On aurait pu passer à côté de la majorité du travail de Marilyn Stafford. Née en 1925, la photographe n’a pas connu le même rayonnement que ses pairs masculins. Son regard permet pourtant d’éclairer le XXe siècle de façon unique. Usant de son appareil photo dans les défilés parisiens et auprès de personnalités telles qu’Indira Gandhi, Édith Piaf ou Le Corbusier, elle prenait également soin de mettre en lumière les injustices et violences de ce monde.
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Elle a aussi travaillé avec des victimes de viol, de la guerre et de la misère. La photographe est décédée le 2 janvier 2023 à 97 ans. En hommage à son travail, voici cinq choses à savoir sur sa vie et son œuvre.
Elle a commencé comme chanteuse
Après avoir étudié l’anglais et le théâtre et travaillé quelque temps comme assistante d’un photographe de mode à New York, Marilyn Stafford a émigré à Paris où elle est devenue chanteuse dans un club sélect des Champs-Élysées. C’est là-bas qu’elle rencontre nombre de personnalités du XXe siècle dont Édith Piaf, Maurice Chevalier, Henri Cartier-Bresson ou encore Robert Capa.
C’est ce dernier qui lui suggère de trouver un travail auprès d’un de ses collègues, le photographe David Seymour, lorsqu’elle lui annonce qu’elle ne pourra bientôt plus chanter. Passée d’abord par un travail dans la communication, elle s’est ensuite mise à la photographie selon ses propres termes, brisant les frontières entre la photo de mode, les reportages de guerre et les portraits.
Elle a couvert la guerre d’Algérie pendant sa grossesse
L’États-Unienne s’est retrouvée en Algérie en suivant son mari, parti pour couvrir la guerre d’indépendance. De son côté, enceinte de six mois de leur fille Lina, Marilyn Stafford s’est intéressée à “la crise migratoire qui se déployait” et dont “personne n’avait l’air de se préoccuper”, tel qu’elle l’expliquait en interview pour le New York Times l’année dernière.
En Tunisie, elle prend ainsi des portraits du peuple algérien forcé à l’exil. Une de ses images, la photo d’une mère et son enfant, a fini en couverture de The Observer et a poussé un journaliste à venir en Tunisie pour écrire un article sur le sujet. Le New York Times rapporte que c’est ce genre de réaction en chaîne qui l’a convaincue du pouvoir “transformateur” de la photographie.
Elle a amené la haute couture dans la rue
Ne désirant pas choisir entre le reportage et la mode, Marilyn Stafford a mélangé les deux, sortant les mannequins des studios pour les photographier dans la rue. Autodidacte, elle ne voulait pas s’encombrer des contraintes des studios et préférait s’amuser à montrer du Chanel devant des graffitis, de grandes mannequins à côté d’enfants joueur·se·s. Son œil vif et malin lui a valu d’être traitée de “snob à l’envers” par un journaliste du Figaro, ce qui l’aurait beaucoup amusée, raconte-t-on.
Malgré tout, elle refusa de se dédier à la photo de mode, sachant “qu’il y avait tant d’autres choses qui se passait dans le monde”, rapporte le Guardian. Cet équilibre entre le sérieux et la légèreté lui plaisait tant qu’elle a tout de même cofondé une agence spécialisée dans la photo de mode – qui lui permit de financer son travail de photojournaliste.
Elle a pris Albert Einstein en photo
Une des histoires les plus célèbres de Marilyn Stafford concerne une des premières fois où elle a touché un appareil photo. La légende raconte qu’elle était en voiture avec deux de ses ami·e·s qui réalisaient un documentaire sur le physicien. “Ils m’ont tendu mon premier 35 mm. Tout ce à quoi je pensais c’est qu’ils m’avaient donné un appareil que je n’avais jamais utilisé avant ! J’étais terrifiée. Terrifiée. Je bloque dans ce genre de moments. Tout ce que je devais faire, c’est qu’il fallait que je me concentre et que j’appuie sur l’obturateur”. Ses portraits en noir et blanc d’Einstein le montrent souriant, doux et à l’écoute. Des qualités qui ont permis aux images de traverser les décennies.
Son travail a longtemps été sous-coté
Bien que certaines de ses photographies aient fini en couvertures de magazines, Marilyn Stafford n’a pas connu le succès de ses collègues masculins. Le New York Times souligne que ses archives ont longtemps consisté en “des boîtes à chaussures remplies de photos fourrées sous son lit”.
Dans les années 2010, sa rencontre avec la curatrice Nina Emett change la donne. En 2021, la première monographie dédiée à son travail, Marilyn Stafford: A Life in Photography, est sortie, en même temps qu’une exposition éponyme coorganisée par Nina Emett et Lina Clerk, la fille de la photographe. Marilyn Stafford s’est donc éteinte avec la satisfaction de savoir que son travail connaîtrait enfin la postérité.