Lors de la pandémie, Riti Sengupta est retournée vivre chez ses parents, après huit années passées hors du foyer familial. Forte de ses yeux d’adulte et de son indépendance gagnée, la photographe n’a pu passer à côté des “mécanismes patriarcaux” qui infusaient la vie de ses parents. Dans les détails de leurs journées, Riti Sengupta a été témoin de ces dysfonctionnements et inégalités tellement imprimés dans le quotidien qu’ils s’invisibilisent.
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Pour représenter l’accumulation de ces nombreux cailloux et grains de sable qui finissent par peser le poids d’un étouffant rocher, l’artiste a imaginé des mises en scènes poétiques. Oscillant entre douceur et rugosité, entre légèreté et gravité, ses natures mortes montrent des aliments, végétaux et objets du quotidien à côté de parties de corps humains qui agissent comme la métaphore d’une présence féminine morcelée au don d’ubiquité.
Pause. (© Riti Sengupta)
Montrer le silence
Les portraits font appel à une tradition surréaliste. Les visages sont savamment dissimulés, comme un jeu de cache-cache qui vise l’universalité et imprègne la série, intitulée Ce que je ne peux pas dire à voix haute et exposée dans le cadre Prix Découverte Fondation Louis Roederer des Rencontres de la photographie d’Arles. Cachés par l’étroit col d’un pull, les pics d’un cactus ou un nuage duveteux, les visages de femmes sont silenciés, de la même façon que le sont leur travail domestique et les désirs qui les dépassent.
La série, moderne et transgénérationnelle, a été initiée par les “conversations de cuisine” menées par Riti Sengupta avec “ses aînées”. La photographe a ainsi découvert le fossé entre les existences pré et post-maritales des femmes de sa famille : “Sengupta a vu la personnalité de sa mère étouffée sous le poids des obligations qui lui incombaient au sein du foyer”, explique la commissaire de l’exposition Tanvi Mishra.
Étonnée par l’absence de cette réalité et de cet écart dans les archives de sa mère, l’artiste a créé une série forte et dénonciatrice. Elle insiste notamment sur la façon dont “le mythe de la famille idyllique de classe moyenne repose sur l’invisibilisation de nombreuses formes de travail”. Ensemble, la mère et la fille interrogent “leurs réalités respectives” et nous invitent à faire de même.
Disparaître lentement dans les nuages. (© Riti Sengupta)
La peau se souvient. (© Riti Sengupta)
Tomates mûres. (© Riti Sengupta)
Héritage. (© Riti Sengupta)
L’exposition de Riti Sengupta “Ce que je ne peux pas dire à voix haute” est présentée dans le cadre du Prix Découverte Fondation Louis Roederer des Rencontres de la photographie d’Arles jusqu’au 27 août 2023, à l’Église des Frères Prêcheurs.