Jusqu’au 26 juillet 2020, l’Institut des cultures d’Islam devait présenter dans ses deux bâtiments son exposition dédiée aux croyances sur le continent africain. Comme de nombreux autres centres culturels pendant le confinement, l’Institut a eu la bonne idée de dématérialiser sa programmation. En attendant de pouvoir fouler les sols du musée, situé dans le 18e arrondissement parisien, “Croyances : faire et défaire l’invisible” peut être visitée en ligne.
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Avec le concours d’Afrique in visu, une plateforme participative autour du métier de photographe sur le continent africain, l’Institut des cultures d’Islam interroge la “puissance évocatrice des religions, superstitions et mythes du continent africain”. Seize artistes, photographes et vidéastes présentent leurs travaux, variés, mais unis par la même interrogation centrale : “Que signifie croire, au XXIe siècle, sur le continent africain ?”
“Black Pope”, 2017. (© Samuel Fosso/Jean-Marc Patras)
Les éléments de réponse orientent le public vers l’histoire de rites anciens et leur héritage contemporain, la mémoire de l’esclavage, la transe, l’envoûtement, la prière, la puissance du collectif ou encore les divinités numériques modernes. Les artistes invité·e·s exposent des œuvres relativement récentes, parfois créées spécialement pour l’occasion et qui, à travers des chapitres individuels, créent une histoire collective.
Avant de vous balader, au travers de votre écran, parmi les dizaines d’œuvres exposées signées Léonard Pongo, Josèfa Ntjam, Tabita Rezaire, Mohammed Laouli, Samuel Fosso ou encore Maïmouna Guerresi, voici une rapide survolée de quatre projets qui nous ont marquées.
“Entrez dans la transe”
“Wird”, 1996-2019. (© Bruno Hadjih/Galerie Mamia Bretesche)
Le travail de l’Algérien Bruno Hadjih, qui s’intéresse depuis plus de quinze ans au soufisme, ouvre l’exposition. Ses photographies grand format en couleurs invitent le public à “entrer dans la transe” de ce “courant mystique de l’Islam, qui prône une expérience possible du divin sur Terre”.
Le photographe s’est rendu à l’endroit même où le soufisme a été révélé, dans le désert algérien, afin d’immortaliser des expériences de transes individuelles et collectives. Sa pratique photo, très lente, donne à voir des images floues, dans lesquelles s’agitent les corps et la lumière.
“Wird”, 1996-2019. (© Bruno Hadjih/Galerie Mamia Bretesche)
“Wird”, 1996-2019. (© Bruno Hadjih/Galerie Mamia Bretesche)
“Wird”, 1996-2019. (© Bruno Hadjih/Galerie Mamia Bretesche)
La dualité de la gémellité, entre bien et mal
La photographe Sanne de Wilde a pour habitude de s’intéresser aux laissé·e·s-pour-compte, à celles et ceux qui deviennent des figures d’adoration ou d’effroi, à cause d’une différence génétique. La jeune femme, dont le travail sur un peuple qui ne voit pas les couleurs nous avait déjà éblouies, est de retour en France pour un projet réalisé en duo avec la photojournaliste Bénédicte Kurzen.
Les deux femmes travaillent ensemble depuis plusieurs années sur la gémellité au Nigeria. La région Yoruba connaît le taux de naissances de jumeaux et de jumelles le plus élevé au monde. Le duo s’intéresse à la dualité, autant dans le fond que dans la forme de son travail.
“Land of Ibeji”, 2018. (© Sanne de Wilde et Bénédicte Kurzen/Noor)
Au Nigeria, les jumeaux et les jumelles seraient considéré·e·s comme des êtres surnaturels, maléfiques ou merveilleux : il existe en effet une croyance selon laquelle chacun·e d’entre nous a un double. Les jumeaux sont les seuls à avoir ce double avec eux, ce qui leur confère cette aura mystique et puissante.
Afin de souligner le statut mystique (voire mythique) et extraordinaire de l’Ibeji (la “double naissance”, en langue yoruba), les deux artistes créent des mises en scène symétriques et utilisent des surimpressions et des filtres dichroïques, qui ajoutent au caractère magique de leur sujet. À l’Institut, les œuvres sont accrochées en miroir, laissant le public étourdi par sa vision double.
“Land of Ibeji”, 2018. (© Sanne de Wilde et Bénédicte Kurzen/Noor)
“Land of Ibeji”, 2018. (© Sanne de Wilde et Bénédicte Kurzen/Noor)
“Land of Ibeji”, 2018. (© Sanne de Wilde et Bénédicte Kurzen/Noor)
Les recettes des djinns répertoriées
Btihal Remli est une artiste marocaine. Elle lie son œuvre à son pays d’origine, notamment grâce à un large travail entamé il y a plusieurs années “d’investigation personnelle autour des djinns au Maroc”, tel qu’elle l’explique elle-même. Les histoires entourant ces “créatures supernaturelles qui viennent de la mythologie arabe, mais ont été récupérées dans le Coran” l’ont poussée à sillonner le Maroc, “à la rencontre de personnes pratiquant la sorcellerie et de spécialistes des djinns et des superstitions”.
Sur la route de ces créatures faites “d’une fumée sans feu, très puissantes et qui peuvent posséder les corps humains”, Btihal Remli a rencontré pléthore d’individus dont elle a collecté les histoires et surtout, les recettes.
“The Djinni Diaries – Recipes”, 2017-2019. (© Btihal Remli)
Comme il est difficile de parler de cette “partie cachée du Maroc – qui considère que la magie est un péché”, elle a décidé de traiter ce “patrimoine occulte de façon quasi scientifique”, en photographiant les recettes et leurs ingrédients dans des natures mortes minimalistes.
Entre respect des traditions et dérision, la photographe présente un tour du Maroc magique, mais aussi social, puisqu’on découvre les désirs de mariage, de gloire, de succès ou de guérison des personnes interrogées.
“The Djinni Diaries – Recipes”, 2017-2019. (© Btihal Remli)
Cap sur une spiritualité à l’ère numérique
L’exposition ne serait pas complète si l’on ne s’attardait pas sur une nouvelle forme de religion partagée dans le monde entier, celle des nouvelles technologies et d’Internet. Seumboy Vrainom :€, “apprenti chamane numérique” autoproclamé, insiste bien sur le fait qu’il ne s’agit pas de considérer les nouvelles technologies comme des dieux, mais bien de “développer une spiritualité autour de ces entités”.
Ce lien spirituel imaginé avec le numérique découle du fait que l’on vive, au quotidien avec des entités qui ne sont pas tangibles. Pourquoi pas, dans ce cas, tenter une prière pour dialoguer avec son Wi-Fi ? Comme un croisement entre une démarche de recherche artistique, une remarque sur la société contemporaine et une bonne dose de décalage, le jeune homme présente, entre autres, sa prière au Wi-Fi – qui revêt un degré d’importance supplémentaire en ces temps de confinement.
La fermeture du musée a empêché Seumboy Vrainom :€ de poursuivre ses “séances de soin du smartphone”, des entretiens individuels d’une quinzaine de minutes qui visaient à réfléchir à sa relation avec son smartphone.
“Pendant ce soin, je considère le smartphone pas comme un objet, mais comme un organe. Comme les yeux nous permettent de voir ou nos oreilles nous permettent d’entendre, le smartphone est un organe qui nous permet de percevoir l’espace numérique qui est tout le temps présent, mais qu’on ne peut pas percevoir avec notre corps. Si l’on ne sait pas comment se comporter avec cet ‘organe’, on va somatiser et avoir un certain nombre de répercussions sur notre corps biologique”, déclare Seumboy.
À la fin du confinement, vous savez où vous rendre si votre portable a particulièrement chauffé durant cette période !
L’exposition “Croyances : faire et défaire l’invisible”, présentée par l’Institut des cultures d’Islam est actuellement visible en ligne.
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