Quand j’ai appelé Atusa Jafari en FaceTime, pour en apprendre davantage sur son parcours, son œuvre et ses inspirations, elle a décroché avec un sourire aux lèvres et des yeux rieurs. J’ai compris que j’allais parler à une âme inspirée et passionnée. Armée d’une pensée libre et d’un regard poétique sur l’art et le monde qui l’entoure, la peintre de 21 ans m’a transmis toute sa sensibilité.
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Intuitive, puisant ses inspirations dans les femmes qu’elle côtoie, en mouvement perpétuel d’émotions et de création, cette artiste berlinoise réalise des peintures sur toile dans la plus grande intimité. Tout son projet artistique réside dans sa manière de peindre des êtres nus, défaits des contraintes du genre, en allant chercher l’essence afin de dévoiler la version la plus honnête et pure qui soit. Rencontre.
© Atusa Jafari
Konbini arts | Bonjour Atusa ! Quand as-tu commencé à peindre ?
Atusa Jafari | Le “j’ai toujours dessiné” qui revient souvent chez certain·e·s artistes ne me concerne pas. Pour ma part, j’ai commencé à beaucoup dessiner vers l’âge de 15 ans. Je remplissais mes cahiers d’école de croquis, de dessins en tout genre. C’était très intuitif. Mes parents, qui ne sont pas très intéressés par l’art, n’y voyaient pas vraiment de potentiel, et ne m’ont donc jamais poussée à poursuivre dans des études artistiques.
Un jour, j’ai eu une révélation. Je me suis réveillée et suis allée m’acheter du matériel pour peindre, et je l’ai fait. Hier encore, je parlais avec une personne qui me disait : “Mais personne ne commence à peindre du jour au lendemain.” En l’occurrence si. J’ai commencé à 15 ans avec de l’acrylique, et je n’ai jamais arrêté. Seul changement majeur, je peins à l’huile aujourd’hui.
Comment as-tu fait évoluer ton travail ?
Lorsque je peignais à l’acrylique, c’était pour le fun. Alors qu’avec l’huile, il y a davantage une recherche du trait, du toucher. Il y a un rapport différent à l’œuvre, aux textures. Étant donné que j’ai appris de manière autodidacte, j’ai peint non pas parce que j’avais vu cela quelque part mais réellement car ça avait du sens pour moi.
Bien sûr, il y a des fois où je me dis “oh, j’aurais aimé que quelqu’un·e me l’explique plus jeune” mais je pense que c’est aussi cela qui rend mes tableaux différents, car on peut voir tout le processus, le tableau en train de se faire. Je pense que c’est précisément ce qui exprime mon entièreté, sans artifices.
Mes tableaux sont authentiques, bruts, car je peins toujours en une seule journée. Je veux les terminer ainsi pour faire d’eux des tableaux purs. C’est un flux constant de créativité. Je ne réfléchis pas trop longtemps, pour apporter de manière instinctive toute l’énergie dans mon œuvre.
© Atusa Jafari
“L’art est un espace libre pour l’esprit et les émotions.”
Comment décrirais-tu ton univers pictural ?
C’est toujours compliqué pour moi de définir mon univers ou d’expliquer mes œuvres, car je pense que ce n’est pas mon rôle. Il me semble nécessaire de laisser le monde s’approprier les tableaux, pour y voir ce qu’on veut voir. C’est ce que la personne ressent vis-à-vis du tableau, ce que le tableau lui évoque. Je n’explique jamais pour ne pas enlever la liberté de celui ou celle qui regarde.
Je ne suis pas en position de dire ce que cela représente, car chacun·e a sa façon de ressentir. C’est là toute la singularité de l’art. Selon moi, c’est un lieu où l’imagination est roi, où celui qui regarde ressent. Je pense qu’il serait juste d’arrêter de toujours vouloir expliquer, remettre en contexte. L’art est un espace libre pour l’esprit et les émotions.
Qu’est-ce qui t’inspire ?
Mon entourage, c’est certain, mes amies. Mais récemment, j’ai commencé à m’inspirer de plus en plus de l’audace des enfants, de leur innocence. Du fait, que les enfants ne se remettent pas en question et foncent. C’est quelque chose que l’on perd à l’âge adulte, parce que la société nous demande de grandir, de s’endurcir, de ne pas se plaindre, de gérer. Et c’est vraiment la sincérité juvénile qui m’inspire.
© Atusa Jafari
As-tu toujours aimé peindre le corps féminin ?
On a tendance à penser que je suis seulement intéressée par le corps des femmes. Bien sûr, je suis pour l’empouvoirement, je suis pour une représentation de la femme. J’ai beaucoup d’amies femmes. Ce sont elles qui m’entourent et m’inspirent. Ce n’est pas tant leur féminité, c’est avant tout parce qu’elles sont mes amies. Ce n’est pas par rapport au genre mais par rapport à la personne.
Peut-être que si je peins autant de femmes, c’est parce que j’en suis une, je peux les comprendre, je peux comprendre leur corps, ce qu’elles ressentent quand elles posent. C’est une sorte de miroir et l’art est toujours le miroir de soi-même. Je suis assez libre en réalité, si je rencontre une personne et qu’elle m’inspire, si son aura me procure quelque chose, je la peindrai. Lorsque je rencontre des gens et que je perçois quelque chose chez eux qui m’attire, j’y vais et je ne me pose pas de questions.
Quelle est ta définition de la féminité ?
Être féminine, c’est posséder sa part de masculinité, du moins comme la société peut l’appréhender. C’est se permettre d’affirmer sa féminité en assumant son côté masculin. Ce sont deux parties qui ne peuvent que fonctionner ensemble. Être féminine, c’est être forte, avoir une vraie intuition, mais aussi être masculine.
“Le genre devrait se concevoir comme quelque chose de fluctuant.”
Penses-tu représenter la féminité à travers tes œuvres ?
Non, je ne crois pas. En réalité, c’est une personne que je dessine, que je n’étiquette pas comme féminine ou masculine, c’est vraiment la personne en soi. On veut à tout prix rentrer les gens dans des cases, savoir si c’est un homme ou une femme. Le genre devrait se concevoir comme quelque chose de fluctuant.
Quelle est ta définition de la sensualité ?
Être vraie et honnête avec soi-même et dévoiler cette version aux autres. Selon moi, c’est un moment où une personne est vraiment celle qu’elle est au plus profond, et n’a pas peur de le montrer au monde entier. Et ça, pour moi, c’est purement sensuel.
© Atusa Jafari
Dirais-tu que la pandémie a eu un impact sur ta créativité et sur tes œuvres ?
Oui, ça a véritablement changé la manière dont je travaille. Je ne pouvais plus rencontrer les personnes comme j’avais l’habitude de le faire, ni m’inspirer de leur caractère. Lorsque je peins, je le fais souvent pour m’isoler du monde social, ça me fait du bien, mais vu que l’aspect social a été vraiment mis à mal, je n’y voyais plus cet intérêt. Pour autant, la peinture a vraiment été une manière d’exprimer mes peurs, de me réfugier dans un havre de paix, dans un espace sûr qui était le mien.
“L’art est toujours le miroir de soi-même.”
Dans tes œuvres, beaucoup de sujets sont dans leur intimité. Y a-t-il une symbolique derrière cette thématique de la sphère privée ?
Chez toi, tu es authentique, tu es toi. Tu es dans le lieu le plus rassurant. Ça joue énormément sur le caractère, sur la manière d’être et d’interagir. Tu es plus confiant·e lorsque tu es chez toi, dans ton espace personnel, tu es plus libre. Je le remarque souvent lorsque je crée chez des amies, elles sont davantage sereines et ne se posent aucune question. Elles y vont.
C’est aussi un miroir du caractère de la personne, son environnement reflète qui elle est. Tout est présent dans l’espace intime. Je trouve ça intéressant de pouvoir avoir ne serait-ce qu’un morceau de son essence en la rencontrant dans son espace personnel.
Si tu devais être une peinture, laquelle serais-tu ?
“Liebespaar”. (© Otto Mueller)
Liebespaar d’Otto Müller. Ne vous méprenez pas, ce n’est pas moi dans les bras de quelqu’un·e d’autre. C’est moi dans les bras de moi-même. Je trouve dans cette peinture tout ce que je peux trouver en moi. Elle est confiante mais aussi fragile dans les bras d’une personne qui la tient, la protège.
Il n’y a pas de féminité et de masculinité claires, la ligne est floue. La personne qui la tient, c’est aussi moi, le côté fort et aimant, celle qui veille. Elle se tient en confiance, mais se cache. Il y a tellement de dualités en chacun·e de nous. Je veux être vue mais également me cacher. Je suis fragile et forte à la fois, j’ai besoin d’être aimée mais aussi d’être seule.
Pour finir, comment envisages-tu l’avenir ?
Tant que je suis vivante, je veux pouvoir peindre. J’espère au plus profond que je trouverai toujours la motivation pour le faire. Continuer à grandir, devenir meilleure, et toujours trouver la force de créer tout en inspirant les autres.
Vous pouvez suivre le travail d’Atusa Jafari sur son site et son compte Instagram.