L’artiste palestinienne Malak Mattar présentera, en parallèle de la biennale de Venise, sa fresque No Words, réalisée suite à son départ de Gaza pour Londres, en octobre dernier. La toile de 4,5 mètres sur 2,1 “documente tous les aspects de la guerre”, écrit la peintre, qui nous confiait en février ne pas avoir pu “tenir un crayon ou un pinceau” pendant trois mois, parce qu’elle était “complètement paralysée” face à ce que subissait son pays depuis le 7 octobre dernier. C’est au début du mois de janvier qu’elle a fini par s’atteler à la réalisation de No Words, une fresque pensée pour pallier son manque de mots face à la situation à Gaza.
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“Cette peinture est une documentation totale et holistique du génocide en cours. Elle représente les meurtres d’humain·e·s, d’animaux, des religions, d’une architecture historique, des églises, des mosquées, des cultures, elle montre le meurtre des journalistes, le meurtre des artistes, des intellectuel·le·s et des poètes. Le cœur de cette œuvre, c’est l’exil forcé d’1,7 million de Palestinien·ne·s qui n’ont plus aucun lieu sûr, pas même sur les routes”, décrit Malak Mattar.
© Malak Mattar/Photo : David Witton-Davies
L’immense toile est en noir et blanc, l’artiste née en 1999 à Gaza confiant qu’elle “ne voit plus les couleurs” : “Il n’y a plus que le noir qui puisse refléter la réalité, une réalité horrible, qui nous réduit au silence”. Sur les murs, des tags rappellent, en anglais et en arabe, que “Gaza vivra pour toujours ; Gaza vous hantera” ou encore que “[cela dure depuis] trop longtemps”. Au milieu des décombres, “des corbeaux, des chats et des chiens mangent les cadavres, et c’est une réalité”, décrit Malak Mattar.
De part et d’autre de l’élément central composé d’un homme au visage terrifié, au-dessus d’un cheval à la gueule grande ouverte, s’amoncellent des corps et des cadavres, des visages de femmes, d’hommes et d’enfants. La composition fourmille de détails sanglants où le gris a remplacé la vie. Les regards ne savent où se poser tant l’angoisse est omniprésente.
La Palestine, persona non grata de la biennale ?
Malak Mattar présente son œuvre, ainsi que des croquis préparatoires et d’autres travaux, à l’occasion d’une exposition solo intitulée “The Horse Fell Off the Poem”, du nom d’un poème de l’auteur palestinien Mahmoud Darwich, et organisée en parallèle de la biennale, puisque au contraire de la France, des États-Unis, du Bénin, de l’Ukraine ou d’Israël, la Palestine n’est pas autorisée à tenir un pavillon à Venise puisqu’elle n’est “pas considérée comme un État à Rome”, rappelle Artnews. “En 2002, le curateur Francesco Bonami avait proposé l’ajout d’un pavillon palestinien avant d’être accusé d’antisémitisme par la presse italienne.”
Malak Mattar, Prematurely Stolen, 2023.
Les artistes palestinien·ne·s n’apparaissent que dans des événements organisés en dehors de l’événement qui invite tous les deux ans des pays du monde entier à exposer un projet dans un pavillon à leur nom. Ce refus est d’autant plus ironique que le thème de cette 60e édition de la biennale, “Foreigners Everywhere” (“Des étranger·ère·s partout”) rappelle la façon dont les Palestinien·ne·s dénoncent le fait d’être devenu·e·s des étranger·ère·s sur leur propre terre.
En écho à ce titre, le Palestine Museum US présente à Venise une exposition collective intitulée “Foreigners in Their Homeland” (“Des étranger·ère·s sur leur terre natale”).“23 artistes palestinien·ne·s (dont certain·ne·s venant de Gaza)” y ont été invité·e·s à “mettre en lumière la vie sous l’occupation”, décrit Faisal Saleh. Le directeur du musée s’est vu refuser par la biennale sa proposition d’exposition, qui sera donc présentée au Palazzo Mora vénitien, en dehors de la biennale, tout comme l’exposition de Malak Mattar.
Un “double standard”
En février, une lettre ouverte (traduite en français) signée par 23 761 artistes à date, dénonçait le “double standard” de la biennale qui accorde un pavillon à l’État d’Israël et pas à la Palestine. Les signataires dénonçaient également la façon dont “la biennale est demeurée silencieuse concernant les atrocités de l’État d’Israël contre les Palestiniens” : “Donner une plateforme à de l’art qui représente un État engagé dans des atrocités continues contre les Palestinien·ne·s de Gaza est inacceptable. Pas de pavillon du génocide à la biennale de Venise”.
Malak Mattar, Étude pour No Words: Death Road, 2023.
Le ministre italien de la Culture Gennaro Sangiuliano avait condamné la lettre ouverte dans un communiqué, affirmant que cette dernière “menaçait la liberté de pensée et de création”. “L’État d’Israël a non seulement le droit d’exprimer son art, mais il a le devoir de témoigner à son propre peuple au moment où celui-ci a été durement frappé par surprise par des terroristes sans pitié”, avait-il poursuivi, rapportait l’AFP le 28 février dernier.
De leur côté, l’artiste Ruth Patir (qui investit cette année le pavillon israélien) et les conservatrices de son exposition partageaient auprès d’Artnews, le 24 octobre 2023, leur point de vue : “Les attaques terribles du 7 octobre perpétrées par le Hamas, qui ont brisé les vies de tant de nos proches, ami·e·s et connaissances, nous ont laissées complètement bouleversées et terrifiées. Notre deuil immense est exacerbé par notre inquiétude immense concernant la crise humanitaire grandissante à Gaza et les morts tragiques là-bas, ainsi que tout ce qui est à venir”.
Malak Mattar, Umm Handala, 2023.
L’exposition de Malak Mattar “The Horse Fell off the Poem” est présentée à la Ferruzzi Gallery du 16 avril au 14 juin 2024.