Elie Grappe a 27 ans et son premier film, Olga, va représenter la Suisse aux Oscars. “Je viens de montrer mon film à la directrice de la MGM et je vais partir à Los Angeles pour la première fois.” Ce jeune réalisateur prometteur parle avec des étoiles dans les yeux de ce qui lui arrive. Après avoir présenté son film à la Semaine de la critique à Cannes, lors de laquelle il a remporté le prix SACD, Elie Grappe s’apprête à traverser l’océan Atlantique pour jouer dans la cour des grands.
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Précoce, Elie Grappe explique à ses parents, du haut de ses 7 ans, qu’il veut devenir cinéaste. Sa mère, prof d’histoire et de lettres dans un lycée professionnel, et son père, prof d’art plastique, l’inscrivent dans un conservatoire où il restera dix ans à travailler son répertoire classique de trompette, du jazz à l’improvisation atonale. Dans cette ambiance oppressive à la Whiplash, il comprend que l’adolescence est l’âge des passions : “Le moment où l’on cherche son désir et où l’on est prêt à se faire mal pour ça.”
À 17 ans, il prend ses bagages et file à l’École cantonale d’art de Lausanne pour commencer à se poser, concrètement, des questions artistiques en touchant au dessin, au graphisme, à la photo et, bien sûr, à la narration. Au cours de cette formation pluridisciplinaire emplie de bouillonnement créatif, il réalise plusieurs courts-métrages sélectionnés dans de nombreux festivals : Limbes, Répétition, Hors scène, Suspendu…
Diplôme en poche, le Lyonnais devenu Suisse se penche sur le genre documentaire et suit une jeune violoniste ukrainienne, arrivée en Suisse juste avant le mouvement EuroMaïdan. Touché en plein cœur par son témoignage bouleversant, il trouve là le sujet de son prochain film, Olga.
Cette fois, il suit une jeune gymnaste ukrainienne, tiraillée entre la Suisse, où elle s’entraîne pour le championnat européen en vue des Jeux olympiques, et Kiev, où sa mère journaliste couvre les événements d’EuroMaïdan.
La guerre à l’écran
En 2013, ces manifestations pro-européennes ont conduit à des mouvements de contestation très violents, où se sont succédé pendant plusieurs mois des arrestations choquantes, entre coups de matraque et gaz lacrymogène. Les blessés et les morts ont transformé à tout jamais le visage de la capitale ukrainienne.
En utilisant des images d’archives de cette escalade de violence, Elie Grappe parvient à mettre en lumière le destin complexe de son héroïne de 15 ans en exil, dont l’esprit de compétition est embrumé par une réalité tragique :
“Plutôt que d’avoir un point de vue universaliste en faisant comme si toutes les histoires pouvaient se ressembler, je me suis dit qu’il fallait être spécifique sur l’Ukraine. Je ne voulais pas que ce soit de l’appropriation culturelle, il fallait donc que des Ukrainien·ne·s soient impliqué·e·s dans l’écriture dès le départ.
Je suis donc allé très vite au centre olympique en Suisse et en Ukraine, où j’ai rencontré des athlètes et le coach de l’équipe de Suisse qui joue dans le film. J’ai également fait appel à des militants, des cinéastes, une sociologue et une prof d’étude de genre pour m’aider à écrire le film. Tous ont été des consultants formidables de l’écriture à la fin du mixage.”
Si la gymnastique semble clairement être une continuité du travail sur les conservatoires et la danse classique qui ont jusque-là marqué son œuvre, le jeune cinéaste a été fasciné par les corps puissants et athlétiques de ces jeunes filles, encore peu représentées au cinéma :
“C’était un super exercice pour moi, en tant que mec, d’approcher leur point de vue de gymnaste, leur recherche d’équilibre et de légèreté, de vertige, et de n’être jamais surplombant. Je voulais voir ce que de très jeunes gens peuvent s’imposer au nom de leur passion. La gymnastique, c’est un sport très cinégénique, avec plein de mouvements, plein de sons. Lors des entraînements, je fermais les yeux et j’écoutais cette espèce de musique qui est tellement particulière et qui résonne avec les images de Maïdan.”
Un sentiment d’exil
Toute la force du film tient à ce mélange d’images documentaires, trésors trouvés sur YouTube, qui viennent chercher la limite de la fiction dans laquelle s’exprime sa gymnaste en exil, campée par Anastasia Budiashkina, qui donne une performance musclée. Avec sa caméra acérée et ces images d’archives, Elie Grappe cherche à savoir comment Olga peut concilier son désir individuel avec l’histoire collective :
“Olga se retrouve dans un monde entre-deux. Ce sentiment d’exil, c’est un sentiment d’aujourd’hui, très contemporain et partagé par plein de gens. Par exemple, en Ukraine, quand j’ai montré le film au Festival international du film d’Odessa, j’avais très peur. Je pensais que j’allais me faire défoncer, mais les retours étaient hyper positifs, surtout de la part des jeunes de 20 ans, parfois moins, qui n’ont pas pu participer à la révolution parce qu’ils sont trop jeunes. Pourtant, ils l’ont vécue à distance, ou via Internet, et cela fait partie de leur histoire.”
Loin du genre documentaire, Olga porte des images fantasmatiques, propres à invoquer l’imaginaire du spectateur. Après avoir fait le grand écart entre la gymnastique et le soulèvement du peuple, Elie Grappe est bien décidé à continuer de nous faire rêver en s’attaquant, cette fois, à la masculinité : “Je vais la mettre en péril dans un tout autre contexte historique et géographique.” Un grand défi qu’on a hâte de le voir relever. En attendant, Olga sort ce mercredi 17 novembre dans les salles françaises.
© Elie Grappe par Lucie Baudinaud