“Il y a quoi à voir en ce moment ?”, “Vous avez une expo à me conseiller ?”, “Vous avez vu quelles expos récemment ?”… Chaque mois, nous tâcherons de répondre à ces questions existentielles qu’on nous pose tout le temps et qui vous font vivre les pires insomnies. Ces recommandations auront le mérite, on l’espère, d’adoucir vos week-ends, de remplir vos cerveaux de belles images et de projets touchants.
À voir aussi sur Konbini
Qui, quoi, où, quand…
53 ans après le suicide de Mark Rothko à New York et près de 25 ans après la dernière grosse rétrospective consacrée à son travail en France, la Fondation Louis Vuitton propose jusqu’au 2 avril 2024 une grande exposition de ses œuvres, des années 1930 à sa mort. Chronologique, l’exposition permet de suivre l’évolution du peintre, de ses travaux figuratifs réalisés dans sa vingtaine en passant par ses recherches dans l’abstraction, jusqu’à une plongée dans ses célèbres aplats de couleurs qui peuvent paraître difficiles d’accès à première vue.
Mark Rothko, No. 14, 1960. (© Kate Rothko Prizel, 1998/Christopher Rothko/Adagp, Paris, 2023/San Francisco Museum of Modern Art/Helen Crocker Russell Fund)
Ce qu’on a le plus aimé…
Mais c’est là la force des expositions de Rothko : alors même que les œuvres du peintre semblent côtoyer les sommets de l’abstraction – et donc paraître inaccessibles quand on n’a pas suivi cinq années d’Histoire de l’art –, les voir en vrai constitue une expérience quasi mystique. Baignées d’une lumière douce, presque tamisée, les couleurs des toiles rougeoient, ondoient et vibrent sous nos yeux.
Face aux grands formats débordants, les citations du peintre s’éclaircissent : “À ceux qui pensent que mes peintures sont sereines, j’aimerais dire que j’ai emprisonné la violence la plus absolue dans chaque centimètre carré de leur surface.” Surgit alors la force de l’abstraction, celle de ne compter sur aucune vérité, sur aucune autoroute d’interprétation : on ne nous demande pas de comprendre, on nous demande de ressentir. Impossible de faire fausse route, même sans titre, ni cartel explicatif puisque son art évolue vers “plus de clarté, vers l’élimination de tous les obstacles entre le peintre et l’idée, entre l’idée et le public”.
Mark Rothko, The Ochre (Ochre, Red on Red), 1954. (© The Phillips Collection/Washington D.C., acquis en 1960/Kate Rothko Prizel, 1998/Christopher Rothko/Adagp, Paris, 2023)
Les œuvres qui nous ont le plus touchées…
Vous l’aurez compris, ce sont les œuvres iconiques de Rothko qui nous ont particulièrement touchées, celles qui expriment la liberté autant que la violence et l’emprisonnement, bref, l’élan vital puisque, comme l’annonçait le peintre : “Chaque forme, chaque espace qui n’a pas la pulsion de la chair et des os, la vulnérabilité au plaisir et à la douleur n’est rien. Toute peinture qui ne témoigne pas du souffle de la vie ne m’intéresse pas.”
Le musée expose des toiles empruntées à la famille de l’artiste ainsi qu’à des collections publiques et privées. Sont recréées la Rothko Room de la Phillips Collection, conçue avec l’artiste en 1960 – lui qui accordait un soin minutieux à la présentation de son travail, à l’importance de l’aménagement de l’espace –, ainsi que l’ensemble de onze toiles exposé à la Tate de Londres depuis 1969.
Mark Rothko, Light Cloud, Dark Cloud, 1957. (© Achat du Modern Art Museum of Fort Worth Museum, The Benjamin J. Tillar Memorial Trust/Kate Rothko Prizel, 1998/Christopher Rothko/Adagp, Paris, 2023)
Mais la rétrospective permet aussi de s’intéresser à un pan moins célébré de la carrière de Rothko : ses œuvres figuratives. Parmi les 115 œuvres présentées, ses toiles du métro new-yorkais, réalisées dans les années 1930, marquent son intérêt pour les formes et les volumes, pour la représentation de l’espace. Son travail sur les mythes antiques marque sa volonté de rapporter “la dimension tragique de la condition humaine”, note le musée : “Les mythes sont les symboles intemporels auxquels nous devons nous raccrocher pour exprimer des idées psychologiques basiques. Ils sont les symboles des peurs et des motivations primitives de l’homme, peu importe le pays ou l’époque, ne changeant que par le détail mais jamais en substance, qu’ils soient grecs, aztèques, islandais ou égyptiens”, déclarait Mark Rothko au début des années 1940.
Ce qu’on a moins aimé…
Le public. Malgré les grands espaces du bâtiment pensé par Frank Gehry, le public est nombreux et s’embrouille devant les œuvres. En une bonne heure et demie de visite, on a assisté à trois bagarres de CSP+… Puisque c’est un public d’initié·e·s qui se presse devant les œuvres de Rothko – sans doute, encore une fois, à cause de leur apparente inaccessibilité (qu’on espère avoir démystifiée) et du tarif plein de l’entrée à 16 euros. Sachez tout de même que des tarifs réduits existent (10 euros pour les moins de 26 ans, les étudiant·e·s éuropéen·ne·s et les enseignant·e·s ; 5 euros pour les moins de 18 ans, les artistes et les demandeur·se·s d’emploi ; gratuit pour les moins de 3 ans, les personnes en situation de handicap, les étudiant·e·s et enseignant·e·s en art, etc.).
Mark Rothko, Autoportrait, 1936. (© Kate Rothko Prizel, 1998/Christopher Rothko/Adagp, Paris, 2023)
Pour aller plus loin…
- Le documentaire Mark Rothko, la peinture à vif sur Arte : 52 minutes pour se plonger dans l’art et la vie du peintre né Markuss Rotkovičs à Dvinsk, dans l’actuelle Lettonie, et mort en 1970 à New York. On y apprend notamment sa fascination pour les grands maîtres, à l’exemple de Giotto, qui lui permet de prendre “conscience de l’importance du toucher, de la sensation et de la lumière colorée”, et de Raphaël et sa façon de construire “l’espace avec la couleur”.
- La Rothko Chapel. Si vous ne passez pas à Houston, vous ne pourrez pas la visiter, mais vous pouvez tout de même vous intéresser à cette chapelle ouverte à toutes les religions. De forme octogonale, baigné d’un puits de lumière, le lieu est orné de quatorze toiles monochromes grand format qui invitent à la méditation.
- Le site MarkRothko.com, très complet mais en anglais !
L’exposition “Rothko” est à voir jusqu’au 2 avril 2024, à la Fondation Louis Vuitton, à Paris.