Dans le grand final d’Inglourious Basterds de Quentin Tarantino, le plan de Shosanna Dreyfus fonctionne, tuant une salle entière de nazis dont Adolf Hitler. Pour ce faire, son amant Marcel envoie un mégot encore allumé sur des pellicules installées en bas d’un écran qui diffuse le film de propagande et la salle s’enflamme tel un brasier incontrôlable.
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Beaucoup ont pensé que l’incendie était très caricatural, dans la veine épique d’un Tarantino, alors que cette scène s’explique en réalité très facilement et logiquement.
Et oui, Jamy. À l’époque, les pellicules étaient constituées de ce qu’on appelle du film-nitrate, une substance extrêmement inflammable. C’est simple : quand une pellicule se détériorait vraiment car n’étant pas stockée dans des conditions nécessaires, elle s’apparentait alors à de la poudre à canon. Littéralement. Une situation qui changea en 1951, quand la norme fut de passer à des pellicules en acétate (moins inflammable, mais qui se décompose malgré tout, dégageant au passage une odeur de vinaigre fort peu agréable).
Le film-nitrate est une des raisons qui peut justifier le fait que l’on retrouve très peu de films datant du début du cinéma. Cet article fouillé d’AV Club nous montre qu’en réalité, nous avons perdu pour toujours les trois quarts des films muets jamais produits. Pire encore : plus de 90 % des œuvres cinématographiques datant d’avant 1929 ont disparu. À jamais.
Les incendies et le mépris des studios
Bien sûr, le film-nitrate n’est pas le seul responsable, même s’il l’est en grande partie. Et en première ligne, on trouve un incendie dans les bâtiments de la Fox. En 1937, un immense feu se déclencha dans les archives de la 20th Century Fox, anciennement Fox Films. Il faut bien avoir conscience qu’à l’époque, les salles de cinéma avaient des pellicules qui s’usaient très vite (au bout d’un certain nombre de projections, la bande était fichue), et la seule trace durable d’un film était une version intacte dans les archives.
Sachant à quel point une pellicule est inflammable, vous imaginez bien qu’un incendie de ce genre ne peut s’arrêter à un seul lieu de stockage, mais qu’il enflamme tous les bâtiments aux alentours. Celui de la Fox toucha également les 48 salles des archives, dont celle de la MGM. Cet incendie a fait tout simplement disparaître tous les films sortis chez la major avant 1932, dont on a peu de traces. Un catalogue entier parti en fumée, qui représente plus de 2 000 œuvres.
Le problème est qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. D’autres studios ont connu des incendies catastrophiques, même si le plus grave reste celui de 1937. Les studios ont décidé de mieux stocker les films à partir des années 1950, mais le mal était fait.
Le film-nitrate n’est pas le seul responsable de la disparition de ce patrimoine culturel énorme. Un autre facteur est tout simplement l’arrivée du son.
Quand les bandes ont commencé à pouvoir associer une bande-son à l’image, les studios ont automatiquement abandonné le muet. Il suffit de voir The Artist pour comprendre la rapidité avec laquelle tout le monde s’est mis à jour à ce moment-là. Et les studios n’ont pas pris les choses au sérieux. À l’époque, on n’élève en effet pas encore le cinéma au rang d’art comme c’est le cas aujourd’hui.
Résultat, les grandes maisons ne trouvent aucun intérêt à investir financièrement pour maintenir leur ancienne production muette vieillissante. Pire encore : il est dit que nombreux sont ceux à avoir détruit de leur plein gré des pellicules pour gagner de la place dans les salles d’archives. Pour eux, on parlait d’œuvres obsolètes et basta. Heureusement, certains se sont battus pour garder des traces de leur filmographie, comme Charlie Chaplin, et d’autres. Mais parfois, ça ne suffit pas.
La star du muet Harold Lloyd a perdu une grande partie de ses œuvres dans un incendie de studio dans les années 1940. Parfois, ce sont des carrières entières qui ont disparu. L’exemple le plus criant demeure Theda Bara, une méga star à l’époque, dont il ne reste que six des 40 films qu’elle avait tournés. Une triste réalité, pour un cas loin d’être isolé.
Alors évidemment, parfois, on retrouve des pépites dans des collections personnelles, comme ce fut le cas pour le film Frankenstein de 1910 et que l’on croyait disparu, ou du Richard III de 1912. Les studios vendaient parfois à des particuliers des pellicules qui ne leur servaient plus à rien ; des dizaines de films ont pu être ainsi sauvés.
Plus fou encore : il est connu que c’est le musée du cinéma de Buenos Aires qui a permis en 2008 de retrouver la quasi-totalité de Metropolis de Fritz Lang — cette œuvre majeure, sortie en 1927, n’avait été retrouvée qu’en partie, et avait subi un montage brutal de bout à bout, mais il manquait tout de même au moins 25 minutes du film.
Désormais, le film est tombé dans le domaine public et disponible, juste ici. Comme beaucoup d’autres ailleurs. Peut-être que le meilleur moyen de leur rendre hommage est de leur donner une deuxième vie sur la Toile.
Si vous voulez creuser le sujet, sachez qu’il existe des pages Wikipédia des films totalement perdus, des films partiellement perdus, ou des films retrouvés. Cette dernière redonne beaucoup d’espoir.
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