Devant l’actualité “déprimante”, Gottfried Helnwein voit dans l’art “probablement la seule chose qui puisse nous aider à supporter” la situation, dit-il dans une interview à l’AFP, à l’occasion d’une rétrospective au musée Albertina, à Vienne. Dans les salles où sont exposées 43 de ses dérangeantes œuvres qui ressemblent à s’y méprendre à des photos, “le thème de l’enfant revient comme une figure centrale”, décrypte le peintre de 75 ans, bandana noir et bague tête de mort.
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Pour lui, “c’est une métaphore de l’être humain : à la fois invincible dans sa pureté et sa potentielle innocence, et vulnérable car totalement dépendant du bon vouloir des adultes”. Il se dit meurtri dans sa chair à la vue “d’un gamin blessé, pleurant ou agonisant dans un conflit”, à la merci d’aînés “capables de faire du mal sans limites”. “Savoir s’il s’agit d’un Israélien ou d’un Palestinien, d’un Ukrainien ou d’un Russe est superflu”, estime-t-il devant les horreurs de l’invasion russe en Ukraine ou du massacre de civil·e·s à Gaza. “Personne ne mérite” un tel sort. Au fil de ses toiles, on voit aussi surgir des affres d’une explosion ou sur des ruines des personnages de dessin animé, tel ce Mickey inquiétant qui rencontre Adolf Hitler.
Climat étouffant d’après-guerre
Né le 8 octobre 1948 dans le pays natal du dictateur, où la responsabilité dans les crimes nazis a longtemps été refoulée, Gottfried Helnwein garde un souvenir terrible de ses premières années, aux racines de son art “rebelle et agressif”. À Vienne, l’ambiance était “épouvantable”, assombrie par “deux Guerres mondiales perdues, la Shoah et la période nazie” comme il le comprendra plus tard. “Tout y était gris et noir, les gens n’étaient pas aimables”, raconte-t-il.
À l’image de l’actionnisme viennois, un mouvement radical et provocateur d’après-guerre, lui aussi “se révoltera contre cet héritage, cette génération qui nous a laissé un tas de ruines” pour devenir l’un des artistes contemporains les plus renommés du pays alpin. Dans les années 1960, il fait scandale en utilisant son propre sang pour peindre Hitler. Par la suite, ses peintures seront souvent confisquées ou détruites. “Toute œuvre d’art importante a d’abord été perçue comme une provocation”, argue-t-il, s’offusquant d’une censure qui refait aujourd’hui surface.
Celui qui vit désormais entre l’Irlande et les États-Unis est aussi connu pour ses collaborations photographiques avec Marilyn Manson (chanteur accusé de violences sexuelles) ou le groupe de métal allemand Rammstein. Il a aussi été critiqué pour ses liens présumés avec l’Église de scientologie, un dossier sur lequel il refuse de s’exprimer. Outre cette rétrospective visible jusqu’au 11 février 2024, Gottfried Helnwein expose régulièrement dans la ville de Vienne des posters géants de femmes au visage taché de sang, pour sensibiliser aux violences conjugales. Loin des réactions indignées que son œuvre peut susciter, il “appelle à s’abandonner à l’art, sans préjugés”. Si le public est “touché” au plus profond de son âme, alors il considère sa mission comme accomplie.