Si la colonne vertébrale de vos séries préférées sont les scénaristes, leur vitrine, ce sont les acteurs et les actrices qui les peuplent. Tout en haut de la chaîne alimentaire, il y a bien sûr les stars, les “guest stars” et les “réguliers” qui s’assurent des cachets confortables, que l’on compte parfois en centaines de milliers de dollars par épisode. Et puis il y a tous les autres, qui composent la grande majorité des effectifs devant la caméra : les “récurrents” (présents sur 1 ou plusieurs épisodes, avec des dialogues), et les figurants (qui sont le plus souvent en arrière-plan, avec ou sans dialogue, et servent à “meubler” chaque plan).
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Depuis quelques jours, les acteurs et actrices ont rejoint les rangs de la grève hollywoodienne initiée par les scénaristes en mai dernier pour dénoncer la précarisation de leur métier, représenté·e·s par leur syndicat SAG-AFTRA (Screen Actors Guild – American Federation of Television and Radio Artists). En jeu, notamment, de meilleures compensations et revenus résiduels pour leurs prestations dans des séries de plateformes.
Pour faire simple : avant, lorsqu’un·e acteur·rice décrochait un job sur une série, il ou elle signait pour plusieurs épisodes, ou plusieurs saisons selon son contrat. Des saisons qui, il y a encore une dizaine d’années, pouvaient compter jusqu’à 23 épisodes ! Il ou elle recevait donc un cachet par épisode puis, une fois la série terminée sur sa chaîne d’origine, percevait des “residuals” (des sortes de royalties) dès que celle-ci partait en “syndication” par exemple (des rediffusions achetées par des petites chaînes locales affiliées au network concerné) ou était rachetée par d’autres diffuseurs, ou encore sur la vente de DVD.
Aujourd’hui, l’écrasant monopole des plateformes de streaming a changé la donne. La durée des saisons a été réduite à peau de chagrin, entre 6 et 12 épisodes, et les séries, si elles ne rencontrent pas le succès escompté (les algorithmes sont intransigeants), sont tout bonnement rayées de la carte. Pas de rediffusion, ni de sortie en DVD, donc pas de “residuals” pour celles et ceux qui ont participé à sa fabrication : leur travail disparaît. Même si la série reste dans le catalogue et y connaît une seconde vie, les compensations financières sont ridiculement menues.
Le stream de la discorde
Sean Gunn, acteur secondaire sur Gilmore Girls au début des années 2000, a beau se réjouir de l’engouement persistant pour la série, il n’en est pas moins frustré. Le show, qui était initialement diffusé sur The WB, puis sur The CW, a ensuite connu une seconde vie sur Netflix dans les années 2010. Voici ce qu’il racontait, dans un tweet qu’il a depuis supprimé :
“J’étais à l’écran d’une série appelée Gilmore Girls pendant des années, et qui a rapporté gros à Netflix. Ça a été l’une des séries les plus populaires pendant longtemps, quasiment une décennie. C’est streamé encore et encore et encore, et je ne tire pratiquement aucun revenu de tout ça.”
À son tour, l’actrice Jana Schmieding, que l’on a pu voir simultanément dans Rutherford Falls (sur la plateforme américaine Peacock, appartenant à NBC) et Reservation Dogs (sur la plateforme Hulu, appartenant à Disney) a témoigné de son désarroi, en partageant sur Twitter le montant de ces fameux “residuals” :
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“À celles et ceux qui sont fans de mon personnage de Bey dans Reservation Dogs, voici un aperçu de ce à quoi ressemble une compensation pour jouer dans une série que j’adore : je me fais 0,30 $ chaque trimestre pour le streaming ILLIMITÉ sur FX/Hulu/Disney. Et Iger [le CEO de Disney, ndlr] fait du yacht.”
“Mais tu étais l’une des actrices principales sur Rutherford Falls. Eh bien, oui, tout à fait”, déclare-t-elle avant de montrer le relevé de ses royalties pour la série, qui s’élèvent cette fois-ci à 33,15 $.
Des salaires trop faibles
Kimiko Glenn, qui incarnait Soso des saisons 2 à 5 avant de passer en “guest” en saison 7 d’Orange Is the New Black, raconte que beaucoup des actrices qui jouaient dans la série étaient si peu payées qu’elles ne pouvaient pas se permettre de lâcher leur job alimentaire.
“Elles étaient putain de célèbres, genre connues à l’international, au point de ne pas pouvoir sortir de chez elles, mais elles devaient conserver leur deuxième job parce qu’elles ne pouvaient pas se permettre de le perdre. On ne pouvait même pas se payer un taxi jusqu’au plateau de tournage.”
@itskimiko @The New Yorker released an article the other day describing many of our cast’s experience on #orangeisthenewblack and the details will astound you. go to my IG for the link 💕💕 #sagaftra #sagaftrastrike #sagstrike #sagaftrastrong ♬ original sound - kimiko
L’acteur australien Luke Cook, que l’on a pu voir dans Les Nouvelles Aventures de Sabrina sur Netflix dans le rôle de Lucifer Morningstar, monte lui aussi au créneau pour casser quelques idées reçues sur son métier. Aux internautes qui pensent que les acteurs et actrices sont des millionnaires qui font grève pour gagner encore plus d’argent, l’acteur qui donne des cours de fitness à Los Angeles pour joindre les deux bouts répond :
“95 % des membres de la SAG [Screen Actors Guild, ndlr] ne gagnent pas assez d’argent dans ce métier pour en vivre. Ils doivent faire un job alimentaire à côté, et j’en fais partie. […] J’ai fait une série l’année dernière qui s’appelait Dollface. Ils ont mis ma tête sur un panneau d’affichage sur Sunset Boulevard. Vous savez combien ils m’ont payé pour ça ? Zéro. Ce qu’ils m’ont payé pour être dans la série n’est pas tellement mieux. Je vis à Los Angeles et j’ai deux enfants. J’ai été payé par épisode — ce qui représente deux semaines de travail — 7 500 dollars. À ça s’ajoutent les taxes, puis un manager prend 10 %, l’agent prend 10 % aussi, l’avocat prend 5 %. […] Une grande partie de cette grève sert à réclamer que des gens comme moi soient payés plus pour leur travail, et de leur redistribuer une fraction des profits des streams et de ces grosses compagnies.”
@thelukecook Replying to @Drew #sagstrike #sagaftra ♬ original sound - Luke Cook
Les négociations se poursuivent entre les syndicats de scénaristes et acteur·rice·s et les grands studios, mais la situation est loin d’être apaisée. Les promos des films et séries, tapis rouge, événements publics ou pour la presse ne sont plus assurés jusqu’à nouvel ordre, et le bras de fer s’annonce sans merci.
Concernant les séries, la plupart des productions étant à l’arrêt, c’est à la rentrée que les spectateur·rice·s sentiront les effets de la grève, car les grilles de programmation des mois à venir sont déjà bien vides. Mais c’est, pour nous qui regardons et aimons les séries, un bien moindre mal que ce qui nous attend si les grands studios hollywoodiens et autres services de streaming continuent de précariser ces professions, ou les remplacent par des IA.