La rencontre de deux mondes, le rap français et celui des États-Unis. Deux mondes qui pourraient ne faire qu’un mais qui peinent parfois à s’allier. Preuves en sont les nombreuses collaborations pas forcément réussies ou les featurings avortés pour manque de respect répétés du côté des rappeurs américains. Avant tout, revenons sur plusieurs faits avérés avant d’en tirer les conclusions.
À voir aussi sur Konbini
Si l’histoire entre Gazo et Offset n’a pas encore été entièrement révélée, il semblerait s’agir une nouvelle fois d’un manque de respect de la part de l’Américain qui serait arrivé largement en retard au tournage du clip de leur morceau. Une histoire qui rappelle étrangement celle vécue par Niska il y a quelques années avec Rich The Kid. Cela aura poussé le rappeur à s’exprimer sur le sujet pendant son interview Clique en 2019 : “Ils respectent pas les rappeurs français, pour eux Paris c’est la Fashion Week.”. Quelques années plus tard, c’est chez Konbini qu’il revenait sur cette collaboration :
“Lui il m’a fait une dinguerie. Il est arrivé sur le clip en faisant l’Américain de ouf. Mauvais comportement, il nous a toisés donc c’est moi qui ai dit ensuite qu’on ne sortirait pas le feat.”
Un acte loin d’être isolé puisque des anecdotes dans ce style, le rap français en est bourré. On pense à Kalash Criminel qui s’était notamment confié à Rapélite sur son morceau avorté “Ngannou” avec Bobby Shmurda, expliquant que le rappeur américain lui avait réclamé 10 000 euros pour sortir leur featuring. Au départ, donc plusieurs mois avant cette demande, il était convenu que le morceau se fasse sans échange d’argent d’un côté comme de l’autre. Un changement de dernière minute qui amènera Kalash Criminel à décider, comme Niska, de ne finalement pas sortir le morceau au lieu de payer l’Américain. Bien avant cette déconvenue, le rap français avait déjà fait les frais du non-respect de ses pairs américains, mais cette fois le morceau est toujours disponible.
En 1996, Nas approche NTM pour un featuring. “Affirmative Action” sera présent sur la réédition de leur album Paris sous les bombes. Pourtant, tout n’est pas si rose. Des tensions apparaissent sur le tournage du clip et pour GQ, Joey Starr revient sur l’un des premiers feats franco-américains : “Je pense qu’il nous a pris pour des bouseux. À l’époque, Sony n’avait pas fait le truc comme il fallait. […] Il y a plein de petites histoires autour de ce truc-là en interne, ça aurait pu se passer vachement mieux.” Et dernier exemple en guise de cerise sur le gâteau, en 2021, Young Thug s’est permis une belle pique aux rappeurs de Londres et Paris, confirmant ce qu’on savait déjà, les rappeurs américains se fichent de nous alors que le public européen s’en détache peu à peu : “C’est pas comme ces mecs de Londres ou Paris. Les gars vivaient probablement dans des manoirs ou des hôtels. Vous n’avez rien fait de chaud dans la rue.”
Évidemment, certains featurings de ce type ont su s’imposer comme des morceaux réussis, Kaaris feat. Future, Ol Kainry feat. Raekwon, Future et Don Toliver, IAM feat. Sunz Of Man sur “La Saga”, Hamza feat. Offset malgré les critiques. Bref, les exemples ne manquent pas. Mais alors, qu’est-ce qui pourrait bien expliquer cette tension qui dure et cet irrespect venu d’Outre-Manche ? Ce qui saute aux yeux, c’est la quasi-récurrence d’une demande française vers les États-Unis, on pense à Gradur avec Migos ou Chief Keef, appuyant, au regard du seul spectre US, d’un besoin des Français de feater avec eux, plutôt que le contraire.
Les intérêts commerciaux rentrent donc en compte. On aligne des grosses sommes comme Ninho et Lil Baby récemment, pour faire apparaître un américain dans sa tracklist. Le naturel de la collaboration, base de la musique, est donc relégué au second plan. Couplée à ça, une distance géographique évidente entre les deux artistes qui peuvent être coincés par la barrière de la langue ou encore par les différences culturelles dans la manière de travailler ou de conceptualiser sa musique par exemple. Cela donne, en résumé, le résultat que l’on a sous les yeux. Des titres pris un peu par-dessus la jambe par les rappeurs US qui ne voient pas le hip-hop français à sa juste valeur. Feater avec un ou plusieurs artistes américains requiert donc une grande vigilance dans ses choix et réelles intentions. Dans le meilleur des cas, il faut privilégier l’entente avant tout, chose difficile à faire pour toutes les raisons évoquées précédemment. Dans le pire des cas, se contenter de passer son chemin à la recherche d’un rappeur ressentant vraiment l’envie de feater avec nos frenchies (et ça ne manque pas).