sur les différentes plateformes. À la façon d’un Népal, Hugo TSR se met en retrait pour que sa musique soit au cœur de son héritage. Il intéresse, fascine même, et continue de récolter des fans, sans jamais perdre ceux qu’il a acquis au cours d’une carrière particulièrement atypique et attachante.