Dylan Rose Rheingold a beau être jeune, sa pratique artistique ne date pas d’hier. Elle a 23 ans, comme elle, sachant “qu’aussi loin [qu’elle s’en] souvienne”, la peintre se remémore avoir “toujours dessiné ou travaillé avec [ses] mains d’une façon ou d’une autre”. Pour celle qui a grandi dans une famille d’artistes à l’héritage juif, japonais et états-unien, dédier sa vie à son art est venu naturellement :
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“Je ne sais pas s’il y a eu un moment décisif qui m’a poussée à devenir artiste. Je pense que ma relation à l’art relève d’une nécessité, plutôt que d’un passe-temps ou de quelque chose dont j’aurais juste envie. Créer au quotidien me rend heureuse. Si j’enlève ça, je ne sais plus qui je suis. Je ne peux pas imaginer ma vie sans. Quand j’étais plus jeune, je me débattais avec beaucoup d’anxiété et l’art est devenu mon mécanisme de survie.”
“Mount Grelottes”, 2020. (© Dylan Rose Rheingold)
L’aspect vital de sa pratique permet à Dylan Rose Rheingold d’expérimenter sans s’essouffler, notamment à travers les matériaux et les procédés “peu traditionnels” qu’elle utilise, concède-t-elle. Le point de départ de ses œuvres est à chercher dans son carnet de croquis, où elle mélange “de la peinture, des marqueurs, du charbon et des crayons de peinture”.
Une fois passée à ses grands formats de prédilection (en toile ou en papier), elle mélange les éléments (peinture à l’huile et acrylique, pastels gras ou aérosol) afin de créer des couches et de la texture, un élément clé de son travail qui lui permet de raconter son double héritage et l’altérité.
“Yonah”, 2021. (© Dylan Rose Rheingold)
“Mes couches et mes formes sont à lier à mon histoire personnelle, mais aussi aux aspects historiques et temporels de mes personnages”, nous explique-t-elle. Son attrait pour la représentation “des gens” et de leur histoire date, lui aussi, de son enfance :
“Quand j’étais petite, je dessinais discrètement les gens dans les transports en commun. Je faisais des contours un peu flous parce que ça allait très vite et que je ne voulais pas me faire prendre. Ça nécessite de dessiner ce qui se trouve en face sans jamais lâcher des yeux le sujet et en maintenant le feutre sur sa feuille.”
Dylan Rose Rheingold, habillée par <a href="https://www.instagram.com/31philliplim/" target="_blank" rel="noopener noreferrer">Phillip Lim</a>. (© Wes Knoll)
Cette fascination pour l’autre (et surtout “les gens ayant des défauts”), couplée à son goût pour “le réalisme abstrait, le surréalisme et la caricature”, donne corps à une œuvre riche, dont la poésie, intime et vulnérable, transperce l’abondance de détails, de textures, de formes et de couleurs des toiles. Afin de détricoter sa pratique artistique et son histoire, nous avons eu la chance d’échanger avec Dylan Rose Rheingold.
Konbini arts | Bonjour Dylan, peux-tu nous parler de ce qui t’inspire ?
Dylan Rose Rheingold | C’est très large, mais je dirais qu’en ce moment, je m’inspire particulièrement de mes racines familiales. Les gens qui sortent du lot, les différences m’ont toujours attirée et j’essaie de leur faire honneur dans mon travail. L’année dernière, j’ai commencé à constituer une archive familiale que je prends régulièrement pour référence. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de recréer ces personnes de façon réaliste, mais plutôt d’en tirer un fil conducteur d’inspiration que je remanie.
Je veux que les gens puissent se sentir touchés par mon travail sans tirer un lien direct vers moi. Que je regarde des photos de mon obachaan [“grand-mère” en japonais, ndlr] à Okinawa, de mon grand-père dans sa base marine, de la bar-mitzvah de mon père à Brooklyn ou de la ferme de mon oncle, il y a bien une chose qui me frappe toujours dans ces archives, c’est bien ce sentiment d’altérité qui m’intéresse tant.
“Illan’s bar-mitzvah”, 2020. (© Dylan Rose Rheingold)
Comment ton histoire personnelle t’inspire-t-elle ?
Elle m’inspire énormément. Je fais tout pour créer des récits basés sur la façon dont j’ai été élevée et la nostalgie qui en découle. Mon introspection est fixée autour de moments ordinaires de la vie quotidienne, dans des sphères privées ou publiques. J’ai grandi dans une juxtaposition culturelle et religieuse, au sein d’un environnement qui tournait autour de l’uniformité. Il m’est donc vital d’inclure, de façon subtile, une certaine dualité dans mon travail.
“C’est tellement frustrant de penser au nombre de peintures de femmes par rapport au nombre de peintures réalisées par des femmes.”
En tant que femme, je pense également que mon point de vue et ma voix constituent des éléments d’inspiration. C’est tellement frustrant de penser au nombre de peintures de femmes par rapport au nombre de peintures réalisées par des femmes. Ça renforce vraiment le poids que peut avoir la force de la représentation, de l’intention et du point de vue.
“Harumi”, 2021. (© Dylan Rose Rheingold)
Que veux-tu transmettre à travers ton travail ?
J’essaie d’exprimer l’acceptation et la normalisation de ce qui est hybride, des doubles identités culturelles et, de façon générale, de la différence (qu’elle soit grande ou petite). Les différents thèmes inhérents à mon travail sont aussi liés à mon identité.
Des juxtapositions culturelles, religieuses, contextuelles et éducatives ont façonné ma propre perspective. Les idées générales que je veux aborder ont à voir avec une combinaison de souvenirs, de fiertés, de différences, de féminités et de racines ancestrales.
“Les idées générales que je veux aborder ont à voir avec une combinaison de souvenirs, de fiertés, de différences, de féminités et de racines ancestrales.”
“Asleep in the last row at Temple”, 2021. (© Dylan Rose Rheingold)
Tes peintures sont remplies de détails et de couleurs…
Le lien entre couleurs et teintes est très important dans mon travail. J’aime assortir des couleurs vives et lumineuses avec des teintes pastel. J’essaie de réaliser des œuvres qui ne sont pas trop littérales, afin qu’elles résonnent différemment auprès de chacun. Personnellement, j’aime les travaux qui portent en eux quelque chose de cru. Mais la plupart du temps, ces formes d’honnêteté s’accordent mal avec les représentations américaines traditionnelles de la beauté.
On a déjà critiqué mon travail, le fait que mes personnages avaient l’air sombres ou bizarres, qu’ils mettaient mal à l’aise une partie du public. Je trouve ça un peu étonnant mais je pense que ça découle de la façon dont je stylise mes sujets. J’ai tendance à exagérer des soi-disant “défauts” ou des éléments physiques afin de créer un pont avec mon public. Je me sens mille fois plus touchée par quelque chose d’honnête qu’édulcoré. C’est comme ça que je compose mes personnages. […]
“J’aime les travaux qui portent en eux quelque chose de cru.”
“American Arrival”, 2020. (© Dylan Rose Rheingold)
En ce qui concerne les détails, les plus petites choses ont beaucoup d’importance pour moi. Je m’attarde tellement sur des détails dans la vraie vie que ma réponse inconsciente est sans doute de faire de même dans mon travail artistique. Le symbolisme y est tributaire des détails.
Tu es très jeune. Selon toi, qu’apportent les nouvelles générations d’artistes au monde de l’art ?
Je pense que les prochaines générations contribueront à faire fléchir et casser les barrières qui existent au sein des beaux-arts et commenceront même à réécrire l’histoire. On doit encore avoir de très importantes conversations.
Même si ma voix n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, j’espère qu’elle pourra inspirer d’autres personnes de la génération Z et des générations à venir pour créer des brèches et s’exprimer sans concession. Utiliser nos voix de façon positive pour créer de l’art à propos de sujets, d’idées ou de personnes qui n’étaient jusque-là pas représentées est primordial, et j’espère en voir de plus en plus.
“Avoiding the Green Lake”, 2021. (© Dylan Rose Rheingold)
“Trip to the Watering Hole”, 2020. (© Dylan Rose Rheingold)
“Picnic in October”, 2021. (© Dylan Rose Rheingold)
“Uncle John’s Farm”, 2021. (© Dylan Rose Rheingold)
“A Rose is Still a Rose”. (© Dylan Rose Rheingold)
Vous pouvez retrouver le travail de Dylan Rose Rheingold sur son compte Instagram.