Touche pas à ma bête !
Si de nombreuses huées ont retenti au grand auditorium Lumière lorsque les lettres rouges de la firme américaine ont conquis l’écran, l’intrigue d’Okja a très rapidement pris le pas en mettant temporairement sous scellé les problématiques évoquées depuis plusieurs semaines. Son entame, psychédélique, épingle sans ambages les agissements de la carnassière Lucy Mirando (Tilda Swinton), une dictatrice peroxydée tenant d’une main de fer son entreprise agroalimentaire. Dans un torrent de couleurs pop, elle présente, face caméra, son projet du moment : une nouvelle race de cochon a été découverte au Chili et quelques membres de cette espèce ont été placés chez des éleveurs, aux quatre coins du globe, pour une durée de dix ans. Le but ? Redonner une image écolo-friendly à sa clientèle en élisant la super-bête de la décennie.
Passé l’introduction, une ellipse s’opère et nous voilà bientôt plongés sous une canopée, quelque part dans les hauteurs de la Corée du Sud. Là, Mija, une adolescente vivant seule avec son grand-père, passe le plus clair de son temps en compagnie de son cochon Okja. L’animal, intelligent et aimant, veille sur la jeune fille comme la mère qu’elle a perdue ou la sœur qu’elle n’a jamais eue. L’amitié, criante, touche en plein cœur, sans détour. Mais hélas pour les inséparables, les griffes acérées de Lucy Mirando refont surface, sous les traits de son zoologiste-star (Jake Gyllenhaal un peu trop cabotin) qui décide de récupérer le cochon à des fins odieusement mercantiles. Mal lui en a pris… Telle une princesse Mononoké bravant tous les dangers, Mija va dès lors s’entourer d’activistes veggies aux allures d’Anonymous afin de sauver son seul ami.
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Techniquement magnifique
Souvenez-vous… Nous avions laissé Bong Joon-ho en 2013 avec Snowpiercer, une peinture apocalyptique de la lutte des classes dans un train condamné à rouler éternellement. Avec Okja, le cinéaste réutilise le genre pour passer son époque au peigne fin. Si son scénario peut parfois sembler binaire, voire un poil schématique, sa science du montage et du découpage fait ici mouche et lui permet de donner une portée politico-sociétale à chaque plan. Technicien de génie (cf. les séquences de la course-poursuite et du centre commercial sous-terrain), la star du cinéma sud-coréen a, depuis Barking Dog en 2000, fait de sa filmographie un énorme laboratoire. Il y brasse les influences, les courants visuels –ses inspirations viennent souvent de la BD et de la photographie – en mettant constamment ses personnages, un peu perdants, aux prises avec une mission qui les dépasse.
Pour autant, Okja franchit allègrement les frontières de ce quasi-postulat en vigueur puisque ici, la jeune Mija ne perd jamais le nord malgré la perte d’innocence qui la cisaille. Elle reste debout, forte, combative, face aux défiances d’un monde où l’argent-roi, le mensonge éhonté et le cynisme ont dévoré les ligaments de l’humanité. Oui : Bong Joon-ho dézingue la société, crie haro sur la surconsommation, s’inquiète du traitement fait aux animaux… Et les thématiques qu’il brasse cohabitent parfaitement dans son cadre, sous la lumière pertinente de Darius Khondji (Seven, The Lost City of Z). Il peut, sans sourciller, s’enorgueillir d’être venu à bout d’une fable végane doublée d’une satire cinglante. Un écrin de chair, de viande, de rapports de pouvoir, de narcissisme et de mépris à l’intérieur duquel, fragiles et forts, Mija et Okja se tiennent la main, pour ne pas capituler. Le film s’achève d’ailleurs sur un murmure, sur un souffle. Peut-être celui d’un nouvel ordre. Espérons que les cinéphiles impatients pourront l’entendre et le sentir sur quelques (grands) écrans…