Entre souvenirs et futurisme, Contre-Temps, le nouvel album de Flavien Berger, est un voyage entre les époques et pour nous guider, l’artiste a accepté de nous parler. Rencontre.
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En avril dernier, Flavien Berger dévoilait “Brutalisme”, un premier single grave et majestueux qui signait son retour trois ans après les pérégrinations farfelues du disque de Noël Contrebande 01. Sous les traits d’un chevalier médiéval transporté de son Moyen Âge natal aux souvenirs des plages d’Acapulco puis à la dureté d’un décor brutaliste, se dessinait dans le clip qui accompagnait le morceau, les prémices de son deuxième album Contre-Temps.
Composé en une année et demie, le projet de treize titres explore savamment et délicatement la musique comme moyen d’explorer ses souvenirs et d’imaginer un futur univers des possibles. Il est aussi pour l’artiste, qui se consacre désormais corps et âme à la musique après avoir exercé le métier de professeur, l’occasion de s’imposer de nouvelles contraintes et d’explorer des territoires inconnus.
Plus “pop”, Contre-Temps se fait aussi plus romantique et invite dans son vaisseau spatial un équipage plus large, notamment composé par les voix de Julia Lanoë et de Bonnie Banane. Il reste néanmoins fidèle à certains rites créatifs élaborés par le parisien, à savoir une certaine fixation numérique (ici le chiffre 9), des portails spatio-temporels et quelques digressions sonores. À l’occasion de la sortie de son deuxième album, on a rencontré Flavien Berger pour parler science-fiction, cadavre exquis et pizza sphérique.
Konbini | Pour Contre-Temps, tu n’as pas changé ton processus de production dans le sens où tu as produit ce projet chez toi. Qu’est qui t’effraies dans l’expérience studio traditionnelle ?
Flavien Berger | J’ai appris tout seul à faire de la musique et je ne suis pas quelqu’un qui s’exprime super bien avec les instruments. J’ai donc créé mon propre système qui me permet de faire aboutir mes idées. En studio, il y a cette idée que le temps est compté car tu payes des gens, des savoir-faire, des techniques. Je ne suis pas très à l’aise car les idées que j’ai en tête se délitent un petit peu du fait des multiples propositions des gens avec qui je peux travailler là-bas. J’ai quand même enregistré des batteries, une basse, une harpe en studio mais concernant le processus de composition, de création et de production, je n’arrive à aboutir mes idées que quand j’ai toutes les clés.
Tu as un morceau qui s’appelle “Deadline”. La deadline c’est typiquement une contrainte de production traditionnelle. Tu as été soumis à cela lors de la confection du projet ?
La deadline c’est un drôle de mot puisque ça veut dire la “ligne morte”. Pas la ligne d’arrivée ou celle de fin. Si ton projet n’est pas terminé à ce précis, il est mort. Ça m’a interpellé. C’est ce que raconte le morceau à travers l’histoire d’un mec qui roule un peu trop vite pour essayer de rattraper sa vie. Il va avoir un accident. Sa montre est cassée et reste à l’heure d’été jusqu’à l’éternité. La deadline, c’est aussi par rapport à moi-même. Je veux réussir à me dépasser. J’ai toujours eu l’impression de ne pas bien faire les choses, d’être toujours un peu en retard alors que je suis dans les temps, c’est un état personnel.
Ton projet se nomme Contre-Temps. Pourquoi ce nom ?
J’essaye toujours d’avoir une approche un peu méta sur les projets. Léviathan, c’était une espèce de métaphore de moi qui rencontre la musique sous la forme d’un grand monstre. J’expliquais que la musique est quelque chose de tentaculaire que t’entends toujours partout. C’est hyper important dans l’histoire de l’humanité bien qu’on ne sache toujours pas quelle forme ça a. Je voulais rencontrer ce machin, l’apprivoiser ou du moins me présenter à lui.
Contre-Temps essaye de comprendre la musique comme si la musique ou le CD était un cadran temporel dans lequel on pourrait se balader comme on se balade dans les souvenirs, comme un voyage dans la conscience. Tu vois quand tu marches dans la rue, tu entends un morceau qui te rappelle instantanément quelque chose. Tu es alors renvoyé pendant deux secondes à ce souvenir lié à ce morceau, surtout quand tu es sensible. J’essaye de voir si Contre-Temps n’est pas une espèce de cadran volant de voyage dans le temps sur lequel tu pourrais mettre le curseur sur un souvenir mais celui d’une histoire fictive.
Considères-tu le temps comme un ami ou un ennemi ?
C’est une zone d’inconnu, donc une zone de voyage potentiel. Le “contre-temps” ici n’est pas dans la contradiction du temps mais il correspond à l’idée d’être en contact, comme être tout contre quelqu’un, contre une paroi, une surface. C’est essayer d’apprivoiser le temps qui n’est pas un ennemi. J’essaye d’en faire un ami, de comprendre le présent et de le comprendre maintenant.
Comment fais-tu pour l’apprivoiser ?
J’essaye de choper les kiffes là où je peux les trouver, là où ils se cachent. J’essaye de me rendre compte que le truc le plus brûlant, c’est ce qui existe entre le souvenir et le projet qui sont deux choses abstraites et d’en parler dans mes chansons, de faire de la musique.
La musique c’est un peu de l’architecture dans le temps, l’architecture du temps. Il y a un truc sur lequel on peut se mettre d’accord concernant un morceau, c’est sa durée. Sur ce disque, j’ai fait des morceaux plus structurés, presque plus pop pour essayer de dire autant de choses voire plus de choses qu’avant dans un laps de temps plus court. Il fallait donc organiser ces tiroirs temporels de stimuli musicaux.
Tu dis que tu t’épanouis artistiquement dans les contraintes. T’es-tu imposé de chanter et d’écrire plus ?
D’écrire mieux ! Pour ce projet, je voulais que le texte soit ficelé donc j’ai vachement écrit pour arriver à des choses très simples, très chansons mais qui résonnent fort et de manière différente chez chacun, que ça touche des cordes sensibles. C’est pour ça que la voix est aussi importante car je chante moins fort mais plus précisément je pense.
J’ai l’impression que dans ce processus d’écriture, tu as abandonné les histoires loufoques à la façon des précédents “Bagarre molle” ou “Le Bizz du bluesman”.
Non, je ne pense pas l’abandonner mais cette esthétique de la Contrebande (projet gratuit sorti en 2015) appartient à ce même projet. On ne peut pas tout faire tout le temps. Je ne veux pas créer un agglomérat des différentes choses que je fais dans un même disque. Je pense qu’un projet doit ouvrir vers des nouvelles choses et pas se répéter. Je pense à une suite de “Bagarre molle” depuis hyper longtemps et elle existera mais Contrebande c’était vraiment un terrain d’expérimentation plus humoristique. Les albums, c’est plus sérieux, du moins c’est un peu plus grave.
C’est plus grave car tu parles notamment beaucoup d’amour. Mais tu te refuses à faire dans le récit autobiographique.
Bien sûr qu’il y a des choses qui résonnent mais quand je dis “je”, ce n’est pas moi, c’est un narrateur qui s’exprime et c’est pour ça que je parle de fiction un peu. Bien sûr, c’est impossible de ne pas mettre un peu de soi dans son travail, il y a des reflets mais je ne suis pas Gainsbourg. Je ne me mets pas en danger et ce ne serait pas salvateur de parler de moi et que plein de gens l’entende. Ce sont des thèmes qui sont les miens mais je ne parle pas de moi.
Où puises-tu toutes tes idées ? J’ai l’impression que tu fais une sorte cadavre exquis avec toi-même.
Je travaille par computation. Je note beaucoup de choses et après je les rassemble, puis encore après, je les écris bien, ce qui fait qu’on bout d’un moment je peux consulter ces espèces d’annuaires d’idées qui me viennent de plein de manières différentes. L’inspiration c’est mystique. C’est Daho qui me disait ça. On ne sait pas d’où ça vient mais lui parle de quelque chose qui arriverait d’en haut et que toi tu reçois.
Mais par exemple d’où vient cette histoire de “pizza sphérique” (racontée dans le morceau “Bagarre molle”) ?
Pour toi elle est où la croûte ?
Je pense que la croûte est à l’extérieur. Je vois une calzone sphérique.
Oui beaucoup de gens pensent ça. Moi je ne sais pas comment je le vois, c’est un peu l’histoire du verre d’eau à moitié plein ou à moitié vide. Concernant l’idée, j’aime beaucoup les changements de dimension, les translations, quand tu te dis qu’il y a un truc qu’on ne peut pas s’imaginer comme la quatrième dimension. Ce sont des espèces de truc tort cerveau que j’adore et du coup la pizza sphérique c’est une espèce d’idée impossible de prendre un truc en 2D qu’est une pizza et la translater vers une pizza sphérique.
Tu parlais de cet album comme d’un “disque de science-fiction”. Quelles sont les œuvres de science-fiction qui t’ont marqué ?
Dans un club de fans de science-fiction je vais me faire virer car je ne connais que dalle. J’aime bien le cyber punk, les films de SF avec des esthétiques qui n’ont pas vieilli comme Blade Runner ou Edge of tomorrow avec Tom Cruise. J’aime beaucoup Tom Cruise. Concernant les bouquins, il y a À rebrousse temps de Philip K. Dick c’est mortel. Ça parle d’un monde dans lequel le temps s’est inversé. Les gens retournent à l’état fœtal et les morts reviennent à la vie. On suit l’histoire d’un fossoyeur qui va dans des cimetières pour déterrer les gens qui reviennent à la vie. Dans le livre, il y a plein d’idées loufoques comme fumer des cigarettes à l’envers. C’était absurde et moi ça m’avait trop plu, j’imaginais déjà un film réalisé par Spike Jonze.
J’aime beaucoup la science-fiction car elle évoque un ailleurs fantastique souvent lié à la technologie et on est dans une société au sein de laquelle la technologie s’étend. On peut donc imaginer les possibles. J’ai l’impression qu’il y a des trucs à inventer sans arrêt, qu’il y aura toujours de la science-fiction pour n’importe quelle génération car ça ne parle justement pas de cette génération.
Tu mentionnes, aussi bien dans ta musique que dans tes clips, des portes spatio-temporelles. Où irais-tu si tu pouvais ouvrir un portail spatio-temporel ?
Déjà, j’ai une théorie sur les années 1980. Je pense que quelqu’un a ouvert une brèche spatio-temporelle dans cette décennie car ce n’est pas normal qu’on continue à découvrir de la musique mortelle qui a été faite à cette époque. C’est comme si on allait découvrir jusqu’à la fin de l’humanité de la musique qui a été produite dans les années 1980 ce n’est pas possible vu que cette période est révolue. Donc si on continue à découvrir de la musique, ça veut qu’il y a des mecs aujourd’hui qui vont dans les années 1980 pour sortir des sons, c’est trop chelou.
Sinon, j’aimerais trop aller dans le futur pour voir si j’avais raison car j’ai des théories sur la musique dans le futur. Je pense qu’elle aura évolué en un truc bio data où les humains ne feraient plus de musique. Avec les sites de streaming, les lectures de profil, les data que génèrent tes likes et tes écoutes qu’on a aujourd’hui, je pense que la musique de demain sera un truc d’ordinateurs qui pourront faire de la musique qui correspondrait à ce qu’on aimerait.
Tu penses qu’il existe plusieurs Flavien Berger dans plusieurs espaces-temps ? À ton avis ils ressemblent à quoi ?
Je ne sais pas mais je me demande lequel de nous tous est le plus heureux. Il y a cette image sur internet sur laquelle on voit quelqu’un taper sur Google “I hope” et la première proposition c’est “parallel universe me is doing ok“. C’est mignon.
Qu’est-ce que tu leur dirais ?
Je leur dirais : “Prenez soin”.
Dans le clip de “Brutalisme”, le chevalier possède un appareil argentique. Si tu regardais ces dernières années comme un album photo, quelle serait la photo qui te marquerait le plus ?
C’est une photo de mon studio à Bruxelles où j’ai fait Contre-Temps, de ces choses que j’ai mis en place, collectionné, aggloméré, construit, de ce vaisseau dont j’ai toujours rêvé. C’est ça, ce n’est pas très sexy mais c’est un petit bonheur.
Tu voudrais que les photos qui composent les pages suivantes ressemblent à quoi ?
Je ne sais pas. Je ne veux pas que ce soit des photos en mode gros carton interplanétaire. Ce n’est pas quelque chose que je cherche. Je voudrais que le travail qu’on a fait soit reconnu mais je ne cherche pas à ce que ça marche car je fais attention à la dynamique de croissance et je sais que l’humain est capable de supporter une certaine quantité de trucs.
Je veux continuer à faire des projets intéressants. Je ne veux pas jouer dans des salles de plus en plus grandes, je ne veux pas vendre de plus en plus de disques, je ne veux pas aller aux USA et conquérir le monde. Je veux que ça reste à une échelle où ça a du sens pour moi de fabriquer de la musique. Ce n’est pas une photo de moi en selfie avec 25 000 personnes.
L’album Contre-Temps est disponible depuis le 28 septembre. L’artiste sera en tournée dans toute la France à partir du mois d’octobre et s’arrêtera à l’Olympia le 19 novembre prochain.