Ils représentent la nouvelle vague du rap français. Freestyles, photos, interviews : de leur style à leur flow, voici les FRENCHMEN, par Konbini. Après Prince Waly et Demi Portion, aujourd’hui : Siboy, “sale, sauvage, et tendre”, se dévoile enfin.
À voir aussi sur Konbini
Protégé de Booba, le rappeur du 92i s’apprête à braquer 2017 avec un premier album, après avoir fait ses armes à coups de morceaux et clips distillés sur Internet. Et à en voir la folie qui se dégage de ses paroles et gestes, Siboy peut faire peur. Mais derrière cette cagoule et ce flow enragé, se trouve un mec timide et souriant.
À lire -> FRENCHMEN #1 : Prince Waly, futur roi
Le “marabout” de Mulhouse est parti assez jeune de Brazzaville, capitale de la République du Congo, pour fuir l’horreur de la guerre. Il ne souffle que depuis quelques années, après une installation en France chaotique. Ce passé sombre, Siboy le transforme en hargne sur l’instru’, tout en étant en perpétuel apprentissage musical.
Petit aperçu avec son freestyle exclusif sur un beat signé Black Stars – producteur attitré de cette série –, avant une belle interview pour savoir qui se cache vraiment derrière cette cagoule noire :
Épisode 3 des #FRENCHMEN avec deux premières : Un freestyle, et une interview de Siboy à visage découvert :
Publié par Konbini sur jeudi 6 avril 2017
Konbini | Salut Siboy, quel est ton vrai prénom ?
Siboy | J’en ai pas… mais on peut m’appeler Marabout, si on ne veut pas m’appeler Siboy (rire démoniaque).
Pourquoi Marabout ?
Marabout, c’était mon premier surnom, à l’époque. Quand je faisais des instrus, mes potes me disaient que je faisais du maraboutage. Parce que c’était lourd, tu vois.
Tu produis et tu rappes, donc.
Ouais. Mais je produis beaucoup moins qu’avant.
Avec quel producteur tu préfères bosser ?
Wooouh ! Habibeuh ! Je parlerai toujours de lui. Habib, c’est le nom qui me vient directement parce qu’il a fait de gros morceaux, comme “Mula” [produit par Chanchee & Habib Defoundoux, ndlr], le son qu’on a fait avec Booba. Il est très chaud.
Quand et où es-tu né ?
Brazzaville, 1991.
T’es arrivé en France assez jeune…
Ouais, j’avais 7-8 ans. Après avoir fui Brazzaville et l’horreur de sa guerre.
Une enfance difficile et instable
Et comment ça s’est passé ?
J’suis arrivé près de Tours, j’sais plus quelle ville, j’habitais là-bas en fait. Et après j’ai débarqué à Paris. Tu sais quand t’as les bails d’immigration sans papiers, ils te font un peu faire le tour des hôtels, d’un peu tous les départements tu vois. J’ai pas mal fait le tour de Paris, c’était la galère.
“Avec mes parents, on a dormi dehors, c’est chaud”
Ah ouais, tu reviens de très loin alors…
Ouaiiis, je viens du macadam [rires] ! Les gens qui n’ont pas de papiers, ils vivent une galère incroyable, ouais. J’étais avec mes parents, en mode galère. On a dormi dehors, tu vois. C’est chaud.
Quand est-ce que tu t’es enfin posé ?
On ne s’est jamais posés à Paris. Quand je me suis posé, c’était à Mulhouse, j’avais 15-16 ans, par là. C’est là où on s’est vraiment posés… on est restés vraiment un an sans déménager, on va dire.
Ta jeunesse n’a pas été de tout repos…
C’était la guerre. Et après, même au niveau scolarité, vu que je déménageais tout le temps, je ne pouvais pas terminer ce que je venais à peine de commencer, c’était très instable, irrégulier.
Et quand tu t’es enfin posé, ça se passait l’école ?
Ouais, ça se passait, ça se passait [rires]. J’avais mon petit caractère à moi, j’aimais bien faire le guignol en cours, tu vois. Comme tous les jeunes de quartiers, on aime bien casser les couilles [rires]. Tout en essayant de bosser, tu vois, mais j’aimais pas l’école. J’aimais pas les cours, j’aimais juste l’EPS et les cours d’anglais, fin [rires].
Ah, moi je détestais l’anglais, parce que j’avais une prof raciste.
Ah ouais, mais qu’elle aille se faire enculer cette prof [rires] ! Moi, c’était la prof d’espagnol, elle cassait les couilles. Elle crachait quand elle parlait, t’sais ! C’était un truc de ouf. Mais j’ai continué les cours. J’étais posé, je vivais avec mes parents, j’allais en cours, et après ça s’est enchaîné normalement.
Et t’es arrivé quand sur Paris ?
J’sais pas… faut faire le calcul… j’ai pas une mémoire longue… c’est la codéine, ça [rires].
“On buvait du diabète, c’est un truc de ouf”
Justement ça m’avait marqué, ce rapport à la codéine, à travers l’un de tes anciens clips, “Mirinda”.
Ah, la codéine… on buvait du diabète. C’est un truc de ouf.
Malgré l’effet de la codéine, il y avait une grosse haine qui se dégageait de toi. Une rage incontrôlée que tu maîtrises peu à peu aujourd’hui.
Ouais, j’apprends à la canaliser.
Dans “Éliminé” par exemple, on ressent toujours cette hargne en toi, mais qu’est-ce qui a changé en l’espace de deux ans ?
On ne peut pas tout le temps crier. C’est à la fois une question d’évolution, de passer d’une tendance à une autre ; et crier tout le temps, au bout d’un moment, ça fatigue aussi. Moi-même, ça me fatigue de m’entendre crier, au bout d’un moment je me disais ‘allez, je vais un peu tester autre chose et j’aurai tout le temps de me déchaîner’.
En fait, j’suis en train de me découvrir moi-même. J’ai capté que j’arrivais bien à crier dans un micro, et maintenant je vais tester autre chose, tu vois.
“Sale, sauvage, et tendre”
Quel est ton crew ?
J’ai mon crew, Marabout, et le 92i.
Marabout, c’est Donzo et Inago. Inago, c’est James Cam’Rhum, mon clippeur qui a fait “Mirinda” justement, et tous mes anciens clips, à part ceux faits par Daymolition.
Comment tu décrirais ton univers ?
Sale, sauvage, et tendre… [Rires.] Non j’rigole, c’est sale et sauvage !
T’as attiré l’attention de Booba, qui t’a récemment signé sur son label. Comment ça s’est passé ?
Y a deux mecs qui sont venus, ils m’ont donné rendez-vous au Noumatrouff, une salle de concert à Mulhouse. Ils sont venus, ils m’ont parlé : “Ouais, on veut te signer, Universal…”
Je leur ai dit : “Ouais mais… j’suis tout pourri moi, wesh, vous venez me signer, j’fais même pas 30 000 vues.” [rires.] Ça faisait que quelques mois que j’avais vraiment commencé à rapper sérieusement. Ils m’ont dit : “Noooon, nooon, on croit en toi” et tout !
Ça m’avait choqué, j’croyais que c’était une caméra cachée. J’étais avec mon pote, j’y croyais pas. C’était bizarre pour moi. J’croyais que c’était une blague, je m’y attendais pas du tout en fait.
C’était quand exactement ?
Quelques mois après le clip de “Mailler” [2014, ndlr], je pense.
“Mailler”, “Enemy”… t’as avancé en solitaire. Quels sont ces ennemis auxquels tu t’adresses souvent ?
Ahhhhhhh, c’est des p’tites piques, gentilles… des p’tits cactus [rires]. Mes ennemis, c’est personnel, ils se reconnaîtront.
Pour en revenir à la musique, c’est grâce à YouTube, dont tu t’es bien servi, que tu t’es fait connaître et as réussi à créer une solide fan base, petit à petit.
C’est une radio, en vrai, Internet. C’est grâce à ceux qui m’ont suivi et qui ont cru en moi que je suis là.
Et c’est grâce à quels artistes, que t’as pu écouter plus jeune, que tu t’es construit jusqu’à aujourd’hui ?
Three 6 Mafia, Tupac, Biggie. Je m’en battais les couilles du rap français. J’écoutais plus du rap américain, aujourd’hui un peu moins parce que le rap français propose plus de variétés.
“J’ai déjà une part de folie en moi-même”
Est-ce que le personnage Siboy n’est pas un peu schizophrène ?
J’ai déjà une part de folie en moi-même. Même quand je suis avec des potes, des proches, je fais des trucs bizarres, auxquels ils sont habitués. Et ça se retransmet naturellement dans mes sons, mes clips, ces délires, ces pétages de plomb.
Comme cuisiner un steak et le dévorer en plein clip.
J’sais pas vraiment cuisiner à la base. J’sais faire du steak mais c’est pas facile, hein, faut que ça soit bon aussi. En plus, je l’ai fait pendant un clip [rires]. Puis, je l’ai vraiment mangé, et c’était très bon. Vu comment je l’ai mangé, ça se voyait qu’il était bon, j’ai mis trop d’amour à le faire !
Ton plat préféré ?
J’sais pas vraiment cuisiner à la base. Mon plat préféré ? C’est les madesu [haricots blancs, ndlr] avec du poulet, cinq morceaux de poulet, cinq bonnes cuisses, tu vois, et du manioc. Tu sais c’est quoi le manioc ? Bien coupé, bien chaud. C’est ça mon plat préféré, c’est un plat congolais.
“Je prenais ça pour dormir”
Et pour accompagner ça, de la Mirinda ?
J’ai un peu calmé en fait, c’est quand même une boisson dangereuse, en vrai. Je dis “en vrai” comme si je venais de m’en rendre compte [rires], mais je le savais avant ! Je prenais ça pour dormir, parce que j’ai des problèmes de sommeil, vraiment. C’est pas pour faire semblant. Même dans le crew 92i, tu peux m’appeler à 5 heures du matin, j’suis encore debout. Voilà pourquoi je prenais de la codéine à la base.
Je vois… Quel est le son ou le clip qui a créé le déclic dans ta jeune carrière, pour toi ?
C’est le premier clip que j’ai fait, “O’Yebi”.
C’est un clip qui s’est fait alors qu’on devait juste tester la caméra, à la base. C’était une 5D. On s’est dit “on va la tester”, et là je dis : “Attends, deux secondes, je mets une cagoule.” James Cam’Rhum, le réal, me dit : “Mais pourquoi ?” Je lui dis : “J’veux pas qu’on me reconnaisse.” Il me dit : “OK, vas-y, fais comme tu veux.”
Et après avoir vu le clip, j’ai bien aimé le délire, je me suis kiffé, j’aimais bien comment je bougeais, donc j’ai continué. C’est devenu une sorte de concept un peu par hasard, on va dire. Puis j’ai porté plusieurs sortes de cagoules, de couleurs différentes, etc.
“J’suis pas méchant, mais un peu asocial”
Si c’est pas indiscret, pourquoi tu ne ne voulais pas qu’on te reconnaisse ?
J’avais juste pas envie que les gens viennent m’embêter si ça marchait pour moi. À la base, j’suis pas très sociable, j’vais pas parler avec toi si j’te connais pas. C’est mon caractère. J’suis pas méchant, mais un peu asocial. Même, quand tu vas faire tes courses, ou que t’es avec ta famille, j’aime pas qu’on me dérange, qu’on me parle tout le temps de musique.
T’imagines, il y a des rappeurs, si demain ils ne percent pas ils iront au Pôle emploi ; et il y a des gens qui les regarderont bizarrement : “C’est pas lui qui chantait ? Et il est au Pôle emploi !” [fou rire].
Et si ça ne marche pas pour moi, bah j’irai au Pôle emploi comme tout le monde… Non j’rigole, c’est pour ne pas qu’on me reconnaisse, tu vois.
Et là, tu t’apprêtes à sortir ton tout premier projet, directement un album.
Ouais, il est pas encore fini donc j’peux pas en dire beaucoup plus, mais j’suis satisfait. Et Booba suit bien le projet aussi. Il ne vient pas au studio, mais il est là, il donne son avis sur certains morceaux, et m’apporte beaucoup de son expérience, tu vois. C’est important d’avoir une personne qui maîtrise bien le sujet, et qui a une telle carrière… il y en a pas beaucoup.
T’as d’autres hobbies à part la musique ?
Le foot. J’aurais été un putain de footballeur. La boxe aussi.
Quels sont tes plans pour le futur ? Est-ce que tu te projettes ?
Non, j’avance au jour le jour. J’veux pas tomber de plusieurs étages. On reste au rez-de-chaussée avant de prendre l’ascenseur.
Ça va, l’échange s’est bien passé…
C’était cool. J’ai pas encore l’habitude des interviews. C’est que ma deuxième, mec ! J’appréhendais un peu. C’est pour ça, qu’à la base, je ne voulais pas faire d’interview… Mais là, quand j’suis à l’aise, ça se passe bien.
Rendez-vous demain soir pour le quatrième épisode des FRENCHMEN.
Une série dédiée à Polo, force et courage. <3
Crédits :
- Auteur du projet et journaliste : Rachid Majdoub
- Direction artistique : Arthur King, Benjamin Marius Petit, Terence Mili
- Photos : Benjamin Marius Petit
- Vidéo (cadrage, montage) : Paul ‘Polo’ Bled, Mathias Holst, Simon Meheust, Redouane Boujdi, Adrian Platon, Maxime Touitou, Fanny
- Son : Manuel Lormel
- Remerciements : à tous les rappeurs ayant accepté de participer et à leurs équipes, à la team Konbini ayant aidé de près ou de loin, Lucille, Florent Muset, les attachés de presse cools, Julien Choquet pour la disponibilité de son enregistreur audio, Thomazi pour sa petite enceinte Supreme, XXL Magazine…