Le dernier Christopher Nolan ne vous laissera pas de marbre.
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À chaque fois qu’un film de Christopher Nolan débarque au cinéma, et c’est devenu une habitude, une bonne partie des médias, cinéphiles ou non, se jettent sur sa dernière créature. Cette fois-ci, et pour la première fois de sa carrière en 20 ans, place à une histoire vraie, et pas n’importe laquelle. Période vue et revue par le septième art, voici, à nouveau et pour votre plus grand plaisir, la Seconde Guerre mondiale.
La caméra est tournée vers un épisode populaire de l’autre côté de la Manche, appelé “Opération Dynamo” (le nom de code pour la bataille de Dunkerque), ou comment 400 000 militaires britanniques, coincés sur une plage de la cité française, à la merci des Allemands, mais défendus en même temps pas les soldats français, sont parvenus à rentrer chez eux, avec plus ou moins de dommages collatéraux.
On comprend, pour son dixième film, la nouvelle ambition cinématographique de Christopher Nolan. Place à des milliers de figurants. Place à un film de guerre, un genre par lequel de grands réalisateurs sont passés. On pense à Kubrick (Full Metal Jacket, Les Sentiers de la Gloire), à Terrence Malick (La Ligne rouge), à Francis Ford Coppola (Apocalypse Now), à Michael Cimino (Voyage au bout de l’enfer) ou Ridley Scott (La Chute du faucon noir).
Passer cette étape, c’est cocher une case dans une filmographie déjà bien remplie. C’est l’ambition de graver son nom dans le marbre de prestigieux films historiques. Avec un grand H. C’est aussi suivre le chemin d’un Kubrick, un de ses modèles, qui, avec chacune de ses productions, n’hésitait pas à s’ouvrir à de nouveaux horizons, de l’horrifique Shining au sc-fi 2001, l’Odyssée de l’espace.
Auréolé de ses succès critiques et public, avec son “petit dernier” Interstellar, Christopher Nolan avait tous les moyens disponibles pour rendre compte de cet épisode qui aura duré neuf jours, du 26 mai au 4 juin 1940 : 450 techniciens, 2 000 figurants, plus de 200 millions de dollars de budget. À la différence de ses anciens blockbusters, une bonne partie des scènes ont été tournées en décor réel, à Dunkerque même. Une manière de retranscrire au plus près la réalité d’un terrain miné par la guerre et la potentialité de la violence – celle des Allemands, jamais montrés à l’écran, mais toujours menaçants.
Le temps, un thème cher à Nolan
Autant dire que pour Christopher Nolan, il y avait du travail, et un challenge à relever. Pour ce faire, le cinéaste a décidé d’utiliser une technique de montage et de scénario dans la lignée de ses derniers films. Car Dunkerque n’est pas un film de guerre classique respectant une chronologie linéaire.
Ses protagonistes évoluent ainsi dans trois temporalités différentes :
- Une semaine sur la plage de Dunkerque, pour mieux suivre des soldats dans l’attente ;
- Une journée sur un bateau de plaisance britannique venant à la rescousse de ces mêmes soldats ;
- Une heure dans un avion, bien décidé à détruire tout appareil allemand qui viendrait à s’en prendre aux bateaux et soldats anglais.
Cette idée de temporalités fait évidemment penser aux innovations scénaristiques déjà utilisées par Christopher Nolan au cours de sa carrière, pour mieux délimiter des failles mémorielles, visuelles, psychologiques et spatiales de ses personnages.
Ainsi, dans Memento le cinéaste troublait les repères du spectateur en lui faisant suivre le personnage de Leonard (Guy Pearce), qui perdait sa mémoire à court terme. Le découpage était alors à rebours de l’action. Dans Insomnia, Al Pacino était en prise avec une incapacité à dormir, rendant sa perception et sa conduite ambivalentes et l’empêchant de garder un esprit sain au cours de son enquête policière. Dans Inception, les membres de l’équipe commandée par Leonardo DiCaprio devaient faire face à différents temps, plus lents à mesure que l’intrigue se noyait dans l’esprit de leur cible. Enfin, dans Interstellar, l’espace traversé par Matthew McConaughey rendait le temps malléable : une seconde pouvait équivaloir à une année. Dunkerque est tout cela à la fois, ajoutant des changements de couleurs et de tons à ses séquences, comme pour mieux perturber psychologiquement le spectateur.
Un réalisme sans histoires
L’immense différence avec ses précédentes productions est la manière dont Christopher Nolan introduit les “héros” de Dunkerque : sans rien. À nous, spectateurs, de plonger dans leur tête. Nous n’avons aucune idée de leurs antécédents, de leur(s) histoire(s), de qui ils sont. Si la nature a horreur du vide, le cinéaste anglais remplit pourtant sa guerre cinématographique de personnages impossibles à identifier, n’existant que parce qu’ils ont eu le malheur d’être sur une plage, un navire ou un avion à portée de tirs.
Le conflit les montre telles des fourmis qui peuvent se faire écraser à tout moment. Comme dans Gravity ou Mad Max : Fury Road (films que Nolan cite en interviews), le spectateur est happé par la folle course des personnages, soumis à une trame scénaristique ne les laissant par respirer.
Impossible de prendre du recul, de voir l’ennemi, jamais jugé, jamais visible. La caméra est à hauteur d’homme, et même les plans aériens sont resserrés, laissant peu de place à la future action.
Les trois temporalités permettent ainsi au cinéaste de se détacher de ces “backgrounds”, utilisés par exemple par Steven Spielberg dans Il faut sauver le soldat Ryan. L’absence d’histoire – au propre comme au figuré – des personnages comme de Dunkerque, piège le spectateur dans un scénario impossible à prévoir. Qui est le héros ? Est-ce que le bateau va exploser et couler ? Christopher Nolan ne donne aucun indice, et nous montre ce que pouvaient ressentir ces soldats perdus au beau milieu d’une plage.
Dunkerque, cet anti-divertissement
Au final, Dunkerque se révèle être un anti-divertissement (ce qui fait de lui l’un des films les moins accessibles de sa filmographie), au regard de la capacité du cinéaste britannico-américain à jouer avec les apparences, utiliser des émotions à travers des thématiques comme la famille, le temps, ou la mémoire. Ici, ses thèmes préférés sont coincés et triturés, et subissent le joug de l’Histoire.
Les agents de Dunkerque sont bloqués dans leur esprit, façon Inception, n’ont pas de mémoire, façon Memento, n’ont plus de repères, façon Insomnia, sont soumis à la peur inhérente du temps, façon Interstellar, et n’ont rien d’héroïque, façon Batman dans sa trilogie, contraints, avant tout, de survivre, au-delà des préceptes moraux évoqués dans The Dark Knight (comme dans cette fameuse scène des deux bateaux côte à côte).
Paradoxalement, Dunkerque se révèle être un film documentaire ou le meilleur témoignage fictif de la Seconde Guerre mondiale jamais réalisé – blockbuster par ses moyens, indépendant pour son ambition expérimentale. Sans voix off, sans dialogues, on plonge dans une véritable expérience de guerre.
Et le plus impressionnant n’est finalement pas tant les moyens mis en place par le réalisateur – qui s’en tient d’ailleurs à quelques explosions – mais à la sensation de peur engendrée par la musique angoissante de Hans Zimmer et la virtuosité du montage de Christopher Nolan.
Dunkerque ne raconte pas une histoire, mais retranscrit l’esprit de 400 000 soldats, entre attente, adrénaline, peur, héroïsme, erreurs morales et aveuglement. Et le soldat Tommy (aka Fionn Whitehead, qui possède d’ailleurs une étrange ressemblance avec Christian Bale) de se réveiller dans un train, aux abords de Londres. Après un mauvais rêve ?