Un générique à la True Detective, une enquête diluée grâce au montage parallèle, une multiplicité des écrans, un bouton “Passer le résumé” qui s’affiche… c’est toute la grammaire des séries de true crime qui est convoquée ici, dans une mise en scène aussi étonnante qu’efficace.
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Denali, d’abord présentée au festival Off d’Avignon, est une pièce de théâtre en trois actes, ou plutôt en trois épisodes, brillamment imaginée par Nicolas Le Bricquir. Elle est inspirée d’une histoire vraie, celle du meurtre d’une ado, Cynthia, dont les deux suspects principaux sont ses deux meilleur·e·s ami·e·s, Kayden et Denali. L’affaire s’est déroulée en 2019, dans un bled perdu de l’Alaska.
La pièce s’ouvre sur un interrogatoire. Les témoignages des différents suspects sont projetés, comme des souvenirs fabriqués, tronqués, avec ou sans dialogue audible, puis des flash-back dont on doute en permanence de la fiabilité. Mais ce qui frappe le plus, outre la mise en scène qui rivalise d’inventivité et qui se veut absolument immersive, c’est ce que cette affaire révèle du genre humain.
Ces ados qui rêvent d’ailleurs, de mieux, de richesse, de célébrité, dont les smartphones ouvrent une fenêtre sur un monde inaccessible, et qui ne franchiront jamais la frontière de leur État, paumé au milieu des bois. On pense à Euphoria, tant l’ennui les tue à petit feu et les pousse à tous les extrêmes, tant les réseaux sociaux leur mentent, les manipulent, les font se sentir insignifiant·e·s.
On aurait pu regarder cette histoire depuis notre canapé, la télécommande dans une main pour passer le générique et le résumé des épisodes précédents (quand on binge, à quoi bon ?), le téléphone dans l’autre, mais la pièce se réapproprie notre attention d’habitude si volage. Elle nous oblige à regarder droit devant et même, à un moment, c’est elle qui retourne ce regard contre nous. Nous, les consommateur·rice·s de true crimes, avides d’histoires glauques, prenant un plaisir masochiste à contempler la misère et le désespoir.
© Béatrice Livet
L’expérience est cathartique. Seuls les rires de quelques personnes du public, parfois gênés, viennent trancher avec la noirceur de ce récit éprouvant. Parce que oui, il y a quelques respirations bienvenues, où les protagonistes nous rappellent qu’ils et elles sont d’abord des ados, un peu bébêtes, qui se taquinent, se clashent, ont des posters de leurs idoles sur les murs de leur chambre. Des ados tellement ordinaires.
Si vous sentez que l’on tourne un peu autour du pot et qu’on reste bien vague sur le déroulé de cette incroyable histoire ou sur le dispositif inédit de sa mise en scène, c’est parce que l’on veut préserver au maximum votre surprise. L’émerveillement n’en sera que plus grand, croyez-nous. Comme toute bonne série criminelle, le mystère doit rester entier avant de se glisser dans l’univers froid et cabossé de Denali.
Véritable succès, la pièce Denali (déconseillée aux moins de 12 ans) affiche complet depuis des mois. Mais rassurez-vous, elle joue les prolongations au théâtre Marigny jusqu’au 28 mars. Dépêchez-vous, les places partent vite !
© Studio Marigny