L’actrice, qui incarne l’héroïne dans le nouveau film Tomb Raider, ne correspond visiblement pas aux idéaux physiques de certains misogynes. Un reflet de la longue sexualisation du personnage de Lara Croft.
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Pour endosser le rôle de Lara Croft – personnage mythique du jeu vidéo Tomb Raider – dans le film de Roar Uthaug, la brillante Alicia Vikander n’a reculé devant rien : musculation, natation, escalade, tir à l’arc, boxe et vélo étaient au programme de son intense préparation physique, jugée nécessaire pour pouvoir prétendre se glisser dans la peau de l’aventurière britannique.
Trois mois d’efforts, un régime strict et cinq kilos de muscles plus tard, Alicia Vikander doit affronter une nouvelle épreuve : les commentaires sexistes. Visiblement peu impressionnées par l’implication de l’actrice, certaines personnes ont jugé bon de partager leur déception quant au “manque de formes” de cette nouvelle Lara Croft. Parmi elles, un youtubeur s’est senti contraint de commenter l’aspect de sa poitrine sur son compte Twitter :
Do I have to be the asshole who says her tits are too small for me to see her as Lara Croft? Do I have to be that guy? Do I have to be the one who fucking says it?
— Amazing Atheist Guy (@amazingatheist) 10 mars 2018
I guess I do. Sorry. pic.twitter.com/5CsXwYFjBb
“Est-ce que je dois être le connard qui dit que ses seins sont trop petits pour que je puisse la voir comme Lara Croft ? Est-ce que je dois être ce mec ? Est-ce que je dois vraiment être celui qui le dit ? Je pense devoir l’être. Désolé.”
Un body-shaming heureusement rapidement dénoncé par les aficionados de la franchise, conscients, eux, que la version 2018 du film Tomb Raider est en réalité une adaptation du reboot du jeu vidéo sorti en 2013, dans lequel une Lara – aux proportions davantage réalistes – apparaît plus jeune et plus habillée.
Dear fanboys, if you’ve never played this game and have no interest in doing so, quit whining about Lara/Vikander’s boobs. Your opinion is not valid nor wanted. #TombRaider pic.twitter.com/g4cbikMcVG
— ♾ (@PapurrCat) 13 mars 2018
“Chers ‘fanboys’, si vous n’avez jamais joué à ce jeu et n’avez pas l’intention de le faire, arrêtez de pleurnicher à propos des seins de Lara/Vikander. Votre opinion n’est ni valide, ni attendue.”
Des internautes surtout conscients que le corps ne fait pas l’héroïne :
When Tomb Raider was released in 1996, Lara Croft's boobs were triangular. Let's stop acting like the size/shape of a woman's breasts predict her ability to play Lara Croft. It doesn't really matter whether you "see" Alicia Vikander as Lara Croft... she is, deal with it. https://t.co/KTKtP9XxmS
— Ginge (@georgiadoak) 13 mars 2018
“Quand Tomb Raider est sorti en 1996, les seins de Lara Croft étaient triangulaires. Arrêtons de croire que la forme/taille de la poitrine d’une femme prédit sa capacité à pouvoir incarner Lara Croft. Peu importe si vous n’arrivez pas ‘à voir’ Alicia Vikander comme Lara Croft. Elle l’est. Acceptez-le.”
Si le body-shaming est monnaie courante dans l’industrie cinématographique (et dans beaucoup d’autres encore), la violente déferlante de critiques envers le corps d’Alicia Vikander reflète plus largement le problème de l’image de Lara Croft, icône résolument “sexy” dans l’inconscient collectif. La sexualisation de ce personnage de jeu vidéo, simple stratégie marketing à l’origine, a nourri l’idée – vraisemblablement toujours d’actualité – que pour être une héroïne, il vaut mieux avoir des courbes bien placées.
L’évolution du corps de Lara Croft
Lorsqu’il développe Lara Croft en 1993, le designer Toby Gard imagine une héroïne à l’opposé des personnages féminins ultra-stéréotypés, réduits aux rôles de “bimbos” ou de “femmes dominatrices”. Dans la tête de son créateur, l’aventurière ne doit être qualifiée de “sexy” qu’en raison de sa force et sa détermination. Si l’ambition initiale était noble, le destin de Lara Croft fut légèrement différent.
Alors qu’il ajuste le premier modèle en trois dimensions du personnage, Gard augmente accidentellement les dimensions de sa poitrine de 150 %. Les restrictions imposées par les consoles de l’époque impliquant de sacrifier sa (future légendaire) tresse pour une coupe plus courte, l’équipe décidé d’augmenter la poitrine de Lara – et ses hanches au passage – pour insister sur son genre féminin.
Au fil des jeux vidéo, les proportions du corps de l’héroïne sont ajustées (sa taille augmentée et sa poitrine réduite) par souci de réalisme. Un réalisme tout de même idéalisé, nourrissant l’idée qu’une héroïne doit, en plus d’être extrêmement combative, répondre aux fantasmes des joueurs pour attiser leur curiosité.
Lara Croft, phénomène pop culture
Mais c’est en dehors du jeu, où le phénomène Tomb Raider conquiert jusqu’aux non initiés, que la sexualisation du personnage Lara Croft prend de l’ampleur. La raison ? Une idée marketing bien léchée et légèrement sexiste, consistant à miser sur l’image “sexy” de l’héroïne (plus vendeuse) pour toucher la cible facile des jeunes adolescents.
Ainsi, Lara Croft s’impose progressivement dans la pop culture comme une icône glamour sous les traits de nombreux mannequins engagés pour promouvoir le jeu sur des évènements, bien loin de l’aventurière initialement imaginée par Toby Gard, qui voit à contrecœur sa création lui échapper (il quittera d’ailleurs Core Design après avoir fini Tomb Raider en raison de ses divergences avec la société).
Côté grand écran, Angelina Jolie n’a d’ailleurs pas réussi à éviter le soutien-gorge rembourré lorsqu’elle enfile le costume de l’aventurière en 2001 pour le film Lara Croft: Tomb Raider. La même année, elle a confié au Boston Globe :
“Ils savaient tous qu’en me castant pour le rôle, j’allais vouloir qu’elle soit la femme que j’aimerais incarner : que je ne trouvais pas stupide, ni dénigrée. Nous avions même choisi de remplacer le short par un pantalon. Mais j’ai eu l’impression qu’on se devait d’opter finalement pour le premier, pour le jeu…”
Une décision payante : Lara Croft: Tomb Raider rapporte 131 millions de dollars (environ 107 millions d’euros) au box-office américain, et devient à l’époque le film d’action avec une femme dans le rôle principal le plus rentable.
La fin du fantasme ?
Lorsque Crystal Dynamics reprend le flambeau de la franchise et développe un reboot du jeu vidéo en 2013, l’image de Lara Croft, présentée plus jeune que dans les autres opus, est profondément assagie. C’est sur cette perception du personnage que s’est développé le dernier film Tomb Raider, dernière adaptation en date du jeu vidéo, sorti mercredi 14 mars dernier.
Davantage ancrée dans les codes actuels, la nouvelle version de Lara Croft refuse le jeu malsain et humiliant de la sexualisation poussée à l’extrême dont elle a longtemps fait les frais. Elle s’impose aujourd’hui comme une héroïne résolument moderne, admirée pour ses capacités physiques et son mental d’acier plus que pour ses attributs. Une héroïne de 2018, en somme.
Reste à savoir si le prochain volet du jeu Tomb Raider perpétuera l’avancée d’une franchise de 22 ans à l’héritage immense : celui d’avoir démocratisé la présence féminine dans un univers majoritairement masculin.