Parmi les (très) nombreux talents des Japonais, l’art des affiches de cinéma en est un qu’ils maîtrisent à la perfection. Au Festival international du film de Tokyo, on a eu l’immense privilège de rencontrer le nouveau maître en la matière : Oshima Idea, designer d’affiches japonaises, dont vous avez forcément vu passer l’incroyable travail sur les réseaux. C’est un collaborateur désormais privilégié d’A24 au Japon, et ses affiches et artbooks de Midsommar sont par exemple disponibles sur l’e-shop des studios tandis que ses déclinaisons d’affiches alternatives d’Aftersun sont devenues virales sur X/Twitter tant il a su encapsuler à la perfection l’immense poésie du film sur le papier.
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Lors d’une rencontre express, dans un anglais approximatif, au Festival international du film de Tokyo, on a tenté de percer le mystère de la beauté des affiches de cinéma japonaises.
Konbini | Quel est votre cœur de métier ? Les visuels que vous postez sur Instagram sont-ils parfois du simple fan art ?
Oshima Idea | Mon travail comporte deux facettes. Je transpose en une version japonaise les affiches de films étrangers et je design également les affiches officielles de films japonais. Mais j’aime tellement les films que j’ai voulu avoir des posters originaux pour moi-même et c’est ainsi que je me suis mis à développer des affiches alternatives des films que j’aime. Mais ces versions alternatives sont aussi approuvées par les ayants droit, ce ne sont pas du simple fan art.
Je me suis récemment rendu compte que les affiches non officielles japonaises, ces fan arts justement, avaient beaucoup gagné en qualité, j’ai voulu les challenger et leur offrir une portée plus internationale.
Certaines affiches alternatives japonaises deviennent virales sur Twitter, comme celles d’Aftersun par exemple. Est-ce que vous pensez uniquement à l’audience japonaise quand vous les créez ou bien votre ambition est aussi qu’elles parlent à une audience plus large ?
Quand je design les affiches japonaises officielles de films étrangers, je pense aux règles culturelles de chaque pays et je propose donc parfois des affiches complètement différentes pour le Japon. Mais quand je travaille sur des affiches alternatives, je pense surtout à l’essence du film qui est, elle, universelle, donc sur ces versions alternatives, les designs peuvent être les mêmes et avoir une résonance internationale.
Les affiches japonaises ont longtemps été vues comme un peu bizarres et très chargées. Désormais, celles que l’on célèbre, comme les vôtres, sont très raffinées et artistiques. D’où vient cette évolution ?
Dans les années 1990, il y avait une tendance des films arthouse au Japon, la qualité du artwork autour des films était alors très élevée et les jeunes allaient beaucoup au cinéma. Mais la situation économique s’est ensuite dégradée et les distributeurs sont alors devenus très prudents et frileux. Il n’y avait plus vraiment d’affiches qu’on pourrait qualifier d’edgy, car ça ne vendait plus. Mais depuis quelque temps, la qualité est à nouveau au rendez-vous et j’aimerais renouer avec cette ancienne tendance.
En France, les affiches ont un but avant tout commercial et doivent respecter des règles marketing qui peuvent sembler parfois un peu datées, comme la présence de la tête d’affiche, des citations élogieuses, etc. Pourquoi semblez-vous avoir une bien plus grande liberté artistique au Japon ?
Les posters japonais sont très commerciaux, peut-être plus qu’en France en vérité. Mais ce qui nous permet d’être plus artistiques, c’est notamment les jeux avec les différents alphabets. Sur les affiches de films étrangers, il faut faire apparaître les copyrights, les mentions légales, etc., et donc mixer les caractères japonais et l’alphabet latin. Il faut trouver un moyen pour que ce soit joli, c’est une technique assez unique des designers japonais, mais je crois que c’est une opportunité artistique pour rendre les affiches encore plus belles.
Aussi, sur les affiches de films japonais, mais aussi chinois ou coréens, nos phrases sont écrites en vertical, le texte prend donc beaucoup moins de place et peut rester simple et discret, laissant ainsi la place à l’imagerie.
Qu’est-ce que ce soin apporté aux affiches nous dit de la vision du cinéma au Japon ? Ce qui est sur le papier est-il aussi important que ce qui est sur la pellicule ?
C’est vrai qu’il y a une vraie attention portée au papier. Par exemple, des booklets sont systématiquement proposés dans les cinémas pour tous les films. Ce qui est admirable avec la plupart des distributeurs japonais, c’est qu’il y a un vrai équilibre entre l’amour du cinéma et le besoin de gagner de l’argent. Quand je discute avec eux des affiches, je sens un véritable amour de leurs films. Mais ils veulent aussi évidemment qu’un maximum de spectateurs les voient.
De laquelle de vos affiches êtes-vous le plus fier ?
Celle dont je suis le plus fier, c’est le poster alternatif de Titane. Les distributeurs japonais avaient choisi de garder le même poster que l’officiel qui était très parlant mais j’ai tellement aimé le film que j’ai voulu en proposer un alternatif. J’ai dû utiliser une encre spéciale pour donner cet aspect argenté et métallique et c’est très rare qu’on nous accorde le budget pour ce genre de technique, donc j’en suis très fier. Le film est tellement puissant et exigeant qu’il m’a beaucoup inspiré et influencé, j’ai donc voulu proposer une affiche nouvelle et subversive.