Entretien avec un vampire est la meilleure série du moment… que vous ne regardez pas

Entretien avec un vampire est la meilleure série du moment… que vous ne regardez pas

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Par Delphine Rivet

Publié le

Gothique, diablement sexy, toxique, elle a tous les atouts… et plus encore !

“Quoi, il y a une version en série d’Entretien avec un vampire ?”. C’est la réaction quasi systématique dès que j’évoque ce petit bijou car oui, les romans d’Anne Rice, dont le premier est paru en 1976, et qui ont été compressés façon César pour en faire le merveilleux film éponyme réalisé par Neil Jordan en 1994 avec Brad Pitt et Tom Cruise, sont aujourd’hui une série !

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L’avantage, pour les fans des livres, c’est qu’elle peut suivre plus scrupuleusement la temporalité longue de chaque tome et suivre ses (anti-)héros sur des décennies. Enfin, je ne suis pas là pour vous convaincre que les séries sont, d’un point de vue narratif, supérieures aux films (elles le sont !), mais bien pour vous attirer entre les griffes de cette merveille absolue et encore trop méconnue qu’est Entretien avec un vampire.

Si elle est si méconnue, justement, c’est parce qu’au milieu de ce véritable cluster de plateformes de streaming qui se tirent la bourre pour capter notre attention et nos sous, il y en a qui restent un peu sur le carreau. C’est le cas de Paramount+, qui a pourtant de sérieux arguments. Au milieu de son prestigieux catalogue — qui attire davantage les cinéphiles un peu pointu·e·s et les fans capables de se farcir tous les rejetons sériels de The Walking Dead que le grand public — se planque donc la série Entretien avec un vampire.

Elle a déjà deux saisons au compteur (la deuxième est en cours de diffusion aux États-Unis sur AMC), mais vient seulement de débarquer sur le service de streaming. Pas d’arrivée en fanfare, donc. Pas de promotion non plus sur leurs réseaux sociaux ni dans les rues. C’est à se demander si Paramount a compris ce qu’il tenait entre les mains.

Il y a une quantité astronomique de contenus à regarder, presque autant de choses médiocres. Alors, quand une série allume enfin une étincelle dans le cœur de la sériephile anesthésiée que je suis devenue : mes yeux sont grands ouverts.

Les vampires sortent du placard

Tout commence à la Nouvelle-Orléans, au début du XXe siècle. On y fait la connaissance d’un beau jeune homme aux origines créoles qui a des rêves d’entrepreneur, Louis de Pointe du Lac (Jacob Anderson, qui jouait Ver Gris dans Game of Thrones). Il prospère en tant que gérant de maison close mais le racisme ambiant menace ses projets. Il ne veut pas de problèmes. Il connaît la noirceur du cœur des hommes mais sa colère le ronge.

Il rencontre alors Lestat de Lioncourt (Sam Reid), un beau (oui, lui aussi) dandy français, qui s’avère être un vampire aux pouvoirs tout aussi fascinants que lui. Ils tombent amoureux et se donnent corps et âme l’un à l’autre. En d’autres termes : Lestat fait de Louis son compagnon vampire mais leur relation est autant un élixir qu’un poison pour Louis.

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Lestat lui fait alors un cadeau des plus cruels : Claudia (jouée par Bailey Bass en saison 1, puis par Delainey Hayles), une fillette de 14 ans, à qui il offre la vie éternelle. Bien qu’elle s’enivre rapidement de ses capacités surhumaines, elle sait qu’elle est coincée à jamais dans un corps d’enfant. Les liens entre Louis et Claudia se renforcent, tandis que leurs sentiments conflictuels envers Lestat grandissent un peu plus chaque jour.

Si le film de Neil Jordan posait un voile pudique sur la véritable nature de la relation entre Lestat et Louis, la série, parce qu’elle est le produit de son époque, ne s’embarrasse pas de sous-texte queer. Elle embrasse pleinement la passion dévorante que les deux se vouent. Entretien avec un vampire est diablement sexy, toxique, charnelle et suffocante. La réécriture assurée par le showrunner Rolin Jones fait entrer le récit d’Anne Rice dans le XXIe siècle, tout en plaçant son récit à cheval entre plusieurs époques : car le procédé narratif, lui, ne change pas. C’est Louis qui, en 2024, raconte son histoire à un journaliste, Daniel Molloy.

Vampires en toute intimité

La pop culture est un puits sans fond d’œuvres mettant en scène des vampires. Toute la mythologie y est passée, tout semble déjà avoir été fait. Pourtant, cette réappropriation du lore par le prisme de la queerness redonne un bon coup de polish au genre tout entier. True Blood, en son temps, faisait déjà un parallèle (pas très subtil mais néanmoins jouissif) entre les vampires qui sortaient soudain du cercueil pour dévoiler fièrement leur existence aux humains et les personnes LGBTQIA+ qui appelaient à sortir du placard.

Ici, avec Entretien avec un vampire, Louis a bien du mal à se réconcilier avec ses multiples identités : il est un homme noir qui traverse les tourments du XXe siècle, un homme gay, tantôt un père ou un grand frère pour Claudia, un immortel, un amant endeuillé, un photographe qui cherche à capturer l’âme de ses sujets mais n’y parvient pas…

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De la moiteur de la Nouvelle-Orléans aux pavés parisiens et son Théâtre des Vampires, la série nous régale avec des plans nocturnes (forcément, tout se passe après le coucher du soleil) de toute beauté, et les rares effets spéciaux se font discrets. C’est autant l’histoire de ces personnages que de la société qu’ils traversent : après avoir quitté la Nouvelle-Orléans, Louis trouve qu’il est plus libre, en tant qu’homme noir, dans le Paris bouillonnant de l’après-guerre.

Petit aparté : la seule critique que je formulerais sur cette série, c’est qu’on est en présence d’un cas classique de production américaine qui doit intégrer des dialogues en français et pense qu’elle a dead ça. Lestat est Français, son acteur est Australien. Il fait son maximum, mais pour des oreilles franchouillardes, désolée, les sous-titres sont nécessaires. Une mention spéciale pour Armand (que vous découvrirez vraiment en saison 2), campé par le charmant Assad Zaman, qui reste le plus intelligible dans la langue de Molière. Fin de la parenthèse chauvine.

Comme Louis, donc, la capitale semble reprendre vie. Dans l’obscurité des parcs, des inconnus se regardent, se tournent autour. Les lieux de cruising sont autant des espaces de séduction pour les homosexuels que des terrains de chasse pour les vampires. Sans cesse, la série nous rappelle à quel point le désir amoureux et la pulsion de mort sont liés.

La finesse de l’écriture, qui sait prendre son temps ou se stopper net quand Daniel Molloy interrompt Louis dans sa fable, met un soin particulier à nous inviter dans l’intime de ses protagonistes. Elle est au service d’un cast totalement magnétique qui n’a rien à envier à Brad Pitt, Tom Cruise, ou Kirsten Dunst.

Il y a bien longtemps qu’une série n’avait pas autant coché toutes les cases et pourtant, on n’a jamais l’impression que l’on nous vend la dernière superproduction à voir absolument. C’est sans doute ça qui fait la différence : il y a, dans cette série, une forme d’humilité et de sincérité qui la rendent encore plus nécessaire. Entretien avec un vampire est une étreinte aussi sensuelle que mortelle et à laquelle on cède sans la moindre réserve. Vous devriez, vous aussi, vous laisser tenter…

La saison 1 d’Entretien avec un vampire est disponible sur Paramount+ et on suppose que la deuxième ne devrait pas trop tarder à arriver.