Framing Britney Spears, du verbe “to frame” en anglais, soit “encadrer” mais aussi “piéger”: c’est le nom d’un documentaire disponible depuis le 5 avril dernier sur Amazon Prime Video en France, deux mois après sa diffusion aux États-Unis sur la chaîne FX et la plateforme Hulu, où il a déclenché une onde de choc.
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Produit par le très sérieux New York Times, Framing Britney Spears est tiré d’une enquête étayée du journal qui porte un regard nouveau sur l’ascension fulgurante de la pop star mais surtout sur sa longue descente aux enfers. Il s’ouvre sur des images de fans de la chanteuse réunis devant la Cour suprême de Los Angeles, où se déroulait l’audience de la famille Spears pour une potentielle cessation de la tutelle de Britney, en ce début septembre 2020.
C’est cette bataille judiciaire, à l’œuvre depuis 2008, date de la mise sous tutelle de Britney Spears alors âgée de 27 ans, qui sert de point de départ au documentaire. Mais outre l’éclairage apporté sur les coulisses d’une décision qui interdit à la chanteuse, aujourd’hui âgée de 39 ans, la gestion de ses biens, de sa carrière et tout simplement de sa vie, c’est surtout la violence et le sexisme du show-business qui sont portés aux nues.
Cette version de l’histoire nous met face à notre responsabilité collective et, à l’aune du mouvement #MeToo, elle semble enfin pouvoir être entendue – ou au moins écoutée. Voici donc trois bonnes raisons de regarder ce documentaire édifiant.
Pour rendre son honneur à Britney
Par cette enquête, le New York Times se place indéniablement du côté du mouvement #FreeBritney, et donc du côté de la chanteuse. Si elle a toujours compris la décision de sa mise sous tutelle, sa seule et unique requête fut que ce ne soit pas sous celle de son père. Le documentaire ne nie en aucun cas les fragilités psychologiques de Britney Spears et n’omet pas non plus de préciser que l’on ne connaît par exemple pas les détails de son dossier médical. Il participe néanmoins à un mouvement de réhabilitation de cette pop star qui, après une ascension fulgurante et une célébrité précoce, n’a cessé d’être dévaluée.
Si sa famille, sollicitée, n’a pas souhaité s’exprimer, les témoignages de certains de ses proches et collaborateurs, comme son assistante ou sa styliste, apportent un éclairage nouveau sur les déboires de Britney, maintes fois relayés mais rarement interrogés.
En 2007 par exemple, elle se rasait la tête et faisait les choux gras de la presse, pas seulement à scandale, mais “personne ne s’est dit que se raser la tête, pour Britney, était une manière de hurler: c’est fini, j’arrête, foutez-moi la paix, je ne suis pas votre chose”, observe un journaliste du New York Times.
Par une mise en scène très simple, principalement constituée d’images d’archives, qui ne sert qu’à relater une enquête sans effet de style, loin du parti pris des documentaires à la gloire des stars de la chanson, la réalisatrice Samantha Stark se range du côté de la pop star mais jamais ne verse dans le pathos. Elle donne la parole à ceux qui l’ont côtoyée, de près ou de loin, et accepté de témoigner, entourage proche ou avocats mais aussi paparazzis ou partie adverse.
Si Britney a également été sollicitée, la réalisatrice précise qu’elle n’est pas certaine que la principale intéressée ait reçu ses sollicitations. Et après avoir (une nouvelle fois) passé au crible la vie de la chanteuse, le documentaire se conclut par un message bienvenu: Britney reste la seule personne véritablement habilitée à raconter son histoire, et c’est ce que son amie et manageuse depuis les débuts, Felicia Culotta, espère qu’elle fera prochainement.
Fin mars, Britney Spears a pris la parole sur la parole sur Instagram. Et son message nous fait espérer encore davantage pouvoir avoir un jour sa version de l’histoire : “Il faut avoir beaucoup de force pour avoir confiance en l’univers et lui confier ses vraies blessures parce que j’ai toujours été jugée, dévalorisée et insultée par les médias, et c’est encore le cas aujourd’hui. Je n’ai pas regardé le documentaire, mais d’après ce que j’ai pu en voir, je suis gênée par cette mise en lumière. J’ai pleuré pendant deux semaines et même encore maintenant, fréquemment.”
Pour crédibiliser le mouvement #FreeBritney
Framing Britney Spears offre également un temps de parole conséquent, et pour une fois légitime, à ses fans, les autres protagonistes de ce documentaire qui, rassemblés sous le slogan #FreeBritney, espèrent la libérer de cette tutelle qu’ils estiment abusive. Ce mouvement à l’œuvre depuis une dizaine année est né sur BreatheHeavy.com, un blog fondé par un fan de la chanteuse suite à sa mise sous tutelle le 1er février 2008 et prévue pour durer un an. La justice a finalement pris la décision de poursuivre cette tutelle jusqu’à amélioration de son état mental.
Entre le désormais mythique “Leave Britney alone” ou les théories des appels à l’aide dissimulés dans ses posts Instagram, les fans étaient jusqu’alors assez peu considérés. Mais le mouvement #FreeBritney a pris une véritable ampleur en 2019, suite à l’annulation d’une série de concerts de la pop star, et cet été, avec l’approche d’une nouvelle audience, le hashtag a submergé les réseaux.
Car quatre albums et autant de tournées plus tard, son père Jamie Spears, visiblement absent de la vie de sa fille avant sa célébrité, veille toujours à ses bonnes fréquentations et à ses choix de carrière, tandis que l’avocat Andrew Wallet continue de gérer la fortune de la star, estimée à plus de 50 millions d’euros.
N’oublions pas de préciser que la situation est floue et que les détails de la tutelle de Spears n’ont jamais été rendus publics, le New York Times abonde lui aussi dans le sens de la thèse d’une tutelle abusive, en révélant un document édifiant. Dans une requête judiciaire dont les journalistes ont eu connaissance, la tutelle de Britney Spears est qualifiée de “mode d’entreprise hybride” pour Jamie Spears, qui gagne un pourcentage sur les contrats aux montants qu’on imagine colossaux de sa fille. C’est donc écrit noir sur blanc : gérer la vie et la carrière de Britney, jugée vulnérable, est un business profitable à son père.
Pour prendre (une nouvelle fois) conscience du sexisme du show-business
Mais cette bataille judiciaire de longue date dont on connaissait les contours sert également de prétexte pour examiner le parcours de cet enfant, adolescente et jeune femme star par le prisme du sexisme de l’industrie du show-business. Et il pointe également du doigt la responsabilité des médias dans sa descente aux enfers.
Les images de poursuites par les paparazzis sont terrifiantes, jamais les photographes n’abandonnent la partie. Un paparazzi qui a régulièrement suivi Britney, et a même été victime de violences physiques de la part de la chanteuse, a eu le courage de venir témoigner du rôle qu’il a joué dans sa descente aux enfers. Sans n’exprimer de véritables regrets, il fait également preuve d’une évidente malhonnêteté, en affirmant que jamais Britney ne leur a explicitement demandé d’arrêter de la suivre.
Si les paparazzis ont une lourde responsabilité dans le destin brisé de la princesse de la pop, les médias généralistes ne sont pas en reste. Comme une prophétie, Framing Britney Spears s’ouvre sur une séquence télévisée où, après une performance vocale impressionnante, le présentateur Ed McMahon demande à la jeune Britney, 10 ans, si elle a un amoureux. “Non, parce qu’ils sont méchants”, lui répond l’enfant. Et l’animateur septuagénaire de surenchérir : “Et moi, je pourrais être ton amoureux ?”
La suite du documentaire est une compilation d’extraits d’interviews surréalistes où la jeune femme est inlassablement questionnée, et ce malgré ses larmes, sur sa poitrine, sa virginité, ses capacités à être une bonne mère ou sa fidélité envers Justin Timberlake, que les médias ont placé en victime de leur rupture et que le documentaire n’épargne pas. Le chanteur a récemment présenté ses excuses publiques à Britney Spears, dans la foulée de la diffusion du documentaire aux États-Unis, et regrette ce moment de sa vie où “ses actes ont contribué au problème”.
Une journaliste ira même jusqu’à lui lire une déclaration de Kendel Ehrlich, l’épouse du gouverneur républicain du Maryland, en prime time sur ABC : “Si j’avais l’opportunité de tirer sur Britney Spears, je crois que je le ferais.”Ce à quoi la chanteuse répondra par un “Je ne suis pas là pour éduquer ses enfants” bien senti.
Rare fille à réussir à la grande époque des boys bands, elle sera la petite fiancée de l’Amérique à la gloire fulgurante mais deviendra tout aussi rapidement une infréquentable bad girl, une mauvaise mère puis une lamentable aliénée. “J’ai travaillé avec tous les boys bands et jamais aucun des garçons n’a été scruté comme elle”, regrettera son ancienne styliste. Tout est dit.