En sortant un matin des bureaux imposants de la Fox Broadcasting Company à l’automne 2008, qui se situent sur la Sixième Avenue de Manhattan, à New York, le jeune scénariste Ian Brennan a le sourire aux lèvres et des étoiles plein les yeux. Après trois années de bataille acharnée pour vendre son script, qui est passé entre-temps entre les mains prometteuses d’un tandem de showrunners montants, Ryan Murphy et Brad Falchuk, une chaîne a finalement décidé de commander une saison entière de sa série, moins de quinze heures après la lecture du scénario. Ian Brennan verra son projet se concrétiser pleinement le 19 mai 2009, alors que “The Chorus”, le premier épisode de Glee, est diffusé en prime time sur le network alors le plus puissant de la télévision hertzienne américaine.
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Pourtant, aux prémices de ce projet né au milieu des années 2000, Ian Brennan envisageait davantage Glee comme un film plutôt qu’un programme feuilletonnant. Si le succès de la franchise High School Musical au même moment lui donnait raison, c’est finalement Ryan Murphy qui parvint à le convaincre, après l’avoir comparé au télécrochet American Idol. Une émission phare de la chaîne, qui a permis à la Fox de s’imposer sur les networks américains. La vision du showrunner, qui sort tout juste du succès de Nip/Tuck sur la chaîne voisine câblée FX, est ambitieuse mais se révélera à la hauteur des espérances. Le pilote de Glee attire près de 10 millions de curieux lors de sa diffusion et devient un véritable phénomène de pop culture par la suite, qui donnera naissance à six saisons de 129 épisodes, rassemblant près de 729 performances musicales.
Rapidement, les chansons de la série s’imposent dans les charts et l’iTunes Store, sont commercialisées sous le label Columbia Records, alors que le cast participera à plusieurs tournées suivies massivement par les fans. Dans le même temps, Glee s’attire les louanges des critiques du petit écran, récoltant près de dix-neuf nominations aux Emmy Awards pendant sa diffusion, et voit ses produits dérivés exploser : éditions DVD et Blu-Ray, concerts filmés, applications sur l’iPad, jeu de karaoké sur la Wii… Le phénomène Glee perdurera pendant six ans, élevant la série au rang d’œuvre culte, jusqu’à une tragique soirée de l’été 2013 où le destin de la chorale du lycée William McKinley va être bouleversé et commencer à se traîner une réputation de série maudite.
Le (Glee) Club des damnés
Cory Monteith incarnait Finn dans la série. (© Fox)
À l’écran, Glee renvoie l’image d’une série fun, feel good et solaire, qui puise sa force dans son cast jeune, ses musiques pop et ses scénaristes engagés qui s’inspirent de leurs propres expériences pour les infuser dans l’intrigue. Mais dans les coulisses, et notamment à partir de la saison 5, l’atmosphère est devenue bien plus glauque voire inquiétante. Au sein des médias et de la communauté de fans, on a commencé à parler d’une malédiction Glee à cause d’un effet boule de neige de malheurs et de tragédies autour de la série. Ces derniers ont véritablement commencé le 13 juillet 2013, avec la mort de Cory Monteith à seulement 31 ans, qui incarnait alors l’attachant Finn Hudson.
Cory Monteith a été retrouvé mort dans une chambre d’hôtel de Vancouver, au Canada, des suites d’une overdose liée à une prise accrue d’alcool et de drogues. En vérité, l’acteur canadien luttait depuis son adolescence contre ses démons, une addiction aux stupéfiants. Son cursus scolaire fut notamment un calvaire gangrené par une consommation déjà très élevée d’alcool et de drogues, et seuls ses premiers pas sur le petit écran lui permirent de trouver une échappatoire temporaire. Sa mort au tout début du tournage de la saison 5 marque un tournant dans la série, si bien que Ryan Murphy annonce dans la foulée que la saison 6 sera la dernière, alors que la production décide de lui rendre hommage avec l’épisode “The Quarterback”, où le personnage de Finn fait également ses adieux au Glee Club.
À la fin de la série, dont le dernier épisode sera diffusé en mars 2015, la mort de Cory Monteith est la seule (mais déjà lourde) tragédie qui vient ternir l’aura bienveillante de Glee. Mais au fil des années, le sort va continuer de s’abattre sur celles et ceux qui ont participé à créer sa légende, et notamment le casting. Ainsi, quelques mois après le dénouement du show, Mark Salling est arrêté pour possession d’images de pornographie infantile. Un comportement déviant et criminel qui va à l’encontre de son personnage Noah Puckerman, alias Puck, une brute du lycée qui aura finalement droit à son arc de rédemption en intégrant la chorale.
Mark Salling campait Noah alias Puck dans la série. (© Fox)
Deux ans plus tard, le 30 janvier 2018, Mark Salling est retrouvé pendu près d’une berge de San Fernando. La théorie du suicide est avancée par les enquêteurs puis confirmée par le médecin légiste, alors que l’acteur avait déjà tenté de mettre fin à ses jours un an auparavant, en amont de son jugement. Le Glee Club est frappé d’une deuxième tragédie qui fait basculer son aura du glamour au glauque.
Après le suicide de Mark Salling, plusieurs histoires et témoignages bouleversants vont remonter dans les médias, principalement par le biais des victimes qui oseront en parler, comme la romance toxique et violente entre Melissa Benoist et Blake Jenner.
Les interprètes respectifs de Marley et Ryder, débarqués en saison 4, sont tombés amoureux sur le tournage. L’histoire d’amour, a priori aussi romantique que n’importe quel ship dans un teen drama, va, en fait, prendre une tournure cauchemardesque, alors que Melissa Benoist mettra plusieurs années avant de briser son silence. Le 29 novembre 2019, elle publie sur son compte Instagram une vidéo qui commence par ces mots poignants et alarmants : “Je suis une survivante de violences conjugales.” Dans son témoignage, elle explique que son ex-conjoint la frappait, manipulait et humiliait quotidiennement, jusqu’au jour où elle a eu le déclic et le courage de fuir et reprendre sa vie en main.
Choqués et chagrinés des catastrophes qui s’accumulent autour de Glee, la communauté de fans et les médias commencent à y voir le présage du mauvais œil. Une histoire de malédiction qui pourrait s’apparenter aux saisons terrifiantes d’American Horror Story, l’autre série phare de Ryan Murphy et Brad Falchuk.
Mais l’année noire de la série arrive véritablement en 2020, avec la succession de deux faits marquants et tragiques qui vont, une nouvelle fois, ternir la réputation du show.
En juin 2020, plusieurs actrices de la série, dont Samantha Ware et Amber Riley, accusent Lea Michele, l’une des plus grosses stars de Glee, d’avoir eu un comportement toxique voire raciste à l’encontre de ses partenaires sur le plateau de tournage. Le phénomène prend une ampleur virale sur les réseaux sociaux, si bien que l’interprète de Rachel Berry voit son nom désormais associé à la cancel culture. Son message d’excuse n’y changera rien, et, pour une série qui a toujours voulu transmettre des messages de diversité, de justice sociale et de compassion, Glee sera de nouveau et contre son gré condamnée sur le pilori de l’hypocrisie.
Arrive finalement la dernière (on l’espère de tout cœur) tragédie en date. Le 14 juillet 2020, le corps de Naya Rivera, alias Santana Lopez, est retrouvé inerte par des plongeurs dans le lac Piru, en Californie. L’actrice est morte d’une noyade accidentelle et d’épuisement après avoir sauvé son fils, suite à la dérive de leur bateau au milieu du lac. Sa disparition entraîne un fort mouvement de solidarité de la part des anciens membres de Glee, avec plusieurs hommages rendus lors de cérémonies télévisuelles par ses anciens partenaires et la création d’un fonds de la part des créateurs de la série pour soutenir l’éducation de son fils.
Mal-être en silence ou malédiction en puissance ?
L’affaire tragique de Glee n’est pas sans rappeler d’autres légendes urbaines autour de l’industrie du cinéma et des séries, comme les nombreuses morts mystérieuses de la franchise Poltergeist, la confiscation par les autorités italiennes du film Cannibal Holocaust dans les années 1980, ou encore les tournages flippants de James Wan, qui a tendance à faire bénir les plateaux de ses films d’horreur (marketing ou superstition ?). Mais la malédiction autour de Glee a quelque chose de plus déprimant et solennel, tant elle s’écarte des valeurs progressistes et bienveillantes que la série prône dans ses 129 épisodes devenus cultes.
Si on peut voir cette succession de malheurs comme l’œuvre du hasard et de tristes coïncidences, les fans ne sont pas tous de cet avis. Sur Reddit et les forums dédiés à la série, certains listent et rassemblent des preuves moins médiatisées afin d’attester du mauvais sort en présence qui continue de s’acharner sur ses membres. On pense notamment aux photos de nue fuitées d’Heather Morris en 2012, à la dispute en coulisses entre Ryan Murphy et Dianna Agron, aux pensées suicidaires de Jake Zyrus pendant son court passage en saison 2, à la crise cardiaque de Demi Lovato en 2018… La plupart des acteurs et actrices de la série préfèrent ne pas évoquer le terme de malédiction dans leurs interviews, non pour des raisons de superstitions, mais parce qu’il s’agit peut-être d’un mal bien plus insidieux et surtout humain : la dépression.
En 2020, quelques semaines après la mort de Naya Rivera, un membre anonyme de Glee s’est exprimé dans les colonnes du New York Post sur le sujet des superstitions maléfiques autour de la série. Si la personne admet que Ryan Murphy et ses comparses ont souvent été troublés par ces événements tragiques, il n’y aurait pas de malédiction mais bien des acteurs et des actrices en souffrance, isolés face leurs démons et une soudaine notoriété qui les a consumés pour la plupart :
“Ce n’était pas l’endroit le plus amical pour eux, et ils n’étaient pas toujours très bienveillants les uns envers les autres. C’étaient des enfants gâtés et mal élevés, qui avaient pour une fois dans leur vie la chance de faire tout ce dont ils rêvaient. Et ils faisaient beaucoup de choses en cachette dont nous n’étions pas au courant. Pendant les pauses déjeuners, ils allaient souvent boire un coup avant de revenir au beau milieu d’une journée de travail.
Je ne sais pas si on peut parler d’une malédiction, mais c’est vrai que la plupart n’ont vraiment pas eu de chance. Les choses qui sont arrivées pour certains membres du casting, c’est une tragédie.”
Si on peut tirer une morale de cette histoire dramatique et émouvante autour de Glee, sans faire appel à des superstitions de malchance voire à des forces obscures surnaturelles, c’est que derrière ses strass et ses paillettes, derrière ses reprises larmoyantes de “Don’t Stop Believin'” et ses amourettes adolescentes, la série cachait possiblement une véritable souffrance de la part de ses talents. Et qu’en seulement quelques années, la chorale de Glee est passée du statut de club des doués à celui de club des damnés.
En France, les six saisons de Glee sont disponibles en intégralité sur Disney+, à vos risques et périls.