Ennio Morricone : de Leone à Tarantino, 5 cinéastes pour une carrière légendaire

Ennio Morricone : de Leone à Tarantino, 5 cinéastes pour une carrière légendaire

De sa rencontre improbable avec Sergio Leone à ses prises de tête avec Tarantino, retour sur 5 moments forts de sa carrière.

Si Ennio Morricone vient de fermer les yeux, à 91 ans, ce lundi 6 juillet 2020, l’œuvre prolifique du compositeur italien continuera de résonner dans le monde entier tant ses partitions sont devenues célèbres. Les voyages musicaux auront été nombreux, des mélodies mélancoliques aux compositions empreintes de suspens. Le musicien a notamment sublimé les plus terrifiants duels du cinéma, dont certains ont illustré le pouvoir de l’harmonica.

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Après s’être fait une place en Italie, Ennio Morricone s’est vu offrir une notoriété tardive avec des collaborations inoubliables aux États-Unis, mais a aussi conquis la France en composant des bandes originales pour Roman Polanski ou encore Georges Lautner, puis également l’Espagne en signant les partitions de Pedro Almodóvar.

Au total, plus de 500 partitions ont contribué à bâtir la légende du maestro, qui agitait sa baguette depuis plus d’un demi-siècle et a vendu 70 millions de disques à travers le monde, séduisant même Hans Zimmer – ce dernier nous avait confié qu’il aurait voulu réaliser la bande originale d’Il était une fois en Amérique, sa bande originale préférée.

Réactif et passionné, le mélomane a croisé la route de nombreux de réalisateurs comme le démontre le documentaire de Nicolas Henry, Ennio Morricone et les cinéastes, sorti en 2016. Si son tableau de chasse impressionne, ses déclarations à la Cinémathèque française lors d’une rétrospective érigée en son honneur en 2018 soulignent que l’artiste avait l’habitude de faire primer les rapports humains sur la notoriété des réalisateurs :

“Je collabore uniquement avec les cinéastes avec lesquels je peux développer un rapport humain. C’est dans la franchise que naissent les rapports de confiance. Sans confiance partagée, mieux vaut ne pas travailler ensemble. J’ai abandonné certains metteurs en scène et j’en suis désolé parce que, parfois, ils étaient doués. Au contraire, si je sens que le réalisateur aime ma musique, a besoin de moi, de mon enthousiasme, alors je suis à mon tour stimulé et cela provoque très vite des idées.”

De Terrence Malick à Quentin Tarantino en passant par Sergio Leone, nous avons choisi cinq cinéastes phares qui ont croisé la route enchantée d’Ennio Morricone. L’occasion de montrer l’importance du compositeur dans l’histoire du cinéma ainsi que son influence dans la création des films, et de revenir sur les moments forts de sa carrière.

Luciano Salce, la première chance

Le nom de Luciano Salce ne vous dit sûrement rien, mais c’est pourtant le premier cinéaste à avoir donné sa chance à Ennio Morricone. C’est avec lui et Mission ultra-secrète en 1961 que tout commence. Fatigué d’entendre des musiques de films italiens soporifiques, le jeune compositeur souhaite dépoussiérer les bandes originales.

Avant qu’ils ne collaborent, Ennio Morricone s’était fait remarquer par le réalisateur grâce à son travail pour la télévision italienne, pour laquelle il a composé quelques arrangements. Sollicité par Luciano Salce pour travailler sur l’un de ses projets, le producteur du film, Dino De Laurentiis, s’est fermement opposé à son recrutement, considérant qu’il était un parfait inconnu. Luciano Salce a dû attendre de travailler sur son film suivant pour engager le désormais légendaire Ennio Morricone.

Par la suite, le duo s’est retrouvé sur une petite dizaine de films, d’Elle est terrible à Comment j’ai appris à aimer les femmes, jusqu’à la fin des années 1960. Malgré son patronyme obscur pour les nouvelles générations, Luciano Salce reste donc l’un des réalisateurs les plus importants du début de la carrière d’Ennio Morricone.

Sergio Leone, la consécration

Duo indissociable, Ennio Morricone et Sergio Leone se rencontrent d’abord sur les bancs de l’école primaire à Trastevere à Rome avant de se retrouver sur les plateaux de tournage dès 1964 sur Pour une poignée de dollars. Ensemble, ils ont revisité le genre du western à coups de musique lente et rythmée, parfois de guitares électriques anti-traditionalistes, de scènes de duels et de plans de caméra très larges sur des paysages et très serrés sur des regards ou des flingues prêts à dégainer.

Et pour quelques dollars de plus, Le Bon, la Brute et le Truand, Mon nom est Personne, Il était une fois la révolution, Il était une fois dans l’Ouest… Si tous ces films sont considérés comme des classiques du genre, la musique d’Ennio Morricone joue un rôle primordial dans ces aventures et leur donne une dimension épique.

Une confiance aveugle et une amitié absolue régnaient entre le compositeur et le cinéaste. Pour Il était une fois en Amérique, par exemple, Sergio Leone a d’abord écouté la musique de son partenaire avant de tourner une seule scène du film :

“Sergio Leone avait commencé par me raconter le film. J’y ai réfléchi, puis j’ai écrit la musique, que j’ai ensuite fait écouter à Sergio. Comme il a aimé, je l’ai enregistrée avant qu’il donne le premier clap. Je ne sais pas dans quelle mesure ma musique, pour laquelle Sergio avait beaucoup de respect, a influencé l’ensemble, mais, d’après ce qu’on m’a dit, Nino Baragli, le monteur, a fait attention à suivre le rythme de mes morceaux.”

Si le tandem a marqué l’histoire du cinéma, il aura aussi donné quelques regrets à Ennio Morricone. À l’époque d’Il était une fois la révolution, le compositeur avait tapé dans l’œil de Stanley Kubrick, qui préparait alors Orange mécanique. Déjà engagé aux côtés du premier, le musicien a dû renoncer à travailler avec le second. Ce fut l’une des plus grandes déceptions de sa carrière.

Terrence Malick, la reconnaissance d’Hollywood

Lorsque le génie d’Ennio Morricone rencontre la poésie de Terrence Malick, il est inévitablement question d’un film mémorable : Les Moissons du ciel. Prix de la Mise en scène au Festival de Cannes en 1979, ce classique vaut surtout pour ses paysages texans sublimes et sa douce musique, popularisée par la suite par son utilisation lors de la montée des marches du Festival de Cannes.

Après ce tournage houleux, entre budget dépassé, conflits sur le plateau et réécriture du cinéma, Terrence Malick s’effacera de l’industrie pendant 20 ans, jusqu’à La Ligne rouge (1998). En revanche, les projecteurs mettront en lumière le talent du compositeur italien, qui décroche ainsi ses premières nominations aux Oscars pour un très beau combo, à savoir la Meilleure partition de chansons et adaptation musicale et la Meilleure partition originale. Faute de remporter une statuette, la musique du créateur commence à être comprise à Hollywood comme un personnage de film.

Après cette nomination, Ennio Morricone va peu à peu s’ouvrir à Hollywood, sans toutefois s’installer aux États-Unis malgré différentes offres alléchantes de producteurs, dont celle du fameux Dino De Laurentiis qui voulait lui offrir une villa à Los Angeles. Ennio Morricone, qui ne parlait pas un mot d’anglais, semblait très méfiant à l’égard des Américains, déclinant systématiquement leurs projets de westerns redondants.

Le compositeur a tout de même trouvé son bonheur aux États-Unis en offrant ses partitions à John Carpenter pour The Thing, Samuel Fuller (White Dog, Les Voleurs de la nuit) ou encore Jerry London (La Pourpre et le Noir), sans oublier les cinéastes les plus récents, de Clint Eastwood, qui lui remettra son Oscar d’honneur en 2007, à Quentin Tarantino en passant par Oliver Stone (U Turn – Ici commence l’enfer).

De Palma, le grandiose

Impossible de ne pas citer Brian De Palma lorsque l’on se penche sur les plus grandes et les plus belles rencontres d’Ennio Morricone. Le début de leur collaboration remonte à 1987 avec Les Incorruptibles, dans lequel Robert de Niro s’impose en Al Capone et gravite autour de Kevin Costner, Sean Connery et Andy Garcia dans les rues sombres de New York.

Si le film symbolise aujourd’hui la crème de la crème du polar, cette lutte insoutenable prouve qu’Ennio Morricone était capable d’exceller dans les films de gangsters, en utilisant la musique comme une véritable plus-value au scénario tout en lui conférant un rôle narratif triomphant. Avec le succès des Incorruptibles et sa BO inoubliable, le cinéaste, qui accorde toujours une importance particulière à la musique, accède à une légitimité publique et s’impose comme une figure majeure du cinéma des années 1980.

Par la suite, Ennio Morricone et Brian De Palma ont récidivé sur Outrages et Mission to Mars, donnant naissance à des bandes sonores moins puissantes mais tout aussi riches et délectables. À réécouter pour le plaisir :

Tarantino, une relation compliquée

Fan inconditionnel d’Ennio Morricone, Quentin Tarantino a tout d’abord rythmé Kill Bill et Django Unchained avec quelques compositions de l’artiste, avant de lui proposer de s’occuper de la bande originale des Huit Salopards. Or, jusque-là, les films du cinéaste ne faisaient pas appel à une musique 100 % originale.

Lorsqu’ils se rencontrent chez le compositeur, le cinéaste tente de le convaincre en lui expliquant qu’il a déjà tourné le film et qu’il n’attend que ses partitions. Déjà engagé sur un film de Giuseppe Tornatore, le mélomane propose un deal à Quentin Tarantino : comme toutes ses musiques n’ont pas été utilisées sur The Thing, Ennio Morricone lui propose de les reprendre et de réenregistrer une version pour cordes, pour cuivres et pour orchestre qu’il pourra utiliser à sa guise. Lorsque Tarantino écoute les arrangements, il n’est pas emballé et c’est son monteur qui finira par le convaincre de garder la bande-son recyclée.

Au moment de la sortie du film, le nom du compositeur était un bel argument de vente. Par la suite, les médias ont largement participé au mythe amour-haine, en relayant des informations plus ou moins confirmées concernant la relation que les deux artistes ont entretenue. Le musicien aurait notamment reproché à Tarantino d’être dépourvu de sensibilité dans le choix de ses morceaux. Des rumeurs auraient également laissé entendre qu’Ennio Morricone serait allé jusqu’à le traiter de “crétin”.

Outre ces bagatelles qui ont fait couler beaucoup d’encre, cette collaboration, aussi houleuse soit-elle, aura permis à l’Italien de décrocher son seul et unique Oscar pour son travail, devenant alors le gagnant le plus âgé de l’histoire de l’Académie à 87 ans. Il a depuis été devancé par James Ivory pour Call Me by Your Name en 2018.